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Dans son rapport annuel de 2006, l’OMS indique que sur 57 pays, 36 pays de l’Afrique sub-saharienne souffrent d’une pénurie grave d’agents de santé, tels que les docteurs, les infirmiers, les pharmaciens, les techniciens de laboratoires, les radiologues et d’autres membres du personnel d’avant-garde et de soutien. Rotimi Sankore soutient que la « fuite des cerveaux » est en train de tuer le continent lentement et indirectement.

Dans les temps de crise et d’épidémie, la diplomatie est un luxe auquel les moribonds ne peuvent s’adonner, spécialement lorsque des millions d’Africains savent qu’une insistance exagérée sur les bonnes choses ne va mener presque sûrement qu’à des millions de morts supplémentaires.

Il est de la sagesse conventionnelle que l’Afrique souffre actuellement de la crise du SIDA. En réalité, l’Afrique est en train de souffrir d’une crise en santé publique, et la pandémie au SIDA est le symptôme le plus significatif de cette crise, qui a été empirée par la fuite de la force de travail de l’Afrique en matière de santé vers l’Occident ».

Le diagnostic politique curieusement faux des problèmes éprouvants de soins de santé auxquels l’Afrique, et en effet la planète font face, a émoussé le fait évident que la tuberculose, la malaria, une foule d’autres maladies qu’on peut prévenir, et la malnutrition font toujours mourir plus d’Africains que les 2 millions de morts attribués au VIH/SIDA chaque année. Combinées avec le VIH et le SIDA, ces maladies sont en train de changer rapidement l’Afrique en un cimetière continental. Pourtant l’accent reste mis principalement sur le SIDA, qui a été couronné le criminel le plus sexy.

Les pays ayant peu ou pas de pénuries d’agents de santé et une infrastructure sanitaire meilleure ont réussi à mieux gérer le VIH/SIDA parce qu’ils sont plus capables de faire face à des maladies que l’on peut prévenir comme la TB, les infections sexuellement transmissibles, l’éducation sur les droits sexuels et reproductifs et la malnutrition. Le SIDA est un problème à part, mais il est également en train d’être alimenté par d’autres problèmes sanitaires non résolus et par le manque de volonté politique et de courage.

La résolution de la crise de soins de santé publique de l’Afrique va résoudre la plupart d’autres questions et ce sera un pas vers l’isolement du SIDA auquel on pourra alors s’attaquer plus facilement. Le premier pas doit être de résoudre le problème de pénuries d’agents de santé, ce qui inclut la recherche d’une solution à la « fuite des cerveaux ».

2006 a été une année historique pour le VIH/SIDA en termes du nombre de très grandes réunions et conférences internationales organisées. Ces dernières incluent le Sommet Spécial de l’Union Africaine à Abuja sur le VIH/SIDA, la Tuberculose et la Malaria en juin ; la Session Spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le VIH/SIDA (UNGASS) ; et la 16ème Conférence Internationale sur le SIDA de Toronto en août.

Ces événements reflètent les grands progrès qui ont été réalisés dans le cadre de s’attaquer au problème du VIH/SIDA. A l’exception de la plupart des gouvernements et institutions moins rétrogrades, la majorité des gens ont clairement compris que l’inégalité dans les rapports entre les genres est l’un des facteurs les plus significatifs qui se trouvent derrière la transmission hétéro-sexuelle.

D’autre part, ces événements mettent en vitrine les échecs énormes et les opportunités manquées dans la lutte contre le VIH/SIDA, le plus grand de ces échecs étant pourtant le l’échec inclusif de ne pas parvenir à résoudre la crise des ressources humaines et des infrastructures sanitaires en Afrique.

Le problème semble être que reconnaître, considérer comme prioritaire et agir sur le problème de « fuite de cerveaux » signifie que les gouvernements des pays doivent prendre la responsabilité, et cesser leur recrutement des agents de santé en provenance de l’Afrique. De la même manière, beaucoup de gouvernements africains vont aussi s’occuper de leurs problèmes de gouvernance et des conditions de travail pour les agents de santé comme moyen de contrer la « fuite des cerveaux ».

Les chercheurs des Nations Unies en démographie concluent qu’à moins que la propagation du VIH ne soit arrêtée ou inversée, l’Afrique sera à la tête de la ligue des morts du SIDA dans le monde avec autour de 100 millions de morts d’ici 2025. Ceci est plus que le double des projections pour l’Inde et la Chine qui sont de 31 et 18 millions respectivement, les deux ayant des populations dépassant celle de l’Afrique. Les gens dont l’âge se situe entre 16 et 45 ans seront les plus affectés.

Il est remarquable que tant les institutions que les mouvements sociaux se penchent non seulement sur les crises des soins de santé du continent, mais uniquement sur les médicaments anti-rétrovirus. Les médicaments anti-rétrovirus sont utiles mais quand il n’y a pas d’agents de santé pour les administrer aux patients, ils deviennent inutiles.

