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Emprisonné à l’âge de 17 ans pour être un militant anti-apartheid, Mphutlane wa Bofelo en ressorti plus résolu encore à affronter le système. C’était pour le rêve de ‘’liberté pour notre peuple’’ que les gens ont mené des actions intrépides et braves’’, écrit-il, même ‘’s’ils savaient que le prix pouvait être la mort’’. Pourtant 33 ans après le soulèvement des jeunes en 1976, confronté aux conditions d’existence des populations du bidonville de Kenville, à Durban, wa Bufelo se demande pourquoi ‘’ d’anciens guérilleros peuvent parfois se montrer plus vicieux dans des tentatives de détruire la liberté’’.

Ce texte une interpellation forte sur le fait qu’on a combattu les injustices de l’apartheid pour voir d’autres injustices naître sur ses cendres. Et pour l’auteur, la véritable mort de Steve Biko et autres combattants de la liberté n’est pas celle que le pouvoir raciste et ses supplétifs ont orchestre. C’est plutôt la trahison de leur idéal de combat par ceux qui devaient en être les véritables héritiers et porte-flambeaux, qui est en train de signer leur véritable mort.

Le 16 juin est le jour où affluent des souvenirs douloureux et joyeux. Dans les années 1980, il s’est passé beaucoup de choses alors que nous évitions les balles, luttant pour garantir que des jours comme le 16 juin, le 21 mars, le 1er mai et le 12 septembre ne soient pas des jours ordinaires. Je suppose que c’est la raison pour laquelle la journée du 16 juin 2009 m’a rempli les yeux de larmes. Comme beaucoup de mes pairs, j’ai rejoint la lutte anti-apartheid/capitalisme à un jeune âge. A l’âge de 17 ans, j’ai été arrêté et sévèrement torturé. J’ai passé 18 mois en détention sans procès, à la suite quoi j’ai été condamné à un an de prison ‘’ pour être en possession de matériel subversif’’

La plupart d’entre nous sommes sortis de prison plus déterminés que jamais à affronter le système. Nous avons mis sur pied des organes populaires et avons fait en sorte que le régime de l’Apartheid ne puisse pas continuer à mener ses activités comme si de rien n’était. Nous avons osé prendre le taureau par les cornes et avons établi un réseau clandestin de Umkonto we Sizwe (MK), Azanian National Liberation Army (AZANLA) et Azanian People’s Liberation Army (APLA), au nez et à la barbe du système, de ses sbires et de ses vigiles.

Quel genre de rêve nous a fait agir de façon si intrépide et brave, parfois téméraire ? Des choses que nous avons faites alors que nous savions que nous pouvions en payer le prix ultime, la mort ? Nous savions que le prix ultime serait la libération de notre peuple et non la mort ! On ne peut jamais tuer un esprit libre. Mais lorsque je pense à ce que j’ai vu ce 16 juin 2009, je me demande pourquoi les guérilleros peuvent parfois être plus vicieux pour tenter de détruire la liberté et parfois même tuer l’esprit de la liberté.

Ce jour là, j’ai rejoint le Provincial Executive Committee (PEC) du parti socialiste d’Azania (SOPA) alors qu’il commémorait le soulèvement national de la jeunesse de juin 1976 par une visite à leurs membres, supporters et résidents du bidonville situé à proximité du dépôt d’ordures près de Kenville, dans les faubourgs de Durban. C’est l’endroit où tous les égouts de Durban se vident. Cette visite m’a laissé en larmes. Le but de la visite était d’entendre les points de vues et les histoires des résidents et de partager des idées avec eux pour accélérer le processus qui doit leur fournir un habitat décent et pour voir comment améliorer leur situation.

Le président de la SOPA au KwaZulu-Natal, Asha Moodley et le secrétaire général, Patrick Mkhise, ont expliqué aux résidents que l’objectif de leur visite était de souligner la situation lamentable des multitudes qui sont toujours sans terre et sans abri, quinze après l’avènement de la démocratie. Moodley a aussi dit aux résidents qu’il jugeait prudent d’entendre le point de vue des résidents, afin d’être guidé par eux en vue d’une action possible qui améliorerait leur situation. Elle a aussi mis l’accent sur le fait que le parti a décidé de procéder à cette enquête et de discuter avec les communautés après les élections, afin d’éviter que celles-ci ne soient interprétés comme une démarche électoraliste, un stratagème pour obtenir des voix. Ce que les résidents avaient à dire au PEC du Parti Socialiste d’Azania, est que leur famille ont squatté la région de Kenville depuis trente ans. Dans les années 1990 ils ont été déplacés vers ce bidonville près du dépôt d’ordure.

