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En 1960, quand la Haute Volta recouvre son indépendance, une des premières mesure prise par le président Maurice Yaméogo est de procéder à la fermeture de la base militaire que la France installait à Bobo Dioulasso. Cinquante après, l'armée française se réinstalle a la faveur de la lutte contre AQMI.Et le retour semble se faire de manière lourde.

Le jeudi 16 septembre, 7 personnes ont été enlevées dans le nord du Niger. Parmi elles on compte 5 ressortissants français, un togolais et un malgache. Très vite les regards se sont tournés vers les mouvements islamistes.

Radio France internationale, citant des sources arabes, attribuait l’enlèvement à AQMI. Dès le vendredi 15 septembre, des combats auraient opposé sur le sol malien des soldats mauritaniens, à qui les autorités françaises reconnaissent apporter un appui technique, à des combattants islamistes.

Dans le même temps, on apprenait qu’un groupe de 80 soldats des forces spéciales françaises seraient arrivés au Niger où ils se seraient installés dans un hôtel. Ils auraient à leur disposition des moyens aériens. Ils seraient venus rechercher les otages et peut-être préparer une action militaire pour les libérer.

Dès le lendemain de cette annonce, on apprenait, non sans étonnement, que les forces françaises annoncées au Niger auraient plutôt pris leur quartier à Ouagadougou. Le nombre des hommes serait plus élevé que ce qui avait été annoncé pour Niamey. Le matériel dont il disposerait serait également plus consistant. Du reste, l’activité sur la base aérienne de Ouagadougou a connu une brusque montée en puissance et on peut voir dans le ciel de la capitale un ballet inhabituel d’appareils comme les gros porteurs Hercule par exemple.

C’est là une étonnante situation quand on sait que le Burkina Faso se dit fier de ses médiations qui ont permis de libérer plusieurs otages des mains des groupes islamistes. La dernière, la libération des 4 otages espagnols, a par exemple connu une médiatisation qui en disait long sur l’importance attachée à la démarche par ses auteurs. On peut donc s’étonner, légitimement, que les mêmes personnes accueillent une armada militaire dans un contexte où leurs services pourraient être requis.

La situation pose problème également quand on sait que les libérations d’otages utilisent presque toujours des moyens plus légers mais surtout plus discrets. La tentative mauritano-française dont l’objet annoncé était la libération de l’otage Michel Germaneau a connu moins de tapage lors de sa préparation. Elle n’en a pas moins échoué. Mais surtout la préparation militaire en cours est en contradiction avec la déclaration du ministre français de la Défense qui annonçait que les autorités de son pays cherchaient à entrer en contact avec les ravisseurs en vue de négociations.

A sa suite, le Chef d’état major général des armées françaises précisait qu’aucune action militaire destinée à libérer les otages n’était à l’ordre du jour. En tout, on peut douter que le débarquement à Ouagadougou ait un rapport immédiat avec les otages dans le désert sahélien. A quoi joue-t-on donc ?

Au lendemain de son élection le président français avait émis le désir de redisposer les forces militaires françaises outre-mer. Cette volonté semblait rencontrer ou anticiper une certaine attente de certains pays africains. Le Sénégal à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de son indépendance, a obtenu l’évacuation de la base française qui y était installée. La Côte d’Ivoire, par la voix de son président, s’est prononcée pour la fermeture de la base du Bataillon d’infanterie de marine (BIMA). Même un pays comme le Tchad, dont le président doit sa place actuelle aux avions français, n’a pas l’air d’apprécier la présence militaire française sur son sol. A l’occasion de la fête nationale de son pays, le président tchadien a estimé que la France devait payer la contrepartie de sa présence.

On sait qu’en marge des festivités maliennes (Ndlr : pour le cinquantenaire de l’indépendance du pays) s’est tenu à Bamako une concertation sur les problèmes de sécurité dans la sous-région. A cette occasion, les invités français se sont plaints du manque de collaboration des Maliens dans la mise en œuvre de la politique de leur pays. On remarquera, en effet, qu’à ce jour, si ce pays s’est résigné à voir des combats se mener sur son sol, il n’y a jamais engagé ses propres forces armées.