Pour aller tout droit au but, permettez-moi de l’exprimer en ces termes, aucune guerre ne peut être menée victorieusement sans soldats.

En avril 2006, l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) a officiellement reconnu ce que les intellectuels africains ont continué de dire pendant les trois dernières décennies, que la « fuite des cerveaux » en provenance de tous les secteurs de la société africaine, mais spécialement du secteur de la santé, est en train de tuer le continent lentement et indirectement.

Dans son rapport annuel de 2006, l’OMS indique que sur 57 pays, 36 pays de l’Afrique sub-saharienne souffrent d’une pénurie grave d’agents de santé tels que les docteurs, les infirmiers, les pharmaciens, les techniciens de laboratoires, les radiologues et les autres membres du personnel d’avant garde et de soutien. Le rapport a noté que les pays les plus riches sont en train de répondre à leurs pénuries en drainant hors du continent des docteurs, des infirmiers et d’autres en provenance des pays moins développés.

Comme résultat, un docteur sur quatre et un infirmier sur vingt parmi ceux qui sont formés en Afrique travaillent actuellement dans les 30 pays les plus industrialisés. En conséquence, l’Afrique est le seul continent où le nombre absolu de pénuries d’agents sanitaires (817.992) dépasse de loin le stock actuel de 590.198.

D’autres études ont montré que « la majorité des pays de l’Afrique sub-saharienne également ne remplissent pas le rapport recommandé par l’OMS de 1 à 1.000 [médecins]. En effet, il y a moins de 10 médecins pour chaque 100.000 personnes dans 24 pays sur les 44 en Afrique sub-saharienne dont les statistiques sont disponibles ». (Orji, Utsimi & Uwaje dans un article présenté à International eHealth Association en 2005).

Par contraste, le Cuba a un rapport médecins – population de 1 pour 165, la Corée du Sud 1 pour 337, le Royaume-Uni 1 pour 610, les Etats-Unis 1 pour 358, et l’Italie 1 pour 165 (PNUD/Rapport sur le Développement Humain, 2004). Des chiffres de l’International Development Research Centre (IDRC) (ou Centre International de Recherche en Développement) indiquent qu’en moyenne, « Le rapport médecins – nombre de patients est actuellement un pour 500 dans les pays riches, et seulement un pour 25.000 dans les pays les plus pauvres ».

Le facteur principal qui contribue au faible rapport médecins – nombre de patients en Afrique est la « fuite des cerveaux » Citant les chiffres de l’OMS et de l’OECD entre autres, l’IDRC illustre le problème au Nigeria et en Afrique du Sud. « Un tiers contre la moitié de tous les médecins diplômés en Afrique du Sud migrent vers les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, et ce à un coût annuel énorme pour l’Afrique du Sud (perte d’investissement en éducation (formation).

En y incluant tout le personnel de santé, les pertes pour l’Afrique du Sud atteignent 37 millions de dollars US par an. Ceci dépasse les estimations combinées des assistances (multilatérale et bilatérale) en éducation pour tous les objectifs, pas juste la formation des professionnels de soins de santé, reçus par l’Afrique du Sud en 2000 ». Parallèlement avec ceci, « plus de 21.000 médecins nigérians sont en train d’exercer aux Etats-Unis, tandis qu’il y a une pénurie aiguë de médecins au Nigeria ».

Sans surprise, l’IDRC conclut qu’ «une autre raison pour la détérioration des systèmes de soins de santé dans les pays en développement est la « fuite des cerveaux » des professionnels de santé… qui bénéficie essentiellement aux nations plus riches, tels que le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada, [et] met en cause les engagements du G 8 de soutenir les pays en développement pour qu’ils atteignent les cibles des objectifs internationaux et les Objectifs de Développement du Millénaire dans le domaine de la santé ».

Les conclusions de l’IDRC révèlent en outre que « les pays en développement investissent environ 500 millions de dollars US chaque année dans la formation des cadres professionnels de soins de santé, qui sont alors recrutés ou autrement se déplacent vers les pays développés… Entretemps, les Etats-Unis, avec ses 130.000 médecins étrangers, a réalisé une épargne de 26 milliards de dollars US dans les coûts de formation pour les nationaux… Tandis que les estimations suggèrent que l’Afrique dépense approximativement 4 milliards de dollars US chaque année pour les salaires de 100.000 experts étrangers (tous les secteurs, pas uniquement la santé) pour « renforcer les capacités » et/ou fournir l’assistance technique, et subit une perte de 184.000 dollars US par Africain professionnel qui migre. »

Dr Peter Ngatia d’AMREF l’énonce en des termes plus tranchants : « Littéralement, l’Afrique donne des subsides à l’Occident. Il s’agit de l’inverse des subsides du pauvre au riche….L’histoire est pleine de cas de sorties de ressources humaines de l’Afrique vers le reste du monde. Le commerce déshonorant et honteux des esclaves incarne cette sortie, qui a ravi des parties du continent africain de ses hommes et femmes jeunes et physiquement forts.