Le problème principal de cet endroit spécifique est qu’il est impropre à l’habitation humaine. Chaque fois qu’il pleut, toute la région est inondée. Les taudis sont construits avec du bois et du matériel en plastique ; il sont tellement près les uns des autres que si un taudis prend feu tout le bloc est consumé. Les émanations suffocantes des ordures aggravent les risques pour la santé. La municipalité d’Ethekwini a construit 8 toilettes communales ; quatre pour les hommes, quatre pour les femmes. Ces toilettes sont au bord de la route principale, à la périphérie du bidonville, ce qui rend leur accès difficile à ceux qui vivent loin. La nuit, tout cela crée un problème de sécurité, surtout pour les femmes et les enfants. Les robinets d’eau se trouvent aussi en périphérie, le long de la route principale. Les résidents obtiennent de l’électricité par des connections illégales à partir des poteaux qui supportent les lignes qui alimentent les maisons en dur de Kenville.

Nombre d’enfants sont morts éléctrocutés suite à ces connexions illégales. Les résidents citent le chômage et la pauvreté comme étant leurs problèmes principaux qui, dans la région, ne sont pris en charge par aucun programme provenant soit du gouvernement soit des ONG. Il n’y a pas non plus d’endroits où les enfants puissent jouer en toute sécurité ni d’installations à leur intention. Un autre problème soulevé par les résidents fait état de la pierre d’achoppement que représente l’affiliation politique, dans la mesure où elle empêche la population de parler d’une seule et même voix.

Il y a trois partis politiques dans cette région : Inkatha Freedom Party, l’ANC et le Parti Socialiste d’Azania. Souvent, le gouvernement exploite ces divisions afin d’empêcher les efforts de la communauté à présenter un front uni en faveur de la question du logement. Entre 2005 et 2006, le Parti Socialiste d’Azania a organisé des marches de protestation lors desquels des pétitions ont été remises au gouvernement provincial et à la municipalité d’Ethekwini. Il y aussi eu une série de réunion entre le SOPA et la municipalité de Ethekwini, lors desquels le parti a mis sur la table diverses propositions pour des logements décents et habitables.

Après des réunions sans fin, qui n’ont abouti à rien, les représentants de la municipalité ont dit au SOPA que puisqu’il est un parti politique, il doit faire preuve de sa valeur et obtenir des sièges dans le gouvernement local où il pourrait soumettre des motions et faire des propositions. A défaut, il n’a qu’à se taire. L’an dernier, la population de tous les bidonvilles qui entourent Kenville ont fait une marche pour souligner le problème. Il est allégué que le conseiller responsable du bidonville près du dépôt d’ordures a annoncé qu’il n’y avait pas de problèmes dans son secteur. Sur la base de cette histoire, la consultation du 16 juin a mandaté le SOPA pour explorer les possibilités de soumettre une pétition au conseiller local ainsi que la possibilité de porter plainte contre la municipalité d’Ethekwini et le gouvernement provincial pour atteinte aux droits au logement, à la sécurité et à la dignité des résidents du bidonville de Kenville.

La réunion a aussi reconnu que les résidents, toutes tendances politiques confondues, doivent être consultés et qu’un contact doit être établi avec le comité de développement local. Le comité a été constitué par la municipalité d’Ethekwini, mais les résidents sont sur la réserve compte tenu du nombre de membres de l’ANC qui, en règle générale, endossent les décisions des fonctionnaires gouvernementaux. Après la réunion, les dirigeants du SOPA ont EU une brève discussion informelle avec deux membres du comité de développement.

Les membres du comité ont informé le SOPA que des résidents du bidonville seraient relogés dans un espace, entre des maisons en dur et des taudis. Ils ont indiqué que des personnes vivant dans des taudis provenant d’autres régions seraient aussi relogées en cet endroit. Ce qui signifie que seul un petit nombre des résidents de ce bidonville spécifique sera relogé. L’endroit en question est déjà densément peuplé et se trouve toujours à proximité du dépôt d’ordures. En d’autres termes, la qualité de vie et le bien-être de la population ne va guère changer. Déplacer les gens d’un endroit sordide vers un endroit juste un tout petit peu moins sordide pose la question de la signification de telles actions, du Département du logement et d’autres départements.

L’interprétation positive serait de dire que l’établissement d’humain dépasse la simple question du logement et comprend aussi un jardin où il y a moyen de produire de la nourriture et de mener d’autres activités et devraient inclure la proximité d’aménagements sociaux, être à une distance raisonnable de lieu de travail, etc.

