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De nombreux Ougandais jugent qu’il n’y a pas tellement matière à célébrations dans un pays où la politique concerne l’enrichissement par la corruption. Mais il y a une conscience croissante qu’il est nécessaire de se mobiliser et de manifester en faveur d’un véritable changement.

Le 9 octobre marquait le cinquantenaire de l’indépendance de l’Ouganda et la fin de la colonisation britannique. Yoweri Museweni et le National Resistance Movement (NRM), au pouvoir de 1986, ont célébré l’évènement lors d’une cérémonie officielle qui s’est déroulée dans le district de Kololo dans la capitale Kampala. Seize chefs d’Etat provenant de pays africains, ainsi que le duc de Kent, représentant la reine Elizabeth qui a accordé à l’Ouganda son indépendance en 1962, ont assisté à la cérémonie.

Le NRM, au pouvoir depuis plus de la moitié du temps écoulé depuis l’indépendance, a été accusé par le Forum for Democratic Change (FDC), conduit par Kiiza Besigye, d’être responsable du fait que l’Ouganda "saigne toujours, 50 ans après l’indépendance". En fait, au cours de la semaine précédant le 9 octobre, l’opposition a mené une série de protestations, sous l’appellation de "Walk to freedom" (marche vers la liberté), afin d’exprimer sa frustration face à l’incompétence du régime au pouvoir, dans un effort de retrouver l’esprit et les valeurs que l’indépendance avait promises. Ceci malgré l’interdiction décrétée par le gouvernement d’organiser des manifestations publiques jusqu’après les célébrations de l’indépendance afin de prévenir des menaces contre la sécurité nationale. La défiance a été soumise au gaz lacrymogènes. C’est l’odeur qui imprègne l’air de Kampala quotidiennement, semble-t-il.

AU-DELA DES CELEBRATIONS OFFICIELLES

L’atmosphère de célébrations "officielles" que le gouvernement tentait de générer n’a pas été facilement trouvée chez les Ougandais ordinaires, qui restent frustrés par le régime au pouvoir et son incapacité à se mettre au diapason des besoins de la population qu’il est supposé représenter. L’élection de 2011 a vu la réélection de Museweni qui rempile pour cinq ans au bout desquels il aura été au pouvoir pendant 30 ans. Sans compter qu’il a exprimé son désir de se présenter à nouveau en 2016

Dans ce contexte, il est facile de voir pourquoi, pour de nombreux Ougandais, la signification du 50 anniversaire est altérée. Il y a le sentiment général que bien que la date soit significative, l’atmosphère d’autosatisfaction qui prévaut, les attitudes exclusives et élitistes des membres du gouvernement qui s’ajoutent à la situation politique actuelle, montrent que son importance a été exagérée. Les Ougandais, auxquels j’ai parlé, préféreraient, et de loin, que des efforts soient entrepris pour combattre la corruption systémique, la nature élitiste de la politique et le coût de la vie en augmentation rapide. Même des améliorations minimes dans l’un de ces domaines auraient mérité d’être reconnues et peut-être même célébrées.

Au cours de ces dernières semaines, j’ai rencontré de nombreux Ougandais afin de découvrir comment ils allaient célébrer le cinquantième anniversaire de la libération du colonialisme. La plupart des gens ont saisi l’occasion pour faire savoir leur mécontentement quant à leur quotidien. Pour beaucoup d’Ougandais, l’ère coloniale et l’indépendance sont des thèmes de moindre importance en comparaison avec la situation actuelle de leur pays et son avenir, plus particulièrement leur propre existence quotidienne. Mzei Muna, un chauffeur de taxi avec qui je me suis longuement entretenu, parlait avec passion de l’augmentation du coût de la vie à Kampala au cours de ces derniers mois et qui est maintenant bien documenté. La hausse du prix des carburants et ses répercussions sur d’autres biens de consommation (sucre,riz, matoke) ont grignoté le bénéfice de ceux qui vivent en marge et qui n’ont pas d’augmentation de salaire en conséquence.

