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Derrière l’ampleur du désastre et des drames qui frappent Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier, Yash Tandon invite à voir les ‘’défauts du développement’’. Car les morts et les destructions, dans les dimensions qu’elles ont prises, ne sont que la conséquence des politiques qui ont ruiné ce pays et empêché sa construction. Et quand les pays occidentaux, ainsi que la BM et le FMI, qui ont organisé la mise à genoux de ce pays, avec la complicité d’une élite locale prédatrice, parlent d’aide, Tandon la balaye d’un revers de la main et appelle à une solidarité plus saine en faveur de Haïti.

Haïti est une tragédie pour nous tous. C'est une tragédie pour vous et moi. C'est une tragédie pour l'Afrique, pour les pays pauvres d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes. Les tremblements de terre sont un phénomène mondial et cela peut arriver n'importe où. Ils peuvent se produire aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Alors pourquoi sont-ils si destructeurs dans leurs effets lorsque cela arrive dans les pays du Sud ? C'est à cause de l'échec du développement. Haïti est un microcosme des résultats désastreux des politiques de soi disant « développement » qui ont échoué ces trente dernières années dans le Sud, et des effets destructeurs des politiques interventionnistes extérieures dans les pays pauvres du Sud, de la Somalie au Bangladesh en passant par Haïti.

Jean-Bertrand Aristide, le premier président démocratiquement élu en Haïti, donne, dans son livre passionnant The Eyes of the Heart: Seeking a Path for the Poor in the Age of Globalization, un récit cru de ce qui se passe quand les économies et initiatives locales d'un pays pauvre comme Haïti sont subordonnées à la volonté de la finance mondiale et de la puissance des sociétés transnationales, masquées par les idéologies de « libre commerce » ou « d'aide au développement ». « Dans un monde seulement motivé par le profit, il est difficile, pour nous, d'entendre la voix de Dieu entre le vacarme et l'escroquerie des marchands qui ont rempli les temples du monde », écrit-il.

Il décrit comment il a dû lutter avec son coeur et son esprit pour résister aux Programmes d'ajustement structurel (PAS) que les donateurs voulaient lui imposer, comme condition à toute aide. Alors qu'il restait fidèle à son coeur et à son âme, il a été contraint de quitter le pouvoir. Le gouvernement qui l'a remplacé céda aux pressions des donateurs et du couple Banque mondiale/Fonds monétaire international (FMI). En 2004, dans ce qu'il décrit comme son « kidnapping », entrepris avec la connivence de la France et des Etats-Unis, il a été forcé de s'exiler. Il fut déporté vers la Jamaïque, pour se retrouver ensuite en Afrique du Sud.

La soi-disant Communauté internationale du Nord a eu à organiser une grande conférence à Montréal, au Canada, pour Haïti. Elle échouera, on peut en être certain, à apporter le développement pour le peuple haïtien car elle voudra mettre de nouveau Haïti sous le contrôle et les bottes de l'élite économique et politique locale qui, à son tour, reste sous le contrôle de ces mêmes forces qui ont ruiné l'économique haïtienne : l'imposition de PAS par le couple Banque mondiale/FMI et la dictature « éclairée » de « l'aide des donateurs ». Cela est sous-jacent à la présente tragédie en Haïti, à la plupart des tragédies en Afrique et des pays pauvres du Sud.

Une Communauté alternative internationale (CAI) du Sud – un organisme ad hoc qui serait composé d'individus et d'organisations intergouvernementales du Sud et de d'organisations des Nations Unies dédiées au bien-être des populations comme la FAO ou l'OMS – devrait organiser sa propre contre conférence dans l'esprit d'une véritable solidarité avec le peuple haïtien. Elle devrait avoir pour but de mettre le pouvoir dans les mains du peuple haïtien lui-même. Cette initiative peut venir par exemple, du gouvernement de l'Afrique du Sud, du South Centre à Genève, ou d'un ensemble d'organisations non gouvernementales du Sud et du Nord, ou de tous ceux qui travaillent dans le domaine de la coopération.

Les objectifs de cette conférence devraient être :
1. Identifier parmi la population haïtienne les organisations communautaires et les groupes ad hoc qui ont émergé des ruines et qui sont engagés dans des activités autonomes de secours, de soins des blessures du corps et de l'âme et dans la réhabilitation et la reconstruction de la société et de l'économie ;

2. Aider à renforcer la capacité de ces groupes à prendre en charge le secours d'urgence qui arrive en ce moment par avion, par bateau ou envoyé depuis la République dominicaine ;

3. Aider à institutionnaliser ces efforts en mettant en place des conseils gouvernementaux autonomes du niveau local au niveau national ;

4. Mettre en évidence la fausse « solidarité » de l'initiative de Montréal ;

5. Démilitariser l'occupation d'Haïti qui est en ce moment menée par les Etats-Unis et les forces de l'OTAN (sous direction étatsunienne) ; et

6. Appuyer la demande du peuple haïtien pour le retour d'Aristide, qui reste une lueur d'espoir pour Haïti. Il a le soutien des plus pauvres. Il a confiance dans la force de son peuple et en sa capacité à s'opposer à la domination des donateurs et du couple Banque Mondiale/FMI, et à mettre en place des institutions démocratiques responsables devant le peuple et non ces faux dieux de « marchands qui ont rempli les temples du monde »

Il s'agit d'un appel à tous ceux qui, de par leur esprit humaniste, veulent assister leurs frères et sœurs (« nos familles ») en Haïti, en se basant sur le sens véritable de la solidarité.

* Yash Tandon est l’ancien directeur exécutif du South Centre

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