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La peur est de retour au Zimbabwe, suite à la décision de Morgan Tsvangirai de se désengager du gouvernement d’unité nationale, dont le fonctionnement laisse à désirer, ainsi que l’écrit Mary Ndlovu. Dans une ambiance d’insécurité et de violences, voire d’assassinats entrentue par la ZANU PF et autres agents de l’Etat, les Zimbabwéens restent sceptiques pour ce qui est des derniers efforts de médiation de la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC) pour rapprocher leur pays de la paix et de la prospérité. Sauf que, selon Ndlovu, il reste un espace pour espérer un miracle.

La peur est de retour au Zimbabwe et il est peu vraisemblable que le raccommodage tenté avec la coalition gouvernementale qui s’effiloche va renverser le cours des choses. Du moins pas dans un futur proche. Les arrestations arbitraires, les enlèvements, les passages à tabac, la torture, les incendies de maisons, mais aussi les tueries perpétrées par des éléments de la ZANU PF et autres agents de l’Etat, sont de nouveau en augmentation. Les instigateurs sortent leurs griffes, menacent et terrorisent quiconque ose faire front. Non pas que les griffes aient jamais été complètement rétractées au cours de l’année écoulée, mais les prédateurs ont simplement eu à rester à l’affût et aiguiser leurs griffes pour une utilisation future. Il semble que l’heure soit de nouveau venue, aujourd’hui pour émerger et reprendre la chasse.

Il y a juste un mois, il restait un espoir ténu que le gouvernement de coalition pourrait nous sauver. Aussi longtemps que les acteurs politiques trouvaient moyen de maintenir une paix même fragile, et que l’économie pouvait avancer même d’un petit pas, il semblait possible que le futur promette une certaine stabilité et même un développement significatif. Les difficultés ont persisté. Le harcèlement des militants du MDC (Movement for Democratic Change) et l’obstruction de leur politique était systématique. Mais aussi longtemps que les trois partis restaient ensemble au gouvernement, il y avait une chance pour que, petit à petit, un nombre suffisant de politiciens influents du ZANU PF commencent à voir qu’il y a un avenir meilleur dans la coopération que dans la belligérance. Les évènements de ce mois dernier ont mis ces espoirs à l’épreuve et le MDC-T, vacillant sous les pressions constantes pour un retrait partiel du pouvoir, s’est tourné vers la SADC pour assistance. Malgré des prises de position plus musclée de la SADC lors de la réunion de la troïka pour la défense et la politique à Maputo à la fin de la semaine dernière, peu de Zimbabwéens mettent beaucoup d’espoir dans la trêve annoncée de 30 jours.

Nous devons nous souvenir des circonstances dans lesquelles ce mariage politique a eu lieu. Suite à l’impasse qui a suivi les élections sanglantes de juin 2008, la SADC, représentée par Thabo Mbeki, a omis de rappeler à Mugabe qu’il se comportait de façon illégale et s’accrochait au pouvoir sans base légitime et que, par conséquent, ne serait pas reconnu et qu’aucune coopération ne serait possible. Dans un mépris tout à fait représentatif de leur propre protocole démocratique, les Etats de la SADC ont simplement insisté pour que les gagnants du premier tour rejoignent les perdants qui tenaient toujours les rênes du pouvoir, au lieu d’exiger que la volonté de la majorité soit clairement déterminée et le vainqueur reconnu.

Au cours des négociations menant à cet accord inconfortable, les deux parties savaient qu’il était indispensable qu’elles participent et aucune d’entre elle ne voulait être perçue comme étant celle qui se retire. Malgré les fortes pressions exercées sur le MDC pour ne pas passer d’accord avec la ZANU PF, il était évident, pour la plupart des Zimbabwéens, qu’il n’y avait pas d’alternative. Le MDC devait tenter l’aventure afin d’alléger la souffrance de la population et faire un effort pour remettre l’économie sur pied, à partir des ruines laissées par la ZANU PF. Mais l’accord ainsi que la répartition des ministères rendait tout aussi évident que le MDC entrait au gouvernement sans vrai pouvoir. On pouvait présumer que la ZANU PF ne jouerait pas le jeu, coopérerait le moins possible et continuerait à préserver le pouvoir qu’il détenait encore afin de renforcer ses positions. Ce qui n’était pas encore apparu, c’était les abus de pouvoir persistants, et au vu et au su de toute la région et du monde.

