Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

Grâce aux pressions internationales, les tentatives du dictateur équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema, de parrainer un prix UNESCO, ont tourné court. Abena Ampofoa Asare examine comment, en dépit d’un bilan en matière des Droits de l’Homme consternant, Obiang a réussi à éviter la condamnation internationale pendant si longtemps

En octobre dernier, l’UNESCO a suspendu un prix de 3 millions de dollars destiné à la recherche et financé par Teodoro Obiang Nguema, un des pires dictateur au monde. Humiliée par une lettre ouverte de protestation signée par plus de 60 militants de grande notoriété, l’UNESCO a été contrainte de prendre ses distances de l’homme qui a longtemps gouverné la Guinée équatoriale d’une main de fer. Savoir comment un dirigeant de la même veine qu’Idi Amin, Omar Al Bashir ou Nicolas Ceausescu a failli en arriver à financer un prix des Nations Unies est une histoire où la réalité dépasse la fiction.

Au cours des trois dernières décennies, Obiang a fièrement présidé à l’un des désastres humanitaires et politiques les plus dévastateurs en Afrique. Avec le revenu national le plus élevé de l’Afrique subsaharienne, le revenu per capita de la Guinée équatoriale est comparable à celui du Portugal ou de la Corée du Sud. Néanmoins, 60% de la population se débat pour survivre avec moins d’un dollar par jour. Depuis la découverte du pétrole dans ce pays, en 1995, la famille de Teodoro Obiang Nguema et ses proches associés sont devenus fabuleusement riches, alors que la majorité de la population est restée embourbée dans la pauvreté.

La kleptocratie de l’unique pays hispanophone de l’Afrique n’est ni un secret ni une surprise. Bien que des organisations respectées comme Human Rights Watch et Amnesty International ont condamné, à intervalles réguliers, les injustices et la violence du gouvernement d’Obiang, il a fallu une lettre outrée de la main d’exilés soutenus par quelques grosses pointures comme Mario Vargas Llosa, Wole Soyinka, Chinua Acehbe, John Polanyi, Desmond Tutu et Graça Machel, pour persuader l’UNESCO que le prix Teodoro Obiang Nguema pour les sciences de la vie était ’’en contradiction avec sa mission et un affront aux Africains qui partout travaillent à l’amélioration de leur pays.’’

L’étrangeté des difficiles conditions de la Guinée équatoriale est là. Peu importe combien de maisons coûtant des millions le fils d’Obiang acquiert à Malibu, en Californie, grâce à une fortune d’origine douteuse, combien de dissidents sont torturés et tués dans les prisons de Malabo, combien de rapports concernant les Droits de l’Homme sont publiés dans les principaux journaux, lorsque Teodoro Obiang se rend aux Etats-Unis, en France ou aux Nations Unies, il a droit à la grande réception avec tapis rouge. Et cela aussi longtemps qu’il promet de s’améliorer.

L’as dans la manche d’Obiang

Ce paradoxe fou résulte des énormes réserves pétrolières de la Guinée équatoriale qui, selon un membre du sous-comité d’enquête permanent du Sénat, ont créé une ‘’capacité croissante d’acheter de l’influence diplomatique’’. La manière dont les revenus pétroliers faussent le bilan global de la Guinée équatoriale apparaît à l’évidence dans le dernier Index sur le développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Plus que dans n’importe quel autre pays au monde, les chiffres désastreux dans les domaines de la santé, de l’éducation et autres indicateurs sociaux, sont masqués par les immenses revenus pétroliers qui gonflent le revenu national. Lorsqu’on enlève le revenu national du calcul de l’IDH, la Guinée équatoriale plonge dans le classement.

De même, la richesse pétrolière lubrifie les relations bilatérales du pays. L’an dernier, un minutieux rapport de Human Rights Watch a analysé les relations schizophréniques du gouvernement des Etats-Unis avec la Guinée équatoriale, résultant de la dépendance pétrolière américaine.

A l’instar de nombre d’excellents articles de presse, le Département d’Etat américain lui-même condamne la Guinée équatoriale dans les termes les plus sévères. Son dernier rapport fait état de tortures, de meurtres, de conditions de travail inéquitables, de trafic d’enfants et d’autres abus. John R. Bennett (ambassadeur américain de 1991-1994) refusait d’avoir sa photo sur les murs de l’ambassade américaine à Malabo, le bâtiment appartenant à un tortionnaire notoire. De même, Frank Ruddy, ambassadeur pendant l’administration de Reagan, a bruyamment critiqué la relation continue de son gouvernement avec un homme qu’il décrit comme étant un tyran, un voleur et un voyou.