L’interprétation négative est que, pendant que le gouvernement ne peut fournir un logement pour tout le monde, il va déplacer les gens qui résident dans des bidonville inhabitables vers d’autres taudis ou des construction en plaques de béton, dans des ‘’villages’’ informels avec un minimum de développement mais où manquent plusieurs aménagements essentiels. Le compte rendu fourni par ces messieurs du comité de développement semble plutôt pointer vers cette deuxième version. On espère que le scénario de Kenville sera une exception. L’avenir nous le dira.

En substance, le compte rendu des deux membres du comité ne montre aucun progrès tangible. Ce qui signifie que SOPA et d’autres organisations progressistes et émanant de la société civile doivent continuer d’envisager un recours aux tribunaux et trouver des moyens de contraindre le gouvernement à fournir des logements décents et habitables, avec de vrais jardins et des aménagements sociaux.

Comment est-ce possible d’en être arrivé au point où les gens doivent avoir recours à la justice pour obtenir des choses aussi fondamentales que l’eau et le logement qui sont tous deux garantis par la Constitution ? Récemment, une cour de justice sud africaine s’est prononcée en faveur du droit à l’eau de la population. Devinez qui a fait recours contre la décision des juges et a porté l’affaire devant la Cour d’appel afin d’annuler la décision d’un juge probablement hérité de l’ère de l’Apartheid ? La Cour d’appel a confirmé le premier jugement. Devenez qui envisage de faire recours en portant l’affaire devant la Cour constitutionnelle ? Qui s’est élevé contre la décision des victimes de l’Apartheid/capitalisme qui voulaient faire comparaître devant un tribunal international les grandes multinationales qui profitaient du système ? Qui ? Qui a tué Biko et Hani et Solomon Mahlangu et Hector Peterson et Muntu ka Myeza et Masabata Iwate et tant d’autres. Les Boers et leurs sbires n’ont fait que tuer leur chair. L’esprit de Mahlangu, Biko, Hani, Peterson, Iwate est tué ici, par nous.

Les Boers et leurs sbires ont manqué de tuer Biko et Hani. Nous réussissons là où l’Apartheid/capitalisme a failli. Nous tuons l’esprit de Tambo et Biko chaque jour. Nous nous détestons les uns les autres. Nous nous entretuons. Nous violons nos enfants. Nous brûlons nos grand’mères. Nous aimons les belles choses pour nous-mêmes, mais attendons de nos frères et sœurs d’endurer les conditions comme celles qui prévalent dans ce camp de Kenville. Pour eux, Rome sera construite aux calendes grecques, mais pour nous il nous suffit d’un jour pour déplacer nos bureaux de PDG, de conseiller, directeur, hommes d’affaires de Zamdela à Vaalpark et de Mofolo à Houghton.

Qui a tué Biko ? Botha ? Non, Botha n’a pas pu tuer Biko. Malan n’a pas pu le tuer. Seuls nous-mêmes avons pu le tuer. Seuls nous-mêmes en avons été capable. Personne d’autre que nous-mêmes n’est l’ennemi. Pour tuer l’ennemi, il faut vraiment tuer l’ennemi intérieur. Qui a dit que la conscience noire n’a plus rien à nous dire ? Réveillez-vous, peuples noirs, ainsi que les Blancs aimant la justice et les peuples du monde. Conscience noire, instille en nous l’amour de nous-même afin que nous puissions rayonner d’amour et puissions englober tous les humains dans l’amour.

Nous sommes toujours loin de ce rêve de Biko, le plus grand cadeau de l’Afrique au monde : un visage plus humain. Ceci n’est possible que si nous nous aimons nous-même. Un proverbe africain dit : N’accepte pas un manteau de la main de quelqu’un qui va nu. Comment une personne qui n’aime ni elle-même ni son peuple, comment peut-elle vous dire qu’elle vous aime ? Comment pouvez-vous avoir un sens du respect de vous-même et de votre dignité alors que vous vivez dans l’opulence et que vos frères et sœurs, vos pères et vos oncles, voisins et amis vivent dans la misère noire ? Il semble que nous ayons combattu pour obtenir des richesses matérielles et il nous est échu la pauvreté d’esprit !

ilitye lika Biko li nxonxozile lizovulwa ngubani? Vuka ntsundu. tsoha guerilla, steve biko o batla masole. o robaletseng. Azania ke ya Rona.

La lutte continue. La lutte est éternelle.

* Mphutlane wa Bofelo est un écrivain et un militant qui se passionne pour d’éducation créative, la littérature et le théâtre comme instruments de transformation et de développement.

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