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« La préoccupation n’est pas au sujet de mon oppression, mais au sujet de l’inaccessibilité des corps qui portent le hijab et du fait que certaines gens ne se sentent pas généralement à l’aise devant ceux qui n’ont pas de problèmes avec les signes visibles de différence culturelle et religieuse », écrit Kameelah Janan Rasheed en relatant son expérience personnelle sur le port du hijab.

Je me suis embarquée sur une toile de voyages continus, bien que non-linéaires, et interconnectés textuellement et sur des matches de discoureurs vers une histoire cohérente concernant le hijab. J’avais peur qu’en écrivant à propos du hijab mes pensées seraient si résonnantes des travaux qui ont précédé, que mon histoire serait remise au musée des anachronismes et clichés embaumés. Cette peur m’a fait courir le plus loin que mes courtes jambes puissent me porter loin du paradigme oppression –libération, et en me cachant dans un coin obscur loin des gens en repentance qui se haïssent pour ce qui est de la laideur de l’Islam.

Je ne m’intéresse pas à prouver à personne que je suis en effet libérée ou qu’en portant le hijab aux Etats-Unis je m’engage dans une action de féministe radicale. Juste comme j’ai arrêté, il y a des années, la tâche de prouver ma noirceur ou ma féminité à ceux qui doutaient de mes « lettres de créance », je ne compte pas passer du temps ici à valider mon humanité ou mon agence. Une telle tâche constitue une distraction. La tâche ici revient ici non à mijoter en me servant des mots bizarres ou à faire une présentation du hijab et de moi-même qui va me garantir l’entrée dans la communauté féministe ou « la grande » communauté. Je ne veux pas passer de temps en cherchant à convaincre les gens qu’en fait mon hijab n’est pas chirurgiquement attaché à ma peau.

Non plus, je ne veux pas dépenser mon énergie en présentant des arguments comme quoi il n’y a pas un fileur intégré dans mon hijab qui crie un « haraam, haraam'» prononcé quand il y a une distance trop grande entre ledit hijab et ma tête. La tâche ici consiste à partager des histoires qui ne vont faire rien qu’illustrer que des libérateurs auto-proclamés qui sont convaincus de mon oppression sont en train de faire plus pour m’opprimer que mon hijab n’ait pu jamais le faire en me fixant dans des incarcérations conceptuelles.

En me disant qu’en tant que « hijabi”, je ne peux représenter et ne peux être vue que comme l’épitomé de l’oppression – l’aberration atavistique, alors vous avez réussi à réifier les structures patriarcales que vous prétendez mépriser. Vous m’avez tenue en otage dans votre imagination et ma seule clé vers la liberté est de me rendre et de corroborer vos suppositions de ma subjugation.

Si je vous dis que je suis confortable en tant que hijabi, et que je ne me sens en aucune manière restreinte, pourquoi ressentez-vous toujours la nécessité de me parler comme si j’étais une enfant? Pourquoi ressentez-vous la nécessité de me convaincre que je suis en train de vivre dans une matrice où j’ai essayé de confondre libération et oppression? La question n’a pas tellement été « Kameelah est-elle opprimée'? » parce que quand cette question est posée je ne pense pas qu’il y ait une réelle préoccupation pour mon bien-être.

La question a toujours compris deux parties: « Pourquoi sentez-vous que c’est votre droit de me dire comment je devrais mener ma vie? Et : “ Pourquoi vous en souciez-vous même? » Mes expériences, qui sont miennes et ne sont pas à généraliser jusqu’aux autres hijabis, ont illustré que la préoccupation n’est pas mon oppression, mais l’inaccessibilité des corps des hijabi et un malaise général devant ceux qui n’ont pas de problèmes avec des signes visibles de différence culturelle et religieuse.

Mon enfance et mon âge adulte, dont ni l’un ni l’autre n’est un stade complet de la vie, étaient pleins de paradoxe et d’aliénation tant que je tentais de naviguer ce qui me semblait être un territoire rude non réglementé d’une trop courte fille musulmane noire suspendue dans les temps et dans les espaces qui ne pouvait que juste m’ « imaginer ». Je suis fille de deux musulmans noirs de la classe ouvrière repentis. J’ai grandi dans une petite cité au nord de la Californie où l’on pouvait compter le nombre de musulmans sur les doigts d’une main. Parce qu’être observé longuement et entendre des commentaires impolis m’être lancés est une tâche sadique dans laquelle je prends plutôt plaisir, j’ai alors passé quatre ans à une école catholique privée où je n’étais pas la seule du très petit nombre d’étudiants noirs, je vagabondais en tant seule étudiante musulmane.

Pensant que ça ne pouvait être pire alors être appelée piégeuse de bombes kamikaze, ou l’épouse d’Osama bin Laden, j’ai embarqué sur un autre voyage de quatre ans à une institution artistique libérale où le nombre d’étudiants musulmans était soulageant. Alors que la plupart de commentaires à cette institution étaient réservés aux discussions privées, l’expérience de collège ainsi que mon temps à Johannesburg, Afrique du Sud offrent l’opportunité de comprendre ce qui ennuyait littéralement les gens à propos de mon hijab.