En dépit d’innombrables critiques à un haut niveau, les relations du gouvernement américain avec l’administration d’Obiang Nguema ont poursuivi leur réchauffement. En 2000, sous la pression de l’industrie pétrolière américaine, Georges W. Bush a discrètement renouvelé les liens étatiques avec l’abominable régime. Et au jour d’aujourd’hui, les Etats-Unis sont le principal investisseur en Guinée équatoriale. Malgré les espoirs que le président Obama changerait le cours des choses, force est de reconnaître qu’il n’en est rien. Un document photographique glaçant, de 2009, montre Barack et Michelle Obama souriant largement aux côtés de Teodoro Obiang et de son épouse. Cette image s’étale sur le site web du gouvernement de la Guinée équatoriale.

Dans un article récent dans le New York Sun, le soutien continuel du gouvernement américain à la Guinée équatoriale a été décrit comme une source de tension entre les puristes des Droits de l’Homme d’Obama et les pragmatistes clintoniens qui jugent plus sage de pousser Obiang vers la réforme que de pointer un doigt accusateur dans sa direction. The Sun cite un lobbyiste et ancien conseiller de Clinton, Lanny J. Davis, actuellement payé par Obiang à hauteur de 2,5 millions de dollars, qui explique que ‘’c’est dans les intérêts des Etats-Unis ainsi que de ceux qui sont préoccupés par la démocratie et les Droits de l’Homme de répondre à la demande du président Obiang pour implanter des réformes’’.

Ce point de vue ignore les leçons de la longue histoire politique de la Guinée équatoriale. Dépeindre Teodoro Obiang comme un réformateur crédible ou prétendre que les compagnies pétrolières sont capables de ‘’pousser’’ un dictateur vers les Droits de l’Homme est au mieux naïf, au pire un aveuglement stratégique qui ne veut pas voir le passé troublé de la Guinée équatoriale.

L’attrait tout-puissant du pétrole n’est qu’une partie de l’histoire. Si Teodoro Obiang a réussi à échapper à son statut de paria, c’est aussi en raison de sa capacité de manipuler la rhétorique de la réforme (avec l’aide d’une armée de lobbyistes richement rétribués aux Etats-Unis et en Europe) qui lui a permis d’éviter l’opprobre moral de la communauté internationale. Pendant ce temps, la population de la Guinée équatoriale continue de souffrir sous son régime répressif. Son dernier outrage a été l’exécution par son régime de quatre hommes, sans un procès équitable. Un citoyen de Malabo nommé Robert, cité dans le Christian Science Monitor en 2009, l’a bien exprimé : ‘’Le président ne fait que mentir à la communauté internationale afin que les gens croient qu’il améliore la démocratie et qu’il organise des élections légitimes… C’est un jeu dont il profite.’’

Jouer avec le système

Au cours des 30 dernières années, Obiang a perfectionné une formule qui consiste à donner de la publicité aux petites capitulations rhétoriques en faveur de la bonne gouvernance, tout en laissant intact la construction de son appareil de répression étatique. En 1979, après avoir pris le pouvoir en assassinant son oncle, Obiang a publiquement promis de restaurer la démocratie du pays en difficulté, en échange de quoi, il a reçu l’assistance financière et technique des Nations Unies. Trente ans plus tard, la tant attendue démocratie en Guinée équatoriale reste élusive. Au cours des élections législatives de 2008, les autorités ont arrêté le dirigeant d’un parti d’opposition banni. Il a par la suite a été retrouvé mort dans sa cellule, ‘’soupçonné de s’être suicidé’’. En 2009, Obiang a gagné les élections présidentielles avec 95% des voix en sa faveur ; des élections au cours desquelles tous les bureaux de vote étaient tenus par des soldats, les urnes pas scellées et les observateurs indépendants interdits.

