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Le 31 décembre 2007, le processus de négociation sur les Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne aboutit à un échec. Mais les solidarités régionales africaines qui ont permis de s’y opposer au niveau des différentes entités (CEDEAO, CEMAC, etc.), volent aussi en éclats. En Afrique de l’Ouest, par exemple, le Ghana et la Côte d’Ivoire signent des «accords intérimaires». Même chose pour le Cameroun en Afrique centrale. Depuis lors, une nouvelle date-butoir a été fixée au 9 juin 2009 pour la signature des APE et les rencontres se multiplient afin de remettre le processus sur les rails. Mais la société civile, qui s’est longtemps mobilisée contre les APE dans leur formulation initiale, se tient aussi en alerte.

Dans cet agenda fourni, Bamako a été par deux fois, dans l'intervalle de moins d'un mois, la capitale de rencontres internationales de haut niveau sur les négociations commerciales en Afrique de l'Ouest. L'Union européenne y a organisé, les 29 et 30 mai 2008, un séminaire d'information qui a permis aux parties d'exposer leurs positions sur les différents aspects et enjeux actuels des négociations. Notamment en ce qui concerne l'offre d'accès au marché pour les marchandises, les services et les questions liées au commerce. De même, la capitale malienne a abrité, du 11 au 13 juin derniers, la deuxième rencontre des Comités nationaux de négociations commerciales (OMC, APE etc.) de l'UEMOA sur la politique commerciale de l'union et les négociations d'accords commerciaux (avec les Etats-Unis, le Maroc, l'OCI, etc.).

Pour les négociateurs européens (pour certains en Afrique aussi), l’urgence est de passer des accords intérimaires signés par la Côte d'Ivoire et le Ghana à un APE global pour l'ensemble de la région Afrique de l'Ouest. Un processus que la société civile entend contrôler. Pour elle, il ne saurait être question d’aller vers un partenariat signifiant la destruction économique des pays africains et conduire à des désordres sociopolitiques. Dans cette perspective, la Plate-forme régionale de la société civile ouest-africaine sur l’Accord de Cotonou, qui participe aux négociations APE au titre de la société civile, organise, les 8 et 9 juillet 2008 à Abuja (Nigeria), un large dialogue régional pour partager toute l’information sur les travaux menés depuis le Comité Ministériel de Suivi (CMS) de Nouakchott, tenu du 18 au 21 février 2008.

Cette rencontre, dans capitale mauritanienne, était la première après le «choc» du rejet des APE au 31 décembre 2007. A Abuja, les organisations de la société civile, les organisations de producteurs, les syndicats, les parlementaires et les représentants du secteur privé vont se retrouver pour s’informer de l’évolution des dossiers depuis cette réunion, échanger, se situer et structurer leur mobilisation. Car les choses ont évolué sur le dossier des APE.

A niveau de la CEDEAO, la réunion du CMS avait été l’occasion de rebâtir un agenda régional commun, de se déterminer par rapport à un APE porteur de développement, mais aussi d’«encadrer et accompagner» la Côte d’Ivoire et le Ghana qui se sont engagés dans des «accords intermédiaires», plutôt que les rejeter, de les isoler. Il avait aussi été reconnu «la nécessité d’un régime commercial régional unique, préalable à la signature de tout accord », avec la finalisation des travaux sur le tarif extérieur commun (TEC) régional. De même, puisque l’échec des négociations à la date du 31 décembre 2007 n’avait pas signifié, de la part des différents pays, un rejet total des APE, les ministres avaient réaffirmé l’ancrage des pourparlers avec l’UE dans la vision stratégique de l’intégration et du développement régional.

Mais pour la société civile ouest-africaine qui va se réunir à Abuja, ces orientations méritent d’être suivies et contrôlées. Dans le document provisoire préparatoire de la réunion, on note : «Pour rassurante qu’elle soit, cette position n’en laisse pas moins apparaître toute l’étendue des difficultés auxquelles l’Afrique de l’ouest pourrait faire face dans conduite simultanée des chantiers de l’intégration et du développement en même temps que ceux de l’ouverture et de la libéralisation commerciale réciproque avec l’Union européenne. Ces deux processus ne sont pas toujours compatibles, surtout pour une région dont la caractéristique principale est la faiblesse économique, la vulnérabilité et les déficits de tous ordres, en particulier en matière de ressources humaines, institutionnelles, financières, etc.»

Après s’être mobilisées pendant des années contre l’APE, ou pour des accords de partenariat plus équilibrés, les organisations de la société civile entendent donc continuer à assurer la même veille et alerte. D’autant que, poursuit le document de la réunion d’Abuja, les engagements de Nouakchott «ne dissipent que partiellement les préoccupations de nombreux acteurs. Si tous s’accordent sur l’importance de ces mesures, il y a cependant peu de clarté sur leur séquence chronologique par rapport à la poursuite de la négociation de l’APE : ces éléments fondamentaux de l’intégration régionale sont-ils des préalables incontournables à toute signature d’un accord commercial ? Seront-ils mis en œuvre concomitamment ? Seront-ils au contraire mis en œuvre après la signature de l’APE ?».

La nouvelle date-butoir pour signer l’APE a été fixée au 9 juin 2007. Six mois après le premier échec, le contexte économique n’a pas réellement évolué pour permettre aux pays africains de s’engager différemment dans cet accord avec l’UE. La crise alimentaire qui frappe le monde aujourd’hui, avec des impacts encore plus lourds en Afrique, est venue plutôt fragiliser davantage ces pays. La rencontre d’Abuja permettra donc aux OSC de déterminer les priorités nouvelles, objectifs et stratégies d’action, mais aussi de continuer à réfléchir sur les alternatives à partager avec les acteurs concernés et les opinions publiques, souvent guère informées de l’évolution de ces négociations que les Etats mènent à leur nom.

Cette rencontre qu’organise la Plate forme de la société civile ouest africaine sur l’Accord de Cotonou, sous l’égide d’Africa Trade network, en collaboration avec Enda Tiers Monde et la National Association of Nigerian Traders (NANTS) et Réseau ouest-africain des paysans et des producteurs agriccoles, devrait aboutir à la mise en place d’un observatoire régional sur le suivi de l’application des décisions, choix et résolutions de la Cedeao dans le cadre des APE.

(Sources : Afriperf, document d’orientation de la réunion d’Abuja)

* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News

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