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Le président ougandais Yoweri Museweni emprunte-t-il le même chemin fatal que Ben Ali, Moubarak et Kadhafi ? J. Oloka-Onyango analyse la dernière victoire électorale de Museweni. Et les analogies ne manquent pas avec un régime qui s’est inscrit dans la logique de l’éternité, aidé par une opposition qui peine à se mettre à la hauteur.

Lorsqu’en 1986 Yoweri Kaguta Museweni (M7 ou Ssevo pour ses supporters), l’agile chef de la guérilla âgé de 42 ans, émerge après avoir passé 5 ans à guerroyer dans le bush, pour revendiquer la présidence, peu d’observateurs lui donnaient une chance. Nombreux sont ceux qui se sont demandés s’il avait ce qu’il fallait pour sortir du marécage une population aussi hargneuse, décimée et démoralisée.

Vingt-cinq and plus tard Museweni reste au gouvernail de la politique ougandaise et le 18 février 2011, son règne a été prolongé pour un nouveau terme qui va jusqu’en 2016. A ce moment, il aura 72 ans, aura exercé le pouvoir pendant 30 ans et détiendra la palme du dirigeant le plus longtemps en exercice d’Afrique de l’Est, dépassant aussi bien feu Julius Kambarage Nyerere de Tanzanie que l’ex-président Daniel arap Moi du Kenya.

La question sera alors de savoir si son héritage sera celui de l’ancien président de la Tanzanie qui a quitté le pouvoir alors qu’il était aimé et respecté ou celui d’une figure de tragédie, objet de détestation comme Arap Moi. En effet, alors que l’Afrique du Nord est le témoin de l’effondrement des dictatures persistantes de la Tunisie à la Libye, il est nécessaire de s’enquérir des raison qui ont fait que Museweni ait gagné les élections le 18 février et quelles leçons en tirer pour la lutte politique et la liberté du continent.

La comparaison avec la Libye est appropriée, puisque Museweni a été pendant longtemps un allié de Mouammar Abu Minyar Kadhafi. Lors d’un de ses nombreux voyages à Kampala, l’excentrique dirigeant, maintenant assiégé, avait insisté pour que Museweni reste à son poste jusqu’à la fin de sa vie, arguant que les révolutionnaires ne sont pas comme les directeurs exécutifs de compagnies. C’est une leçon que Museweni a prise à cœur puisqu’il a fait changer la Constitution en 2005 afin d’en retirer la limitation du nombre de mandat présidentiel. Il est donc bien parti pour une présidence à vie.

Qu’est-ce qui donc explique la victoire de Museweni en février, victoire qui avait été largement prédite. Il a obtenu 68% des suffrages pour le vote présidentiel et 75% pour son National Resistance Movement (NRM) lors du scrutin parlementaire. Ce qui en a étonné plus d’un. Ce résultat doit être comparé avec les trois précédentes élections qu’il a gagnées. Celle de 1996 avec 75% des voix, celle de 2001 avec 69% et en 2006 avec 59% des voix.

Selon les experts, alors qu’il est toujours populaire, dominant et donc susceptible de gagner, cette tendance descendante aurait dû se poursuivre. Certains avaient même prédit qu’il y aurait un deuxième tour, parce qu’il n’aura pas acquis 50,1% des voix dans un premier tour. L’autre élément de surprise a été le calme relatif et l’absence de violence lors de cette élection. La plupart des observateurs - de l’Union européenne au gouvernement américain - ont décrit le scrutin comme généralement paisible, sans effusion de sang (selon les termes habituels de ceux qui ont émergé comme les gardiens de la politique électorale africaine), généralement libre et traduisant véritablement les désirs de la population ougandaise. [1]

Les médias locaux l’ont décrit comme le plus ennuyeux des scrutins dans l’histoire de l’Ouganda, dépourvus des drames, d’intrigues et de confrontations auxquels les Ougandais étaient accoutumés. Il n’est donc guère surprenant que le chant de ralliement de Museweni ‘’Donnez-moi un bâton/ vous voulez encore des coups ?’’ a reçu plus d’attention que les enjeux substantielles.

Afin de comprendre le résultat du récent scrutin ougandais, il est nécessaire de comprendre quelques faits fondamentaux. Le premier consiste à reconnaître qu’il reste à l’Ouganda de devenir une démocratie multipartiste. Pendant les 19 premières années du règne de Museweni, le pays a fonctionné selon un système de mouvement non partisan, ce qui n’était pas beaucoup mieux qu’un Etat avec un parti unique. Sous l’égide de ce système, les gouvernement et les institutions se chevauchaient du bas en haut, jusqu’au parlement, par des conseils de la résistance ou des conseils locaux.

En effet, à beaucoup d’égard, Museweni a pris exemple sur les conseils populaires de Kadhafi, créant ces conseils locaux, ceux-ci étant supposés être des représentations démocratiques de la base, mais étaient en réalité une couverture pour la domination du parti unique. Aujourd’hui, les structures non partisanes demeurent intactes et opérationnelles. Elles fonctionnent comme conduit principal pour la mobilisation politique et pour les ressources étatiques, soutenues par une bureaucratie locale massive faite d’agent du gouvernement et d’espions,

Evidemment, le fait d’être actuellement titulaire du poste président permet à Museweni d’accéder aux coffres de l’Etat, au point qu’il a été dit que le NRM aurait dépensé US$ 350 millions au cours de la campagne, ce qui montre à quel point le poste est profitable. L’image qui reste est celle d’un président qui au cours de ces derniers mois distribuait à différents groupements civiques de femmes, de jeunes et autres, des enveloppes brunes débordantes de liquidités.