Des progrès au plan économique ont été enregistrés au début de l’année, mais il semble aujourd’hui que la ZANU PF a gagné une première manche. Sa stratégie a été de continuer comme si rien n’avait changé, harcelant et intimidant ses ‘’partenaires’’ du MDC au gouvernement, s’efforçant de provoquer leur retrait. En utilisant la police, le bureau du procureur général, l’armée et les milices, ils ont pu déstabiliser complètement le MDC-T. Les responsables du MDC-T n’ont pas réussi à prendre l’offensive contre la ZANU PF et la déstabiliser à son tour. Ils ont mis leur espoir dans la stimulation de l’économie, privant la ZANU PF de ses anciennes sources de patronage au travers du RBZ et en améliorant le niveau de vie de la population. Mais ils ont été bloqués et empêchés à chaque virage. Finalement leur frustration a atteint un tel stade qu’ils se sont désengagés.

Les responsables du MDC-T savent que la ZANU PF veut les voir en dehors du gouvernement. Ils savent que s’ils se retirent, ils tombent dans le piège tendu par la ligne dure. D’où leur retrait qui n’est pas ‘’désengagement’’. Et leur premier réflexe a été, une fois de plus, d’appeler la SADC à ‘’faire quelque chose’’. La réunion tenue à Maputo a laissé entendre que la SADC est maintenant prête à prendre des mesures plus dures par rapport à l’intransigeance de la ZANU PF. Mais peut-on s’attendre à cela de sa part, alors qu’elle n’a rien fait au cours de la décennie écoulée ? Les espoirs placés en Zuma, le président de l’Afrique du Sud, n’ont pas encore porté leurs fruits. Même si le ton s’est durci à Maputo, les Zimbabwéens attendent avec scepticisme de voir si les choses seront cette fois différente.

Le désengagement de Tsvangirai, bien que compréhensible face à ce harcèlement, est décevant pour plusieurs raisons. En premier lieu, il n’a pas été clairement compris ni par les Zimbabwéens ni par le monde extérieur. Les médias et la ZANU PF font référence à sa retraite, omettant d’en donner le fondement, si il y en a un. Le Zimbabwéen moyen sait seulement que quelque chose de fondamental a changé, que Morgan a fait un geste défensif, et qu’eux-mêmes en subissent les conséquences.

Deuxièmement, il apparaît que ce geste est lié à la persécution dont souffre Roy Bennett. Bien que nous sachions que de nombreux points sont disputés et vont au-delà de cette seule question, le moment choisi pour ce retrait est malencontreux parce qu’il va être inévitablement interprété comme ayant trait à l’affaire Bennett.. Ce dernier a grandement souffert du fait de sa carrière politique, mais son harcèlement n’est certainement pas l’affaire la plus pressante pour le gouvernement de coalition. La persistance de l’invasion des fermes, l’autorité de la loi, la lutte pour le contrôle des finances sont autant d’éléments qui apparaissent comme plus importants pour l’avenir du pays. Le moment du désengagement a rendu Tsvangirai vulnérable aux critiques de Simba Makoni, qui l’accuse de se préoccuper de ‘’ jobs pour les garçons et les filles’’ et a provoqué la réaction attendue de la ZANU PF concernant les questions de la race. Or la dispute a trait au partage du pouvoir, là où d’autres ont réussi à présenter l’affaire comme étant une crise de colère due à des frustrations liées à certains intérêts.