Lorsque j’étais à Yeoville, un quartier hybride centre ville/banlieue de Johannesburg, un homme qui avait l’intention de me libérer non seulement de mon oppression de nature genre mais aussi de ma confusion raciale m’a approchée. Apparemment, « Je ne suis pas libre » tant que je porte le hijab et l’Islam n’est pas une religion africaine.

J’avais commis non seulement le sacrilège d’embrasser une croyance qui me « forçait » d’être modeste; j’avais choisi une croyance qui n’avait pas de racines en Afrique. Ne nous soucions pas des faits historiques qui disent le contraire, puisque cela est la moindre de nos préoccupations. Ce que j’ai trouvé d’ultime importance dans ce monologue (oui, parce que j’étais incapable d’obtenir un mot qui convient)était qu’il conceptualisait mes canaux de liberté à travers l’enlèvement rituel de mon hijab et sa pénétration ou conquête sexuelle. Je n’avais jamais su que ma trousse d’outils en matière de liberté incluait un pénis et un guide d’instruction – je vais garder ceci à l’esprit.

Comme il continuait de parler sous forme d’une série d’insultes mal formulées, je me suis rendue compte que ceci n’était plus au sujet de l’oppression dans le domaine du genre ou de l’authenticité noire; c’était à propos de la politique d’accessibilité de certains corps. Il a répété dans un style presque hypnotique, “ Je ne peux pas te voir…Je ne puis voir ton essence”. Suivant son argument, en portant le hijab je me rendais inaccessible aux hommes, et en particulier à lui. Choisir de me placer hors du radar ne constituait pas un droit que je pouvais exercer. En fait, il m’était exigé de me rendre disponible et accessible pour sa contemplation de même que la contemplation d’autres hommes.

Ainsi, le crime que j’avais commis n’était pas celui d’accepter de porter ma subjugation en tant que femme musulmane et « confondu la femme africaine », mais de refuser de me situer dans son discours myope de libération qui, en définitive, me place à sa merci. Si je me suis trompée dans cette supposition, cela fut plus tard confirmé par un certain nombre d’hommes à Johannesburg et en Amérique qui m’ont raconté des histoires semblables de mon inaccessibilité, en tant que raison pour laquelle je ne devrais pas porter le hijab.

Ils ont commencé par me raconter comment ils étaient sincèrement préoccupés par mon oppression et progressé vers un désir voilé d’avoir un passage libre pour accéder à moi. Ce n’était pas toujours à propos de ce qui était dit, mais la manière dont ces diatribes étaient délivrées. Dans plusieurs de ces situations, ces hommes ont utilisé des tons agressifs et paternalistes. Ils ont tenté de me réduire au silence en faisant monter leurs voix. Ils se sont efforcés de discréditer ma ligne de défense en me disant que je ne connais pas assez. Et surtout ils furent surpris du fait que j’étais capable de mettre ensemble des mots pour former une phrase et répondre au feu par le feu.

Cela fut un rappel que le fait de couvrir ma tête ne signifiait pas que mon esprit ou ma bouche était couverts. Maintenant, ma mère m’a appris que dans une conversation je dois m’exprimer sans tenir compte du genre de l’interlocuteur. Mon père m’a enseigné qu’il faut le faire avec tact. Je pense qu’alors que je parviens mieux à suivre le conseil de ma mère que celui de mon père, il m’a fallu avoir cette leçon.

En réalité, les hommes et les institutions qui me considèrent comme moins intelligente et inapte peuvent-ils aussi se préoccuper de la mort du patriarcat? La présente bataille a toujours été celle à propos de l’accessibilité de certains corps et d’un certain malaise neurologique devant ce qui est différent. Si je peux être convaincue ou forcée à laisser tomber le voile et assimiler mon discours et mon style de vie quelqu’un d’autre peut s’en sentir soulagé. Quelqu’un d’autre va assumer davantage d’accès sur mon corps. Cependant, pour que quelqu’un d’autre se sente à l’aise lorsqu’il me regarde, et qu’il gagne davantage de dominion sur moi, une certaine partie de moi doit être sacrifiée.

Je ne peux pas donner des observations définitives à propos hijab de manière générale ou en ce qui concerne mon expérience personnelle. Ce que je peux dire c’est que puisque ces discours au sujet de mon oppression atteignent des proportions nauséabondes et une préoccupation hégémonique dans de nombreuses imaginations, je continuerai d’écrire. Je n’écrirai pas pour prouver ma libération, mais pour affirmer mon droit d’exister selon mon choix sans harcèlement, intimidation or ridicule.

Les gens disent souvent, « Eh bien si vous ne voulez pas être repérée parmi les autres, alors ne portez pas de hijab tout simplement ». Je crois qu’après avoir fait cela, je devrais rendre plus claire ma peau brune afin d’atteindre une couleur plus apaisante ? Ou bien remettre mes hanches à mama. L’assimilation n’est pas une option. La réalité est que, oui, je porte le hijab et non, je n’ai pas besoin de votre approbation. Pendant que je n’ai pas besoin de votre approbation, j’aimerais toutefois jouir
d’ un peu de respect.

* Kameelah Rasheed est une érudit de Fulbright à Wits University à Johannesburg, Afrique du Sud. Elle fait également du blogging à l’adresse Kameelah Writes.

* Cet article a d’abord paru dans le numéro 292 de l’édition anglaise de Pambazuka News. Voir :

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