Une autre raison du succès de Museweni se trouve dans la militarisation du contexte dans lequel s’exercent la politique et la gouvernance en Ouganda. Suite à 5 ans de guerre civile (de 1981 à 1986) et plus de 20 ans d’insurrections, l’Ouganda n’a jamais connu autre chose que la guerre. Il n’est dès lors guère surprenant que la paix et la sécurité tiennent une large place dans la psyché nationale. Pour la vieille génération demeure la peur des temps chaotiques de jadis et pour les jeunes, qui n’ont l’expérience que de Museweni, l’affirmation qu’il a restauré la paix a une résonance particulière. Ironiquement, les deux groupes redoutent que si Museweni perdait les élections il n’accepterait jamais le résultat et retournerait dans le bush ou créerait un telle instabilité que l’enjeu n’en vaut pas la chandelle. On s’était donc abstenu de considérer un autre candidat. Ceci explique ce qui pour beaucoup est un des aspects très surprenants de ces élections : la victoire de Museweni au nord au détriment de deux fils de cette terre : Olara Otunnu, un ancien diplomate et le jeune Norbert Mao.

La présence menaçante des militaires explique aussi la faible participation et le résultat de 59% qui est tellement plus bas que celui des précédents scrutins où les résultats étaient proches des70%. Beaucoup de gens sont simplement restés à la maison, en partie en raison de leur apathie, mais d’avantage en raison du fait que les rues de Kampala et d’autres parties du pays regorgeaient de militaires. Plus proche de l’armée libyenne que de l’égyptienne, l’ Uganda People’s Defence Forces (UPDF) n’est pas réputée pour sa retenue lorsqu’il s’agit de gérer une insurrection civile ou une opposition politique.

La performance de Museweni dans le nord est le reflet de l’autre côté de la médaille. Museweni est seulement aussi bon que l’opposition à laquelle il a à faire face. La prestation misérable de l’opposition est attribuable à une série de facteurs, dont le fait qu’il n’y a pas de véritable parti opposition en Ouganda, n’est pas des moindres. Il y a plutôt des personnalités d’opposition - incarnées par Kizza Besigye du Forum for Democratic Change (FDC), trois fois candidat malheureux à la présidentielle - qui ont construit autour d’eux des structures de partis faibles et qui n’existent guère qu’avant les élections.

L’opposition ougandaise est aussi dépourvue d’une position idéologique, et bien que la mort des idéologies affligent également le NRM au pouvoir, son absence parmi l’opposition s’est avéré particulièrement néfaste compte tenu qu’il lui manque un message central fédérateur qui permette à l’opposition d’exprimer son dégoût et rallier le soutien contre Museweni. Ainsi, dès le début de la saison électorale, l’opposition a hésité entre un front uni contre Museweni et un boycott, se référant au biais de la Commission électorale et l’inégalité du terrain de jeu.

Pour finir, aucune des options ne fût adoptée et tous les partis d’opposition ont décidé de présenter des candidats pour les élections présidentielles et parlementaires, tout en décriant l’inégalité de la bataille. Néanmoins, Besigye a assuré ses supporters de la victoire et de sa capacité à protéger leur vote des fraudes si d’aventure le NRM en avait pris le chemin. Des bravades qu’il a été incapable de mettre à exécution. Néanmoins, la palme revient au candidat UPC, Olara Otunnu, qui n’a pas jugé bon d’aller voter, ce qui est un exemple classique des défaillances qui affligent l’opposition.

Lorsque tout est dit, bien que la victoire de Museweni ne soit guère une surprise, et qu’à court terme il continue à préserver la stabilité économique et politique qui a caractérisé les deux dernières décennies, il reste une inquiétude considérable pour l’avenir du pays. Si le président a rejeté les comparaisons avec les dictateurs déchus d’Afrique du Nord, il n’en reste pas moins qu’il y a de nombreuses analogies. L’Etat ougandais s’est drapé dans ce qu’il convient d’appeler le ‘musewenisme’, de sorte que la récente élection ne peut être autre chose un endossement honteux du titulaire.

L’Etat a évolué vers une situation dans laquelle il est difficile de distinguer entre le personnel et le politique, où le règne familial/personnel va croissant. Alors que Museweni n’a qu’un seul fils (à la différence de Kadhafi qui en a sept), Muhoozi Kainerugaba est clairement formé dans la perspective d’occuper le sommet. Ainsi, il a récemment pris le commandement de la Special Presidential Brigade, la troupe d’élite qui doit garantir la sécurité personnelle de son père. Récemment il a écrit un livre sur la guerre dans le bush, afin de dorer son blason d’intellectuel soldat, capable de marcher sur les pas, plutôt grands, de son père. Ceci est clairement le chemin suivi par Ben Ali, Moubarak et Kadhafi jusqu’au jour où ils se sont trouvés empêchés par les mouvements populaires.

S’il est peut-être vrai que les authentiques révolutionnaires ne se retirent pas, une leçon à tirer des soulèvements récents d’Afrique du Nord est que les révolutionnaires peuvent être contraints à démissionner. C’est juste une question de temps.

Notes :

[1] A son crédit, il n’y a eu que l’Union africaine qui a refusé de déclaré d’entrée le scrutin ‘’ libre et juste’’

* Prof. Oloka-Onyango est directeur de Human Rights& Peace centre à la faculté de droit de l’université de Makerere en Ouganda – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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