Troisièmement, et bien que la reprise économique aie été lente, elle a néanmoins, graduellement eu lieu. La Confédération des Industries du Zimbabwe fait été d’une augmentation de l’utilisation de la capacité industrielle qui est passé d’environ 10% plus tôt dans l’année, à 30 % en août. L’extraction de minerais amorce une reprise significative, avec une production en augmentation malgré une alimentation en électricité défaillante. Les investisseurs étrangers ont été réticents, mais nombreux sont ceux qui sont revenus dans l’économie par l’achat d’actions à la Bourse du Zimbabwe. Compte tenu du fait que le fonctionnement du gouvernement de coalition est crucial pour la reprise économique, le geste du MDC-T a déjà eu pour effet de faire fuir les investisseurs et d’annuler le progrès.

Quatrièmement, elle a fourni aux faucons de la ZANU PF une excuse pour se remettre en chasse, déployer ses milices, arrêter, abuser, brûler, violer et intimider avec une complète liberté de manoeuvre. Dans les villages, particulièrement dans le Mashonaland, le Manicaland et Masvingo, la terreur est en augmentation et sur les routes principales les barrages routiers sont partout.

Robert Mugabe peut monter sur ses grands chevaux et se dire offensé - alors qu’il tente d’appliquer les accords - cependant que le MDC joue à au jeu ‘’entrant et sortant’’ qui souffre de sérieux.

Pendant ce temps, la population, piétinée par les éléphants, désespère. Peu de choses se sont améliorées depuis février. Les écoles ont ouvert leurs portes, mais pour beaucoup de gens, la scolarité est inaccessible faute de moyens et les soins de santé sont encore plus inaccessibles. Le progrès économique n’a pas encore eu un impact suffisant pour leur permettre de voir au-delà du lendemain ou de la semaine prochaine. Des tarifs économiquement viables sont nécessaire pour les services de base - eau, électricité, téléphone, impôts - qui n’ont pas été permis depuis l’an 2000, mais au vu des revenus misérables personne ne peut se les payer.

Un fonctionnaire gagne entre 150 $ et 200 $ et reçoit une facture pour l’eau de 15 $, une facture d’électricité de 100 $, une facture de téléphone de 60 $, sans compter les impôts pour 40 $. En plus de quoi, il doit payer les frais scolaires pour deux ou plus d’enfants, le transport, la nourriture, les soins de santé, l’habillement. Chacun chancelle sous les chocs répétés, tout en s’enfonçant de plus en plus dans les dettes, alors que le nombre de services rendus inaccessible croît de jour en jour. Un grand nombre de connexions téléphoniques et électrique sont coupées et la distribution d’eau est incertaine à une moment où la saison du choléra approche. Dans tout cela, il n’est même pas possible d’avoir recours à des ressources propres en vendant ses biens, personne n’ayant de l’argent pour acheter une télévision d’occasion, des frigidaires, des stéréos, etc. Ceux qui vivent de location ne peuvent encaisser leurs loyers et les vendeurs ne peuvent pas vendre. Les voitures d’occasion sont incroyablement bon marché et les maisons sur le marché immobilier restent vides des mois et des années durant, en l’absence d’hypothèque ou faute de capacité de remboursement.

Confrontés à de tels tourments quotidiens, les gens sont peu préoccupés par la nouvelle selon laquelle le MDC-T a ‘’quitté’’ le gouvernement. Quelles sont les attentes immédiates de Morgan Tsvangirai ? Divers propos provenant du MDC et suggérant de nouvelles élections sont ridicules dans le contexte actuel. Ils rêvent ! Evidemment, des élections sous supervision internationale sont une des solutions possibles à laquelle on aurait dû avoir recours il y a des années, mais qui va entreprendre une mission aussi délicate alors que le rapporteur des Nations Unies peut se voir refuser l’accès au Zimbabwe et s’en faire expuler ?