On se rappellera aussi que Brice Hortefeux (Ndlr : le ministre française chargé de l’Immigration), avant de jeter son dévolu sur les Roms, avait, par deux fois essuyé une fin de non-recevoir avec son projet de gestion concertée des flux migratoires. Quelques jours plus tard, les autorités burkinabè s’était vantées d’avoir paraphé le même projet en moins de 15 minutes, lors d’une escale technique du même ministre. Paris aurait décidé de déposer ses encombrants bagages à Ouagadougou que cela n’étonnerait personne. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit. On peut même penser que cette décision a été prise de longue date et indépendamment de la prise des otages, laquelle arrive à point nommé pour permettre d’accélérer une mise en place d’un dispositif tout en masquant celui-ci.

On se rappelle qu’en 2004, profitant du sommet de la francophonie, des missiles anti-aériens avaient été déployés dans la capitale burkinabè. Sont-ils repartis après la fête, on ne le sait pas. Ensuite sont apparus dans le ciel burkinabè les fameux girocoptères. Les explications de leur présence avaient été accueillies avec beaucoup de scepticisme dans l’opinion. Mieux, lors des attaques à mains armées qui ont suivi, certains journaux ont voulu savoir pourquoi les « petits oiseaux » n’étaient pas sortis. Mais surtout, la nouveauté de ces engins n’a pas permis à tout le monde de remarquer qu’ils étaient presque toujours accompagnés d’hélicoptères de grand gabarit. A qui étaient ces engins et où sont-ils aujourd’hui ?

Les avions gros porteurs, les Hercules, ne sont pas nouveaux non plus dans le ciel burkinabè. On avait pu les voir tournoyer avec une étonnante fréquence dans les jours qui ont précédé le renversement du président Tandja au Niger. Aujourd’hui, le regain d’intensité sur la base aérienne fait se croiser dans le ciel ces trois catégories d’engins.

Étrange quand on lie tout cela à la nomination récente d’un général français comme ambassadeur à Ouagadougou, et pas n’importe lequel. Il s’agit de l’homme qui commanda la force Licorne en Côte d’Ivoire et qui, à ce titre, a ordonné la destruction de la flotte de guerre ivoirienne. Etrange ! Cela rappelle que dans moins de 40 jours se tiendront en Côte d’Ivoire l’élection présidentielle pour laquelle le président part Gbagbo favori pour se succéder.

Singulièrement, cette élection ivoirienne ôtera toute légitimité à la force Licorne. Son départ exposera plus encore le BIMA d’Abidjan que quelqu’un avait qualifié de force d’occupation. Pour autant les élections ne sont pas une garantie de stabilité absolue en Côte-d’Ivoire. A cela il faut ajouter le cas guinéen où la promesse de démocratie est en train de tourner au tragi-comique, avec pour aboutissement possible de graves troubles ou une prise de pouvoir par l’armée. Si cela devait se faire aux dépens du Général Sékouba, il est à parier qu’on fera difficilement l’économie d’une immixtion étrangère plus flagrante que l’actuelle dans les affaires de la Guinée.

Le Burkina dans sa configuration actuelle fait office de dépôt sûr pour parer à ces éventualités qui ne manquent pas. Il n’est donc pas interdit de penser qu’une base militaire est en train de se mettre en place de façon sournoise sous les yeux des Burkinabè. La conséquence sera certainement une plus grande méfiance envers le Burkina de la part de ses voisins plus ou moins immédiats. Il n’est pas superflu de le penser, quand on sait que les Américains en errance cherchent désespérément une terre d’accueil pour le commandement de leur armée d’Afrique. Il n’est un secret pour personne que les Etats Unis s’intéressent pour ce faire au Burkina et à sa bordure sahélienne.

Mais pour la France quel affront sera le fait que des yankees s’installent dans leur ancienne possession ? Pour ne pas avoir à écorner l’amitié avec l’Oncle Sam clamée sur tous les toits par le président Sarkozy, quoi de mieux que de montrer à l’ami que le terrain est occupé. En 1960, le gouvernement de Maurice Yaméogo avait donné trente jours aux troupes françaises pour évacuer Bobo-Dioulasso où elles avaient entrepris d’installer une base militaire. Cinquante ans après, elles s’offrent enfin la base dont elles ont tant rêvé. Cela vaut bien une fête... à Bobo-Dioulasso.

* Pascal Kaboré a publié cet article dans le journal burkinabé «L’Indépenadant »

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