La population devient de plus en plus inquiète en ce qui concerne ses moyens de survie. Ceci est une préoccupation aussi bien des communautés urbaines que rurales. Il remarque que bien qu’il va passer le temps des célébrations nationales avec sa famille, il n’y aura pas de célébrations faute de moyens. Cet avis est partagé par Kate, une employée de maison à Kampala : "Nous souffrons toujours. Je ne peux pas payer les frais de scolarité de mes enfants et si je vais à l’hôpital il n’y a pas de médicaments sans argent. Ils (le gouvernement) ne paient pas les enseignants, les médecins et les infirmières suffisamment et tout devient plus cher"

Pourtant l’augmentation du coût de la vie n’est pas le seul aspect du paysage politique ougandais : la corruption très répandue et systématique de la classe dirigeante, impliquant souvent ceux de la sphère politique (exemple des privilège économique octroyés aux donateurs pour les campagnes électorales, le travail et les contrats qui vont à ceux favorisés par des liens familiaux, l’usage constant de pots de vin informels afin d’accélérer des processus bureaucratiques de base ou même juste pour les mener à bien) est un aspect que de nombreux Ougandais endurent avec humour. Mais la réalité n’est pas drôle !

LA CORRUPTION COMME MODE DE VIE

Le rapport de 2011 de Transparency International a mis l’Ouganda au 143ème rang des 183 pays, en faisant l’un des pays les plus corrompus au monde. Ceci prend en compte la corruption politique et la perception de la corruption, y compris les pots de vin payés localement pour des services auxquels la population a droit : pour éviter un problème avec les autorités ou pour accélérer l’obtention d’un service. Des statistiques contenues dans le rapport, rassemblées dans le Global Corruption Barometer, mettent en lumière le bilan de l’Ouganda :

• L’institution perçue comme étant la plus corrompue est la police. Viennent ensuite le judiciaire, les fonctionnaires publics ;
• 87% des personnes interrogées déclarent avoir payé au moins un pot de vin en 2010 à au moins un service ;
• 67% des personnes interrogées estiment qu’entre 2007 et 2010, le degré de corruption s’est aggravé.

Des situations comme la construction du barrage de Karuma mettent en lumière la corruption institutionnelle qui est omniprésente en Ouganda. Dix sept ans après que le gouvernement a annoncé son projet de construire le barrage, celui-ci est embourbé dans des retards, des pots de vin, des accusations qui volent dans tous les sens, avec un coût dont il est attendu qu’il va atteindre les 2,2 milliards de dollars, c'est-à-dire le double de l’estimation initiale.

Cissy Kagaba, directeur exécutif de la Anti-Corruption Coalition Uganda (ACCU), n’est pas impressionné : "Les actions du ministère de l’énergie illustrent le degré d’impunité qui a cours dans notre pays où des fonctionnaires, délibérément et avec arrogance, ignorent les procédures mises en place et s’en tirent. Ceci démontre que la question de la responsabilité ne réside pas dans le nombre de lois qui sont appliquées, mais dans l’engagement politique à respecter ces lois, même si elles sont peu nombreuses. Le mot de Publius Corenlius Tacitus qui dit que "Plus l’Etat est corrompu, plus il y a de lois" est d’actualité dans le contexte ougandais. Dans un pays idéal, la solution aurait été un remaniement complet du ministère de l’Energie.

Ceci ne se produit pas dans un vide purement national. Le détournement de l’aide internationale vers les poches de la classe dirigeante ne fait aucun doute. Mais j’ai choisi de considérer les problèmes nationaux lors des célébrations du cinquantenaire de l’Ouganda.

J’ai été frappé de voir, au cours de mon bref séjour dans le pays, combien il est impossible d’échapper au thème de la corruption au cours des discussions portant sur l’intervention politique dans le pays. Une émission radio populaire pour la jeunesse, « Sanyu Breakfast », a voulu mener un débat sur un rapport qui propose une petite taxe prélevée lors de chaque appel téléphonique ou litre de carburant (dans l’ordre de 1 shilling ougandais, somme minime). La somme ainsi récoltée servirait à des programmes de préventions du HIV/SIDA

En terme de politique, il y a des mérites et des défauts à cette idée : elle pourrait libérer des fonds dans le budget de la santé pour d’autres programmes et profiter à l’ensemble de la société en diminuant le taux d’infection. Toutefois, le débat n’était guère centré sur le mérite relatif au soutien ni sur la politique elle-même et ce qu’elle représente. La seule chose qui semblait digne d’être discutée était la question de la responsabilité :
- qui va contrôler cet argent ;
- c’est un autre programme du gouvernement pour se faire l’argent ;
- l’argent ne sera jamais utilisé pour le but affiché.