Est-ce que l’appel à la SADC va porter des fruits ? Les expériences passées laissent peu d’espoir. La réponse initiale de la SADC et d’autres ressemble à celle donnée par les membres d’une famille à une épouse maltraitée, lui enjoignant de retourner au domicile conjugal – « un mariage c’est comme ça, il faut s’accommoder, même souffrir, c’est ton devoir, et si tu te donne de la peine les choses peuvent s’arranger »- au mépris complet de la réalité des relations de pouvoir. Il a été enjoint au MDC-T de retourner au GNU (Gouvernement d’unité nationale) parce qu’il n’y a pas d’alternative, avec un discours seriné sur la base du refrain monotone et intéressé de la ZANU PF, selon lequel les Zimbabwéens doivent résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

Néanmoins, et malgré les mauvais augures initiaux, des informations ont filtré de la réunion de la troïka des ministres des Affaires étrangères, qui suggèrent que peut-être quelque chose de plus substantielle se prépare. Il a été rapporté qu’il a été reproché à Mugabe de ne s’en être pas tenu aux accords constitutionnels comme il le prétend et qu’il doit s’y tenir. La réunion de Maputo, qui a fait suite à la première intervention de la troïka, semble plus prometteuse encore. La participation inattendue de Zuma, qui n’est pas membre de la troïka, indique que le vent est en train de tourner. Mugabe est sorti coincé de cette réunion, cependant que Tsvangirai annonçait qu’il retournait au gouvernement pour y participer pleinement, donnant à la ZANU PF 30 jours pour se conformer aux points clés de leurs accords.

Mais, même si Mugabe a l’air châtié et mécontent après ces discussions, c’est sa façon d’être. Lorsqu’il est acculé, il dit ce qu’il faut pour avoir l’air soumis ou il se tait, pour revenir avec un air de défi dès que le chat est parti. A moins que les pays de la SADC acceptent cette réalité et comprennent que la ZANU PF n’abandonnera jamais le pouvoir autrement que forcé et contraint par quelque pression que les pays de la SADC seront prêts à exercer, ils échoueront dans leurs efforts pour résoudre le problème du Zimbabwe.

Il semble que le MDC s’est fait lui-même acculer et il lui est difficile pour de sortir de cette situation. Ses responsables ont été d’accord d’essayer à nouveau sans que la ZANU PF ait annoncé clairement des concessions. Que se passera-t-il si, les 30 jours écoulés, il apparaît que rien n’a changé ou qu’on a eu droit seulement à des ajustements mineurs, laissant de côté la vrai question du pouvoir ? Alors quoi ? Toute prolongation en attendant les actions de la SADC ne feront qu’affaiblir le MDC. S’il décide de se retirer complètement, il n’a pas de stratégie alternative. Il ne peut pas mobiliser le pays pour le rendre ingouvernable. Non seulement il serait écrasé par la machine répressive de la ZANU PF, mais ce serait aussi un pas en arrière, renvoyant les gens à une misère absolue et plus susceptible de générer le chaos et la désintégration de la nation. Se retirer laisserait la voie libre à la ZANU PF, pour gouverner selon ses propres termes, ouvrant la porte à encore plus de terreur et de pillages. Si la SADC n’agit pas maintenant et met la ZANU PF sous pression, vont-ils agir dans le cas d’un retrait complet du MDC-T ? Peu probable. Et alors… Echec et mat ! Echec et mat, non seulement pour le MDC-T mais pour nous tous.

La conclusion est douloureuse. Le MDC-T a pris un pari terrifiant pour le Zimbabwe. Les risques sont considérables. S’il n’avait pas pris cette mesure, probablement que le résultat n’aurait pas été différent, considérant que la ZANU PF devenait de plus en plus effrontée dans le rejet de ses responsabilités comme partenaire gouvernemental. Mais les limbes dans lesquelles nous nous trouvons, avec un gouvernement de trente jours ouvertement divisé, nous laissent une fois de plus face à un futur incertain pour ne pas dire désastreux. Il reste un espace pour espérer un miracle. Les politiciens sont élus pour rendre l’impossible, possible. Mais si Morgan Tsvangirai perd son pari, les Zimbabwéens n’auront plus de politicien pour réaliser leurs rêves. Et le futur s’écrira dans le chaos et la peur.

* Mary Ndlovu est une militante des Droits de l’Homme du Zimbabwe

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