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Le cinquantenaire de l’indépendance du Niger reste marqué par une crise alimentaire aux conséquences désastreuses. Ici, c’est la question de sa souveraineté alimentaire qui est posée. Au-delà de ce problème crucial et d’actualité, c’est toute la question des orientations économiques du pays qui est en question. Non seulement, celui-ci ne sort pas de l’économie rentière largement considéré comme une perspective d’avenir, mais l’utilisation des rentes qu’il accumule par le truchement de l’exploitation minière n’a pas généré une économie nationale solidement ancrée et insérée dans l’économie mondiale, capable de répondre aux attentes des populations en termes d’emplois et de bien-être, et d’éradiquer la pauvreté qui concerne plus de deux tiers de la population nigérienne.

Le Niger fête cette année, à l’instar de ses pairs de la sous-région, le 50e anniversaire de son indépendance acquise le mercredi 3 août 1960. Peu avant cette date, il avait entamé une expérience institutionnelle dans le cadre de la loi cadre, dite loi Deferre, avec la mise en place d’un gouvernement autonome en 1957. Djibo Bakary en sera le premier responsable. Il le dirigea jusqu’au référendum de septembre 1958 qui marqua l’entrée du Niger dans la communauté franco-africaine, l’installation de Diori Hamani à la vice-présidence du Conseil de gouvernement et le retrait progressif de Djibo Bakari de la vie politique.

La classe politique était alors tiraillée entre les tenants de l’indépendance immédiate en 1958 (conduite par Djibo Bakari et son parti le SAWABA) comme le fit la Guinée, et les tenants du maintien du Niger dans la communauté franco-africaine (conduite par Diori Hamani et le RDA). Finalement, l’indépendance fut octroyée par la France contre toute attente, à travers la mise en œuvre systématique d’instruments juridiques, sans conquête préalable ni préparation. Dans un pays comme le Niger, qui sortait d’une domination d’environ soixante ans, tout était à bâtir au vu de la faiblesse du legs colonial : système scolaire rachitique, système de santé embryon¬naire, construction nationale à consolider dans un pays vaste comme deux fois la France, administration peu dotée en ressources humaines, etc. Pourtant en cinquante années que de distance parcourue mais aussi que de chemin à par¬courir.

UNE INDEPENDANCE OCTROYEE

Alors que le Niger venait d’adhérer à la Communauté franco-africaine à la suite du référendum de 1958, le voilà, quelques mois après, engagé dans un processus d’autonomisation qui allait le conduire à l’indépendance. Dès le 18 décembre 1958, le Niger prend le statut d’Etat membre de la communauté et le titre de République du Niger. Le même jour, l’Assemblée législative est transformée en assemblée constituante, avec pour mission principale d’établir une Constitution pour le Niger. Le 30 décembre 1958 un comité constitutionnel est mis en place pour élaborer et soumet¬tre au gouvernement de la République du Niger un projet de constitution.

Une loi du 23 novembre 1959 fixe le dra¬peau et la devise du Niger. Une autre loi en date du 24 décembre 1959 fixe les fêtes légales de la République naissan¬te. Le 11 juillet 1960, un accord particulier entre la France et le Niger, portant transfert des compétences de la Communauté, permettra au Niger d’accéder « en plein accord et amitié avec la République française à la souveraineté internationale et à l’indépendance ». Le 30 juillet 1960, une loi érige l’assemblée législative du Niger en Assemblée nationale. Le 1er août 1960, la loi 60-45 transforme effectivement le Niger en République indépendante et souveraine. Cette indépendance sera proclamée le 3 août 1960 à partir de minuit par Diori Hamani lui-même, devant un parterre d’invités.

Le rang, les prérogatives et les pouvoirs de chef d’Etat sont conférés au président du Conseil des ministres. Diori Hamani devient le chef de l’Etat. Il faut attendre le 12 juillet 1961 pour qu’un hymne national, La nigérienne, soit choisi par le nouveau pouvoir. Les armoiries de la République seront adoptées bien plus tard. C’est ainsi que tout doucement le Niger va accéder à l’indépendance, paré de ses nouveaux symboles de reconnaissance et enclenchant ainsi une nouvelle dynamique qui permettra au jeune Etat de faire son entrée sur la scène internationale.

Ceux qui ont vécu ces périodes et les évènements qui les ont accompagnées s’en souviennent avec beaucoup d’émotion et de fierté. Ils considèrent que l’indépendance leur a permis d’accéder à la dignité et à la responsabilité gouvernementale, ainsi qu’à des fonctions administratives éminentes. Pour eux, l’avenir prend alors une nouvelle tournure et des nouvelles voies d’espérance.

Evidemment cette indépendance n’était préparée, ni prévue. Mais elle était pleinement assumée par les autorités qui exerçaient déjà le pouvoir mais qui se sont désormais parés de nouveaux atours d’Etat souverain et membre à part entière de la communauté internationale. Il faut dire que la situation particulière du Niger prédisposait peu les nouveaux dirigeants à rompre avec l’ancienne puissance coloniale. Celle-ci était bien présente par son armée disséminée sur le territoire, mais aussi par ses cadres administratifs devenus assistants techniques et maintenus dans leurs Postes, exerçant des responsabilités à tous les niveaux. La présence de la France s’était même accrue. On parlait alors d’une indépendance politique ou formelle comme pour exprimer que les autres dimensions de l’indépendance était encore à conquérir.

