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L'Egypte post-Morsi pose aux analystes la problématique d'un électorat mou, incapable de choisir et d'assumer ensuite ses choix : la société qui voulait un président rejetait toute velléité tyrannique.

La crise en Égypte du mois de juin qui a abouti au limogeage du président Morsi après un an de pouvoir est l'aboutissement d'un long processus de méfiance-défiance de l'électorat vis-à-vis du politique. Elle est visible à travers toutes les démocraties fortes qui, malheureusement, à cause du déchirement d’un électeur n'accordant aucune confiance à ses politiques, conduit désormais au rejet de l'idole d'hier.

Les contestations au Brésil, en Turquie ou dans le Sénégal de Wade, entre 2007 et 2011, les récents mouvements sociaux autour du célèbre "Indignez-vous" renseignaient déjà sur le décalage qu'il faut désormais établir entre la légalité constitutionnelle et la légitimité-légitimation sociale du pouvoir. D'accord pour mettre en place une équipe chargée d'imaginer le cadre d'un développement social global, l'électeur refuse de créer des monarques.

L'Egypte post-Morsi pose aux analystes de la société la problématique d'un électorat mou, incapable de choisir et d'assumer ensuite ses choix : la société qui voulait un président rejetait toute velléité tyrannique ; telles les grenouilles de la fable qui voulaient un roi, les populations des sociétés démocratiques veulent à la fois un soliveau assez rude mais pas une grue.

La chute de Morsi n'est pas un chapitre de la croisade armée de l'Occident chrétien autour du pourtour méditerranéen, comme en Algérie avec le Front islamique du Salut (Fis) : la réalité socioculturelle de l'Egypte post "Printemps arabe" est beaucoup plus tolérante que durant la révolte, avec les interventions musclées envers les minorités religieuses. Au surplus, la cohabitation ancestrale avec les "Frères musulmans" gênait plus le pouvoir que les populations. Si elles sont entrées en rébellion, ce fut donc moins sur le plan idéologique que par aversion pour un règne monarchique et clanique, dans l'intérêt étriqué des amis et parents.

Le Sénégal de Wade a offert un antécédent précieux sur le plan de l'analyse. L'Égypte a simplement démontré la justesse d'un mot du regretté Babacar Niang du Parti pour la libération du peuple : "N'est pas démocrate qui veut ; est démocrate qui peut". Morsi a pêché sur ce plan.

De Vincent Lemieux, le Canadien (du début des années 1970 à 2010), à Nonna Meyer, la Française (sous la direction de « Le nouveau désordre électoral français : 1995-2002 »), l'étude de l'évolution des sociétés confrontées au choix démocratique au cours de ces quarante dernières années établit le déchirement de l'électeur qui soupçonne le politique d'être un tyran en puissance qu'il faut contenir dans des limites sociopolitiques raisonnables.

Le phénomène se sentait déjà aux début des années 1980 avec les différentes cohabitations observées un peu partout à travers le monde, qui se sont achevées avec des majorités molles conduisant à une instabilité chronique du jeu démocratique.

Les Etats-Unis ont montré l'exemple, de Reagan à Obama, en passant par W. Bush Jr, obligés de jongler entre un Sénat ou une Chambre des représentants servant de contre poids. La Russie d’Elstine a eu également son lot de déséquilibre institutionnel, avec une Douma se voulant garant de l'excès de pouvoir. De même que la France, aussi bien sous Mitterrand que sous Jacques Chirac. Le Sénégal de 1993 entrait dans la danse, en onction de sa timide démocratisation, avec la mairie de Dakar passée à l'opposition d’Abdou Diouf.

La prudence de l'électorat de ne pas laisser entre les mains d'un seul tout le pouvoir se vérifie également lors d'élections partielles où apparaît assez souvent cette méfiance vis-à-vis d'un potentiel potentat qu'il faut retenir dans des limites administratives et de doute, en votant contre lui. D'accord pour la tyrannie de la majorité sur la minorité, au nom d'un démocratisme à parfaire, les sociétés refusent cependant l'oppression d'un camp sur l'autre qu'elles ont toujours soupçonné d'être un potentat qui se révèle à travers un pouvoir qui rend fou.

Cette prudence traduit un déchirement observé depuis le début des années 1980 à travers le monde avec une ambivalence des populations vis-à-vis-du chef d'abord obligé de cohabiter, pour atténuer sa force, puis destitué dans un processus de contestations vécues ces derniers temps à travers l'Amérique et l'Europe. Le Sénégal en avait déjà fini avec Wade.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Pathé Mbodje est journaliste, sociologue

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