Le fossé entre le discours réformiste de Teodoro Obiang et la réalité de l’injustice enracinée est encore plus flagrant si l’on considère les manœuvres de l’administration, dès lors que l’on examine la question des revenus pétroliers de la Guinée équatoriale. En 1979, Obiang a inauguré la première conférence nationale sur l’économie lors de laquelle il a clamé son intention de transparence et d’utilisation rationnelle des revenus pétroliers. La conférence a recommandé au gouvernement la création d’un organe indépendant, qui répond au Parlement et qui audite les revenus de l’Etat afin d’exposer la corruption et les irrégularités. Dix ans plus tard, cet organe n’existe toujours pas. En 1999, en consultation avec le gouvernement, le PNUD a établi un plan pour promouvoir la transparence et le renforcement des institutions. Ce plan n’a jamais dépassé le stade du papier.

En 2010, dans son discours au Cape Town Global Forum, Teodoro Obiang s’est une fois de plus engagé en faveur des normes présidant à la transparence des revenus pétroliers, en vendant sa relation naissante avec le Extractive Industry Transparency Initiative (EITI), l’organe global de surveillance de l’industrie pétrolière, comme preuve de son programme de réforme en cinq points. En réalité, Obiang a esquivé l’EITI comme il a esquivé les efforts de transparence précédents.

En 2007, Obiang a posé la candidature de la Guinée équatoriale auprès de l’EITI, considérant que dans les deux ans le pays aurait suffisamment progressé vers des normes de base concernant la transparence des revenus pétroliers. Lorsqu’il est devenu apparent que très peu de progrès avaient été réalisés dans la période considérée, il a demandé une extension. Le conseil de l’EITI a refusé et a révoqué la candidature du pays, l’excluant du processus d’évaluation. Moins de deux mois plus tard, Teodoro Obiang se vantait au Cap de ses efforts pour poser sa candidature auprès de l’EITI une nouvelle fois. Ce type d’hypocrisie est la caractéristique de la rhétorique de réforme de Teodoro Obiang. Comme le remarquait un militant de Global Witness, ‘’ la transparence ne nécessite pas dix ans’’

Cette dynamique a longtemps fait partie de la politique de Obiang. En 2002, le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme a décidé de mettre un terme à la surveillance particulière de la Guinée équatoriale, en raison de l’amélioration alléguée des conditions. Mais le représentant spécial en place a protesté quant au relâchement de la surveillance. Dans sa lettre de démission, Gustavo Gallon Giraldo a déclaré que ‘’rien n’a changé en Guinée équatoriale. Ce qui a changé,, c’est la composition de la Commission qui accepte des faits et des déclarations qui ne correspondent à aucune réalité’’, déclarait-il. L’exploitation de ce fossé entre le discours et la réalité est au cœur même de la campagne de relations publiques de Teodoro Obiang. Dans son discours au Cape Town Global Forum, ses tentatives de manipulation étaient une fois de plus en évidence lorsqu’il pressait la communauté internationale ‘’de tourner la page’’ pour la Guinée équatoriale.

L’esquive des responsabilités

Le premier pas du président vers l’esquive de la responsabilité consiste à reconnaître la situation consternante du pays et ensuite vite mettre le problème sur le compte de la colonialisation et de l’histoire du début de l’indépendance. Le fait que lui-même était au gouvernail pendant trois décennies et gérait des coffres regorgeant de pétrole n’a évidemment rien à voir dans sa façon de présenter les choses. ‘’Ceci concerne le développement du pays à partir de rien’’, informe-t-il gravement les investisseurs internationaux.

En se référant à l’histoire exceptionnellement sombre du pays, Obiang annonce des efforts, maigres et incomplets, de construction nationale. Après tout, si rien n’existait avant son ‘’règne’’ , que la Guinée équatoriale était une ’’non entité’’, il s’en suit que la moindre amélioration est un succès, même minime, et est considérée comme un acquis plutôt que comme une faillite honteuse.

Le président de la Guinée équatoriale devient très éloquent pour parler de ses efforts continus pour combattre ‘’la mentalité enracinée de sous-développement et des habitudes comme la corruption, l’analphabétisme, le tribalisme, l’opportunisme politique et ainsi de suite’’. Ce raisonnement honteux, qui tourne en rond, attribue le sous-développement de la nation au peuple, plutôt qu’à une injustice qui lui est faite depuis trois décennies du fait de la violence étatique et de la négligence. Se moquer de ‘’l’habitude’’ d’analphabétisme est tout ce qu’il y a de plus cynique, compte tenu du fait que les dépenses de la riche administration d’Obiang pour l’éducation se situe à un quart de la moyenne de celles de l’Afrique subsaharienne. En naturalisant le sous-développement, cette analyse tendancieuse déplace de nouveau la responsabilité et la met sur le dos de la population du pays.