C’était un discours largement partagé, notamment dans les milieux de la gauche militante symbolisée par les étudiants militants de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) ou de l’Union des Scolaires Nigériens (USN), mais aussi par les hommes politiques de l’ancien parti SAWABA et ses alliés depuis lors disqualifiés ou contraints à l’exil.

UN BILAN REEL MAIS MITIGE

Ce bilan peut être examiné en considérant plusieurs angles :

Sur le plan politique, le Niger, en 50 ans, est passé d’un régime de parti unique (1960-1974) à un régime de dictature militaire (1974-1987). Il ne démarre véritablement son processus de démocratisation qu’à partir de 1990, sous la Deuxième République. Celui-ci a été certes tumultueux en raison des nombreux coups d’Etat qui l’ont marqué. En effet, depuis sa conférence nationale (juillet à novembre 1993), on peut compter trois coups d’Etat militaires et quatre Constitutions ont été adoptées en moins de vingt ans. Mais on ne peut que souhaiter que ce cheminement chaotique jette progressivement les bases d’un ancrage durable d’une démocratie apaisée. Très prochainement, en octobre, une nouvelle Constitution sera soumise à l’adoption du peuple nigérien pour jeter encore une fois les bases d’un nouveau départ. Ce sera la septième depuis son accession à l’indépendance.

Au plan international, le Niger a connu une diplomatie fort dynamique, mais dont la cadence s’est progressivement étiolée. C’est ainsi que le Niger a été fortement présent dans le concert des pays africains au sein de la francophonie, avec le président Hamani Diori à qui l’on doit largement la mise en place d’organisations internationales comme l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM) et l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). C’est également sous sa présidence que la diplomatie nigérienne a pris son envol à travers la nomination d’ambassadeurs de par le monde, ses voyages officiels et la structuration de son administration diplomatique.

Au régime militaire de Seyni Kountché, on doit le placement à la tête d’organisations internationales de renom, Idé Oumarou à la tête de l’Organisation de l’Unité Africaine, de Hamid Algabit à la tête de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) et de Brah Mahamane à la tête du Comité Inter Etats de Lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). On pourrait relever aussi les Nigériens qui participent à divers titres et dans diverses positions au travail accompli dans le cadre de la fonction publique internationale, notamment à travers les missions de maintien de la paix de l’ONU.

Par la suite, la tendance a été au ralentissement voire à la stagnation de la dynamique engagée au début des années soixante. La persistance des crises politiques et de la mauvaise situation économique n’est pas étrangère à cette baisse de performance. Par ailleurs, l’administration nigérienne, très embryonnaire au moment des indépendances, s’est progressivement étoffée de fonctionnaires nationaux et couvre aujourd’hui la plupart des secteurs de la vie économique et sociale. Malgré les difficultés qu’elle éprouve pour fonctionner (décapitalisation des meilleures cadres vers la politique, de la fonction publique internationale, l’expertise, etc.) dans ces contextes de crise généralisée, il faut admettre qu’elle existe et perdure, même gangrénée par des dysfonctionnements qui compromettent dangereusement ses rendements dans l’exécution de ses fonctions de service public.

Pour sa part, l’économie nigérienne a reposé, dès le début, sur la rente de l’arachide, puis de l’uranium et aujourd’hui de nouvelles perspectives minières s’ouvrent avec de nouveaux partenaires comme la Chine. Mais à vrai dire, c’est un pays fortement dépendant de l’aide extérieure, notamment pour ce qui est de ses investissements publics et dans une large mesure de son fonctionnement.

En fin de compte, c’est la société nigérienne qui s’est beaucoup transformée. Elle subit de nombreuses mutations. Par exemple, la jeunesse représente un poids démographique important qui augure, en raison du fort taux de fécondité du pays, d’une population qui doublera ses effectifs dans les vingt prochaines années. Il se pose, bien entendu, la question des ressources à générer pour faire face, en termes de politiques publiques, à ces transformations

DES DEFIS POUR L’AVENIR

Aujourd’hui, de nombreux défis se posent au pays. L’indépendance a été acquise, mais le Niger fait face à une crise alimentaire aux conséquences désastreuses. Ici, c’est la question de sa souveraineté alimentaire qui est posée. Au-delà de ce problème crucial et d’actualité, c’est toute la question des orientations économiques du pays qui est posée. Non seulement, celui-ci ne sort pas de l’économie rentière largement considéré comme une perspective d’avenir, mais l’utilisation des rentes qu’il accumule par le truchement de l’exploitation minière n’a pas généré une économie nationale solidement ancrée et insérée dans l’économie mondiale, capable de répondre aux attentes des populations en termes d’emplois et de bien-être, et d’éradiquer la pauvreté qui concerne plus de deux tiers de la population nigérienne.

Par ailleurs, le défi de la démocratie et de la gouvernance se pose de façon ouverte comme le montre la récurrence des coups d’Etat militaire qui marquent incontestablement le besoin d’une stabilisation institutionnelle indispensable pour amorcer le développement économique.

* Mahaman Tidjani Alou est professeur agrégé de science politique Université Abdou Moumouni de Niamey (lire dans le bulletin de l’IAG : http://www.iag-agi.org/spip/IMG/pdf/Bulletin-IAG-_Francais_septembre.pdf)

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