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Comment nourrir l’humanité d’ici 2050 lorsque celle-ci aura atteint son pic démographique ? Balayant les arguments des « agropessismistes » et les solutions proposées par les promoteurs d’une agriculture biologique et à taille humaine, le verdict de The Economist est sans appel. Dans un article au titre évocateur et aux accents prométhéens, « How to Feed the World. The Brazil Agriculture Miracle » (2010), il invite sans ambages les pays en développement à se tourner vers le Brésil et à s’inspirer de son « modèle agricole ».

Réactivant les peurs malthusiennes d’une pénurie de nourriture face à une démographie galopante, l’envolée soudaine des prix agroalimentaires en 2007-2008, à l’origine d’une vague d’émeutes dites de la faim dans plusieurs pays du Sud, a poussé la communauté internationale (organismes internationaux et gouvernements) à remettre la problématique agricole, longtemps délaissée au profit d’autres options, au centre de ses préoccupations et stratégies de développement.

Comment nourrir l’humanité d’ici 2050 lorsque celle-ci aura atteint son pic démographique ? Quel modèle agricole privilégier pour augmenter l’offre alimentaire ? Comment améliorer production et productivité pour assurer la sécurité alimentaire des populations du Sud sans accroître démesurément la pression sur les ressources et des écosystèmes fragiles ? Telles sont quelques-unes des questions qui agitent aujourd’hui les arènes politiques nationales et internationales, de plus en plus partagées sur la voie à suivre pour répondre à ce qui sera sans nul doute l’un des grands défis de ce siècle : « nourrir l’humanité tout en limitant les effets prédateurs des activités agricoles sur l’environnement » (Borras et al., 2011).

Résolument engagé lui aussi dans le débat, The Economist prétend avoir trouvé « la » réponse à cette difficile équation. Dans un article au titre évocateur et aux accents prométhéens, « How to Feed the World. The Brazil Agriculture Miracle » (2010), il invite sans ambages les pays en développement à se tourner vers le Brésil et à s’inspirer de son « modèle agricole » pour dynamiser leur économie rurale, surmonter leur déficit de productivité et de rendement (« yield gap ») et renforcer ainsi leur propre capacité alimentaire.

Après tout, le Brésil, autrefois importateur net de nourriture, n’est-il pas parvenu en l’espace de quatre décennies à se hisser dans le peloton de tête des grands producteurs et exportateurs agricoles, juste derrière les États-Unis et l’Union européenne ? Alors que son économie agraire, traditionnellement mono-exportatrice, s’est longtemps caractérisée par des modes d’exploitation rudimentaires et des rendements faibles, n’est-il pas aujourd’hui devenu leader mondial des exportations de viande rouge, de volaille, de sucre, de café, de jus d’orange, le deuxième exportateur de grains, farine et huile de soja, le troisième exportateur de maïs et le quatrième exportateur de coton et de viande de porc...

Recettes de cette transition « réussie » ? La conversion technologique des exploitations rendue possible grâce à l’émergence d’un complexe agroscientifique aujourd’hui à la pointe ; l’encouragement à l’initiative privée ; le volontarisme et l’esprit entrepreneurial des grands producteurs agricoles ; la multiplication de vastes fermes fortement intensives en capitaux et étroitement connectées à l’industrie ; et surtout, l’adhésion sans faille du pays au libre-échange, son ouverture au commerce mondial, aux investissements et à la concurrence.

« Au lieu d’essayer de protéger ses fermiers de la concurrence internationale – comme le faisaient la plupart des pays du monde – [le Brésil] s’est ouvert au commerce international et a laissé ses fermes les moins efficientes dépérir » se réjouit ainsi The Economist. Et, dithyrambique, de multiplier, dans un deuxième article (The Miracle of Cerrado, 2010), les exemples « remarquables » du pouvoir fécondant de ces stratégies dans le Piauí, « microcosme des transformations en cours » : ferme à Jatóba, exploitant des champs de soja, maïs et coton sur près de 24 000 hectares, soit près de « 200 fois la taille moyenne d’une ferme dans l’Iowa » et dotée des moyens de production les plus modernes, croissance expo- nentielle des rendements sur des sols autrefois pauvres grâce à l’usage massif de nouveaux intrants chimiques, ou encore utilisation de races améliorées et diffusion d’une herbe africaine permettant d’expliquer la multiplication par dix en à peine une décennie des exportations de bœuf brésilien.

Bien sûr, l’enthousiasme de l’influent et libéral hebdomadaire britannique ne s’arrête pas à l’exaltation de ces quelques « prouesses » ! « Extraordinairement productif », indique-t-il encore, le modèle agricole brésilien mériterait d’autant plus le « respect » que, tout en étant faiblement subsidié par les pouvoirs publics, il n’aurait qu’un impact très limité sur l’environnement et le rythme de la déforestation en Amazonie (sic).

Balayant les arguments des « agropessismistes » et les solutions proposées par les promoteurs d’une agriculture biologique et à taille humaine, jugées complètement illusoires et irréalistes, le verdict de The Economist est sans appel : « Le Brésil représente une alternative claire à ceux qui croient que, en matière de production agricole, small and organic are beautifull » (26 août 2010). En clair, le dynamisme et les performances agricoles du Brésil démontreraient la supériorité des grandes exploitations industrielles et commerciales sur l’agriculture paysanne, considérée comme inefficace, associée à un « passe-temps » (hobby) ou envisagée comme un reliquat du passé, une activité, dans tous les cas, appelée à se réformer et à s’intégrer au plus vite aux nouveaux complexes agro-industriels, sous peine de disparaître.

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** Laurent Delcourt, auteur de cette étude, est chargé d’étude au Centre tricontinental (à télécharger : http://www.cetri.be/spip.php?article3273)

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