Ceci fut suivi par l’exploitation coloniale de même que les guerres impériales à l’intérieur du continent, guerres qui n’avaient rien à faire avec l’Afrique. La récente migration de travailleurs, de l’avis de beaucoup de gens, n’est pas quelque chose de nouveau. C’est une perpétuation et une perfection de ce qui a commencé il y a des siècles et qui est resté inchangé.»

Il va plus loin en disant « Selon l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), l’Afrique a déjà perdu un tiers de son capital humain et elle continue de perdre son personnel ayant des aptitudes suivant un taux croissant, avec une estimation de 20.000 docteurs, professeurs d’université, ingénieurs et autres cadres professionnels qui quittent le continent chaque année depuis 1990. Cette même source estime qu’il y a actuellement 300.000 Africains hautement qualifiés dans la diaspora, 30.000 parmi eux ayant un diplôme de doctorat (PhD).

En tenant compte de ces facteurs, une coalition dirigée par les organisations basées aux Etats-Unis « Physicians for Human Rights, » HIV Medicine Association » et « Association of Nurses in AIDS Care » a publié un plan de 15 points lors du sommet du G8 en juillet 2006, avec pour objectif de mettre fin à la pénurie d’agents de santé en Afrique. La déclaration a souligné que « les pays du G8, en particulier les Etats-Unis et le Royaume-Uni, devraient réduire leur dépendance envers les agents de santé en provenance de l’étranger et chercher à devenir auto-suffisants en réponse à leurs besoins en matière d’agents de santé.

Les Etats-Unis devraient aussi élaborer un code de pratique sur le recrutement international des cadres professionnels de santé, qui inclut ne pas activement recruter des agents de santé en provenance des pays en développement sauf dans le cadre d’un accord avec des pays, un accord qui respecte le droit à la santé dans ces pays et qui soit mutuellement bénéfique.

L’Association Médicale Britannique a également lancé une mise en garde sur cette pénurie grave d’agents de santé en Afrique sub-saharienne à cause de la migration vers les pays développés qui est une composante importante de la crise du SIDA en Afrique, et que les pays comme le Royaume-Uni doivent mettre fin à leur dépendance envers les médecins et les infirmiers d’outre-mer.

Il est crucial de continuer de souligner le rôle de la « fuite de cerveaux » dans le blocage du développement de l’Afrique en vue de combattre le mythe selon lequel des millions d’Africains sont en train de mourir du SIDA parce que l’Afrique est un continent inutile incapable de se sauver de n’importe quoi. Mais il ne suffit pas de souligner ceci. Les Africains doivent également se placer à la tête, ou se plaindre pendant tout le parcours jusqu’à leurs tombes, où seul le silence des pierres des tombes va parler pour eux.

Il n’y a aucun doute que l’Afrique peut reconstruire sa main d’œuvre en matière de soins de santé à la fois par l’augmentation de la formation et le fait d’attirer certains de ceux qui se trouvent dans la diaspora pour qu’ils rentrent chez eux. Le fait qu’un petit pays comme le Cuba, en dépit des contraintes politiques et économiques, a un meilleur rapport médecin nombre de patients que la plupart des pays développés du monde montre aussi que cela peut être fait par n’importe quel pays grâce à des priorités appropriées en matière de soins de santé.

Il n’y a aucun droit humain plus important que le droit à des soins de santé publique de qualité. Les personnes infectées et celles qui sont mortes doivent d’abord vivre avant que tous les autres droits soient significatifs. C’est pourquoi, comme une contribution en faveur du respect du droit à la vie saine en Afrique et de la résolution de la crise de soins de santé en Afrique, le Programme SIDA et santé Publique de CREDO – Afrique, conjointement avec des partenaires en Afrique et de par le monde, sont en train de lancer une campagne visant ce qui suit :

• Que les gouvernements africains font de la résolution du problème de pénurie d’agents de santé leur priorité numéro un en matière de soins de santé publique.
• Que les gouvernements des pays qui ont le plus bénéficié de la « fuite des cerveaux » cessent de telles politiques et examinent les voies et moyens de compenser le système sanitaire de l’Afrique pour les dégâts occasionnés par leurs politiques de recrutement.
• Que le thème de la prochaine Conférence Internationale sur le Sida est focalisé sur la mise à l’échelle des ressources humaines et les infrastructures de soins de santé, spécialement en Afrique.
• Que toutes les organisations intergouvernementales telles que UNAIDS et ses agences clés mettent l’accent et agissent rapidement sur la résolution des pénuries de ressources humaines et d’infrastructures en Afrique et l’infrastructure au cours des huit à 10 ans à venir.

*Sankore est Coordinateur de Centre for Research Education &Development of Rights in Africa CREDO-Africa. Il peut être contacté en passant par l’adresse : [email][email protected]

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