L’absence de confiance entre ceux au pouvoir et ceux qu’ils sont supposés représenter est évident, même à l’heure du petit déjeuner. Elle sert à démontrer une fois de plus le fossé entre les échelons supérieurs de la société et les communautés de la base. L’absence d’expression politique dans la vie quotidienne génère des frustrations croissantes parmi la jeunesse du pays.

L’idée que de nombreux membres au cœur du gouvernement ont perdu le contact et ne sont impliqués dans la politique que pour servir leurs propres intérêts est manifeste si l’on examine l’actuel cabinet de 28 membres. L’âge moyen des ministres du cabinet étant de 62 ans, avec 20 d’entre eux ayant atteint l’âge de la retraite de 60 ans (y compris le président), ceci suggère qu’ils sont des reliques d’un autre âge, inadéquats pour faire progresser la nation ougandaise qui a 50 ans. Pendant que Kampala reflète un environnement urbain africain en transformation rapide, son gouvernement reste dans la stagnation et l’insularité, plus attentif à l’auto-préservation qu’au progrès de la société. L’âge, semble-t-il, n’est pas juste un chiffre.

Le gouvernement de Museweni est régulièrement critiqué pour être négligent. Ce qui, selon certains observateurs, est dû à l’indolence et la paresse et au manque d’imagination d’un cabinet dominé par des personnes, dont certaines étaient déjà ministres ou des personnalités publiques dans le gouvernement d’Idi Amin, à l’époque ou le défunt père des nouveaux parlementaires étaient encore à l’école primaire.

OBTENIR LA CONFIANCE DU PUBLIC DANS UNE REPUBLIQUE INDEPENDANTE

Alors que l’Ouganda célèbre ses 50 ans d’indépendance, elle lutte toujours afin d’introduire la responsabilité dans ses institutions afin qu’elles reflètent et puissent être façonnées par ses 35 millions de citoyens. Aussi longtemps que cet objectif ne sera pas atteint, de nombreux Ougandais estiment n’avoir rien à célébrer et que la pleine indépendance n’a pas encore été obtenue. Et pourtant, il reste un sentiment que l’esprit de l’indépendance est toujours vivace et que la lutte pour la démocratie ougandaise gagne du terrain.

Il y a plus que juste de l’espoir d’un changement. Un mouvement prend de l’ampleur et de la popularité pour demander des comptes aux autorités. Même lors des émissions matinales. Dans cet esprit démocratique, le mieux c’est de laisser le dernier mot aux citoyens ougandais :

" Ce que j’aime aujourd’hui en Ouganda, c’est la relative paix et la stabilité dont nous jouissons. La question est de savoir combien de temps cela va durer, en particulier si nous ne concourrons pas avec les lignes politiques qui soutiennent la paix et la stabilité, comme la tenue d’élections justes et libres" (Monday Kabiito, Masaka).

"Je me demande si nous sommes véritablement indépendant compte tenu du fait que nous sommes toujours largement financés par nos anciens maîtres coloniaux" (Stella Ssali, Kampala).

"Il y a de la stabilité dans le pays, les gens construisent de grandes maisons et l’instruction est gratuite en Ouganda" (Faith Biyinzika, Jinja).

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** Jamie Hitchen vit et travaille à Kampala en Ouganda. Ayant obtenu son Master en politiques africaines de la School of Oriental and African Studies (SOAS), il travaille pour le Human Rights Centre Ouganda (www.hrcug.org) Cet article a d’abord été publié par l’Irish Global Education. www.developmentEducation.ie - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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