Teodoro Obiang continue et demande à la communauté internationale ’’de se souvenir que la Guinée équatoriale est un pays relativement jeune, sans expérience…’’. ‘’Nous devons prendre en compte que nous sommes un pays qui n’a que 42 ans’’, ajoute-t-il. Tout cela revient à avaliser une exonération fondée sur le retard et l’inefficacité. Et si les conditions ne s’améliorent pas rapidement, le monde ne pourra que sympathiser avec les pauvres Africains empêtrés dans le ‘’nouveau’’ travail de construction de la nation. Après tout, il y a une limite à ce qu’ils peuvent faire. En jouant sur les stéréotypes décourageants des insuffisances africaines, Obiang coupe ainsi court à toute demande pour des droits humains fondamentaux et de réelles réformes.

Le président équato-guinéen Obiang se distingue par ses généreuses contributions lors de l’ouragan Katrina, du tsunami en Asie, de la famine au Niger, de l’explosion de l’oléoduc au Nigeria, de l’explosion volcanique à Victoria Peak au Cameroun et de l’explosion nucléaire de Tchernobyl. Mais peu importe combien il dépense pour les causes humanitaires ou avec quelle conviction il proclame son désir de partenariat avec les démocraties du monde, Teodoro Obiang ne comptera jamais parmi les bons citoyens du monde.

Plus le temps passe pour voir la communauté internationale fixée sur les ressources et le discours d’Obiang, au détriment d’une évaluation pure et dure de sa politique, plus sombre sera le futur de la Guinée équatoriale.

Les experts comme Alicia Campos Serrano ont mis en garde sur le fait que si les politiques répressives de Teodoro Obiang se poursuivent sans frein, elles feront le lit d’une instabilité future et plus grandes seront les difficultés pour la population de Guinée équatoriale. En développant exclusivement l’économie pétrolière lucrative, l’administration de Obiang a détruit le secteur agricole. Mais, comme pourront en témoigner les populations du Nigeria, de l’Angola ou du Soudan, le pétrole ne se mange pas. Le retard pris par l’agriculture et la migration croissante vers les villes ont généré un cortège de nouveaux problèmes. Serrano décrit comment évoluent les villes qui se sont érigées autour de l’industrie pétrolière qui, dans une large mesure, conserve 50% du salaire des travailleurs. Elle décrit l’augmentation exponentielle du trafic de femmes et d’enfants dans ces régions et souligne le coût politique de l’exploitation par Obiang de l’économie nationale, ainsi que l’énorme profit personnel qu’il en tire.

Une série de rapport, faisant état de tentatives de coup d’Etat et d’assassinats à Malabo, suggèrent qu’il y a une armée de mercenaires et d’autres qui attendent de bénéficier de la manne. La répression présidentielle ne peut contenir ces éruptions de violence indéfiniment.

En adoptant le langage de la réforme et des droits humains, Teodoro Obiang a réussi à dissimuler la dévastation sociale et la répression politique qui sévit en Guinée équatoriale sous couvert de développement post-colonial. Aussi longtemps que les puissants de la communauté internationale continueront de détourner les yeux du fossé qui sépare le discours de la politique, ils seront incapables de mettre sous pression ce gouvernement, ou des gouvernements subséquents, afin qu’ils donnent la priorité aux droits humains, à la sécurité et au développement du peuple de Guinée équatoriale. En minant l’autorité morale des mécanismes internationaux de gouvernance, le blanc seing donné au président Obiang pave le chemin pour davantage d’abus en Guinée équatoriale ainsi qu’en tout lieu où des dictateurs sont au bénéfice de l’impunité.

* Abena Ampofoa Asare contribue au Foreign Policy in Focus et est une doctorante au département d’Histoire de l’université de New York. Sa thèse est centrée sur la justice transitionnelle et les droits humains au Ghana - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

* Lecture recommandée : Abena Ampofoa Asare. Obiang : the sham humanitarian. (Washington DC : Foreign Policy in Focus. 2 dec. 2010 http://www.fpif.org/articles/obiang_the_sham_humanitarian

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne à Pambazuka News