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Azls

Un nouveau monde se construit, bâti avec le sang des peuples qui se soulèvent dans les pays arabe et déferlent comme une lame de fond. Dans les capitales occidentales on se positionne en soutiens de ces aspirations qui explosent après avoir été longtemps brimées. Mais pour Richard Pithouse il ne faudrait guère se tromper : «Quelles que soient les déclarations pompeuses qui émanent de Washington et de Bruxelles, affirmant le contraire, ces révoltes ne sont pas en faveur des valeurs américaines ou européennes. Au contraire, elles sont un défi direct à ces valeurs.» Des valeurs qui ont toujours promus des dictateurs honnis et aujourd’hui destitués.

Alors que les premiers rapports non confirmés, qui faisaient état d’attaques aériennes contre les protestataires à Tripoli et Benghazi, parvenaient à Al Jazeera, la station a pris contact avec un porte parole de l’Union européenne. Il y a eu des discussions qui portaient sur la nécessité d’affirmer ‘’les valeurs européennes’’. Un moment plus tard, l’émission a été abrégée pour parler des deux pilotes de combats qui avaient atterri à Malte et qui ont demandé l’asile, refusant d’attaquer les protestataires à Benghazi. Ces pilotes ne sont pas les premières personnes à être arrivées à Malte après avoir traversé la Méditerranée depuis la Libye. Mais la plupart des gens qui font le voyage n’arrivent pas en Mirage F1.

Les migrants suivent des routes diverses pour parvenir en Europe. Il y a ceux qui passent en Grèce depuis la Turquie et d’autres qui traversent depuis l’Algérie pour arriver en Espagne. Nombreux sont ceux qui traversent le Sahara pour se rendre en Europe à partir de la Libye, qui passent par les océans pour arriver à Malte ou en Italie. Les migrants proviennent de la Somalie, du Tchad, du Sénégal, du Nigeria et de toute l’Afrique du Nord et de l’Ouest.

La traversée de la Méditerranée est courte, mais souvent dans des bateaux surchargés et nombreux sont ceux qui ont sombré. S’ils sont interceptés par la flotte italienne, les migrants sont contraints, à coup de gourdins ou de bâtons qui dispensent des chocs électriques, de quitter leur bateau et sont emmenés en prison à Tripoli. En violation grossière du droit international, aucun effort n’est fait pour déterminer si les migrants sont des réfugiés politiques, pour s’enquérir de leur santé ou pour demander où sont les parents des enfants qui peuvent se trouver là.

De Tripoli, ils sont emmenés vers des centres de détention pour migrants financés par l’Europe, dans des endroits comme le minuscule village de Al Qatran, dans le désert près de la frontière du Tchad et du Niger. Al Qatran est à 1000 km de Tripoli et le voyage en camion pour les migrants capturés peut durer trois jours. Dans les centres de détention il peut y avoir jusqu’à 50 personnes dans une chambre. Ils dorment à même le sol. Le sadisme routinier qui surgit, dès lors que des personnes ont un pouvoir absolu, est endémique. On y pratique l’extorsion, le viol, le passage à tabac. Le suicide y est commun et les évasions de masse y sont fréquentes et de nombreux migrants ont été tués par les forces libyennes. Mais certains se sont enfuis dans l’immensité du Sahara et essaient de s’accommoder de leur liberté soudaine, sans papier et sans argent dans le désert.

C’est au début de 2003, au début de la guerre en Irak, que Tony Blair a, pour la première fois, proposé l’idée que les migrants qui essaient d’entrer en Europe devraient être envoyés dans des camps de transit de triage en dehors de l’Europe. On trouve là une logique similaire à celle des Etats-Unis qui a délocalisé la torture dans des pays comme l’Egypte.

Les tentatives initiales de Mouammar Kadhafi pour montrer qu’il était capable de faire la police le long de la frontière européenne n’ont pas été une grande réussite. En août 2004, un avion a été affrété pour déporter de Tripoli 75 migrants érythréens capturés. Mais les passagers ont pris le contrôle de l’avion en plein vol et l’ont contraint à se rendre à Khartoum où le HCR a identifié 60 d’entre eux comme d’authentiques réfugiés politiques. Le même jour, l’Union européenne à levé les sanctions économiques et l’embargo sur la vente d’armes à destination de la Libye.

En octobre 2004, on convint de discuter avec la Libye la ‘’questions de l’immigration’’ et une équipe technique s’y est rendue le mois suivant. La Grande Bretagne et la France se sont toutes deux dépêchées de vendre des armes à la Libye et en 2008, l’Italie et la Libye ont signé le traité d’amitié, de partenariat et de coopération entre la République italienne et la Grande Jamahiriya Socialiste Arabe du peuple libyen qui prévoit que l’Italie investira 5 milliards de dollars en Libye en échange, entre autres, d’un accord libyen de policer la migration vers l’Europe à partir de la Libye.

