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La souveraineté alimentaire ne découle pas de slogans. Il y a nombre de préalables à assurer. Une de ces priorités me paraît importante : c’est la recherche. Mais une recherche qui associe les paysans. Nous avons un savoir faire, nous connaissons notre environnement et nous avons une meilleure idée de nos contraintes et de nos besoins. Avec un monde paysan tenu à l’écart du travail que mènent les chercheurs faute d’articulations, certains résultats dorment dans les tiroirs. Or les innovations et les inventions n’ont aucune utilité tant que l’expérimentation n’a pas fait ses preuves au niveau des champs. On peut dire la même chose du transfert de technologie, faute de mécanismes articulés.

Pour un développement agricole en Afrique, il est important de trouver des passerelles qui permettent d’exploiter le savoir-faire paysan et le coupler aux découvertes de la science moderne. Cette synergie doit reposer sur une volonté politique qui dépasse les simples programmes, surtout décrétés par l’Etat sans l’avis des producteurs. Depuis des années c’est ce à quoi on assiste au Sénégal, à la place des stratégies définies à long terme. Or, la sécurité alimentaire doit reposer sur une démarche sérieuse et concertée. Elle part de l’exploitation familiale qui est la cellule de base, le niveau de planification le plus bas. De là on peut réfléchir au niveau du village, puis des collectivités locales, de la région, avant d’atteindre la dimension pays.

A chaque niveau d’élaboration de cette politique, des accompagnements sont nécessaires. Aussi bien dans la technicité que dans la technologie à mettre en place, en encore dans le conseil et le suivi. Aujourd’hui, le monde rural manque de conseils agricoles. Le Sénégal dispose d’une Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural. Mais que peut faire une seule structure quand elle est chargée de suivre une communauté rurale de plus de 100 villages ? Au regard de ces limites, notre Union des groupements paysans cherche à se prendre en charge. Cependant, une telle entreprise va au-delà de nos capacités. Rien que de poser de bons diagnostiques pour comprendre et accompagner la logique et les mécanismes de l’économie familiale prend du temps.

L’Etat doit se pencher sur cet encadrement paysan pour le rendre efficient et efficace. Mais surtout le faire d’une manière qui tienne compte de nos intérêts et de nos réalités. A ce propos, une prise de conscience se développe dans le monde paysan. Nous devons attentifs et prudents par rapport à toutes ces initiatives qui tendent à nous replonger dans une forme nouvelle de recolonisation. Car c’est ainsi que nous percevons la révolution verte et l’intervention de toutes ces multinationales qui nous viennent avec leurs semences, leurs intrants et leurs Ogm. Nous comprenons les mécanismes de dépendance qu’elles veulent mettre en place.

Aux semences venues d’ailleurs nous préférons les nôtres. Elles peuvent être performantes si leurs conditions d’exploitation sont améliorées. Nous sommes également pour une fertilisation basée sur l’organique. De même, nous souscrivons à des techniques de production qui n’épuisent pas nos ressources. Il est aussi important de noter que le développement du monde paysan repose aussi sur l’affermissement de la dynamique ville-campagne en matière de production. Il faut promouvoir les petites exploitations familiales dans une perspective qui leur permet de nourrir les centres urbains. Mais cela suppose un changement des comportements alimentaires. Dans les conditions actuelles de colonisation alimentaire qui font que nous mangeons du pain français au petit déjeuner alors que nous ne produisons pas du blé, et laissons de côté le couscous ou la bouille matinale, on ne peut parler de politique de développement agricole.

* Samba Mbaye est animateur rural de l’Union des groupements paysans de Mékhé (UGPM), au Sénégal

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