Silvio Berlusconi a expliqué que les relations plus étroites avec la Libye portaient sur ’’ moins d’immigrants et plus de pétrole’’. Depuis lors, Berlusconi et Kadhafi sont devenus, au travers des moyens d’investissements de leur trust familiaux respectifs, les co-propriétaires d’une compagnie de télécommunications majeure. Ce genre de relation personnelle entre un politicien élu occidental et un despote d’ailleurs, n’a rien d’une nouveauté. La ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a passé les vacances de Noël en Tunisie, invitée d’un homme d’affaire qui a d’étroites relations avec Zine el Abidine Ben Ali, alors que les manifestations contre Ben Ali prenaient de l’ampleur. La première réponse de l’Etat français aux protestations des populations a été d’envoyer des armes à Ben Ali. Le Premier Ministre français, François Fillon, a passé ses vacances de Noël sur le Nil, invité de l’Etat égyptien.

En mars 2009, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, commentait, lors d’une discussion sur des violations graves des droits humains par le gouvernement de Moubarak, pour dire : ’’Je considère vraiment le président et Mme Moubarak comme des amis de ma famille.’’ Au cours de ces dernières années, toutes sortes d’instituions européennes, autres que les compagnies pétrolières et les agences de sécurité, ont conclu leurs propres accords avec le dictateur de Tripoli. La London School of Economics a accepté un don de 1,5 million de livres de la Kadhafi International Charity and development Foundation, ‘’pour un centre de démocratie virtuel.’’ La fondation avait à sa tête ce même Saif al islam Kadhafi, qui a récemment avertit les contestataires à la télévision libyenne que le gouvernement de son père ’’se battra jusqu’à la dernière minute, jusqu’à la dernière cartouche.’’

L’Europe du colonialisme, de l’esclavage et du génocide ne peut guère revendiquer le leadership moral du monde. L’Europe qui a soutenu la dictature de Moubarak pendant 30 ans, la dictature de Ben Ali pendant 23 ans ne peut revendiquer le leadership moral du monde. L’Europe qui a contribué à écraser l’Irak ne peut revendiquer le leadership moral du monde. L’Europe qui a refusé de permettre au peuple haïtien d’élire les dirigeants de son choix en soutenant un coup d’Etat contre ces dirigeants en 2004, ne peut revendiquer le leadership moral du monde. L’Europe, qui a été directement responsable pour les morts documentées de 14 000 migrants depuis 1993, ne peut revendiquer le leadership moral du monde.

Il est vrai que la forme moderne de démocratie à débuté en Europe par la Révolution française en 1789. Mais lorsque les esclaves africains en Haïti ont décidé de s’approprier l’idée d’égalité, liberté, fraternité et ont mené à bien leur révolution en 1804, il est devenu immédiatement apparent que les Français ne considéraient pas que la démocratie était pour tout le monde. Ceci a été la position de l’Europe depuis lors.

Choisir la démocratie c’est ne pas choisir l’Europe et c’est certainement ne pas choisir les Etats-Unis d’Amérique qui ont renversé des gouvernements démocratiquement élus dans le monde entier lorsque les électorats ont eu la témérité d’élire ’’le mauvais candidat’’ En fait, un engagement sérieux en faveur de la démocratie signifie rejeter l’autorité morale et politique de l’Europe et des Etats-Unis d’Amérique. Tout engagement en faveur de la démocratie doit affirmer très clairement que tous les peuples ont le droit de se gouverner eux-mêmes comme ils l’entendent.

Nous ne connaissons pas la trajectoire des révoltes qui ont déferlé sur l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Mais une chose est certaine : quelles que soient les déclarations pompeuses qui émanent de Washington et de Bruxelles, affirmant le contraire, ces révoltes ne sont pas en faveur des valeurs américaines ou européennes. Au contraire, elles sont un défi direct à ces valeurs. Ce sont des révoltes contre les structures de pouvoir global, qui ont pris la forme d’une alliance des élites, avec une de ces idées maîtresses, une idée raciste, disant que les Arabes ‘’ne sont pas prêts’’ pour la démocratie. Cela résonne comme un écho à l’une d’une des justifications communes pour l’Apartheid. Mais la vérité simple est que quiconque dit que quelqu’un n’est pas prêt pour la démocratie n’est pas un démocrate.

Ben Ali et Moubarak n’étaient pas plus que des dirigeants co-optés de bantoustan, dans un système d’Apartheid global. La cruauté financée par le pétrole de Kadhafi, sa mégalomanie et son opportunisme l’ont entraîné dans maints directions au cours de ses 42 ans de règne, mais au cours de ces dernières années il a toujours suivi la même direction. Démocratiser un bantoustan est un progrès. Tout le système global doit être démocratisé.

* Richard Pithouse enseigne la politique à l’université de Rhodes - Source : The South African Civil Society Information Service (www.sacsis.org.za) - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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