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On a peu écrit en Afrique sur la mort de Trayvon Martin et sa connexion directe au continent. Les Africains ont exprimé peu de solidarité avec la communauté afro-américaine dans cette affaire. L’Union africaine n’a pas fait de déclaration pour critiquer le traitement d’un descendant africain par le système judiciaire américain. Or le sort des migrants involontaires africains est connecté à l’Afrique de façon fondamentale. Ces connexions et leurs significations doivent être soulignées. Le cas de Trayvon Martin a été tragique pour tous les Américains et aussi pour les Africains.

Un vigile chargé de surveiller le voisinage, George Zimmerman, a été récemment acquitté du meurtre d’un adolescent désarmé, Trayvon Martin. Le cas Zimmerman/Martin a été suivi par des millions de personnes de par le monde, y compris en Afrique. Le cas a retenu l’attention du monde entier parce qu’il combine le meurtre, les disparités économiques, le stéréotype, la culture des armes, l’injustice, la loi et la race aux Etats-Unis. Ce cas a continué à susciter des protestations, des essais, des éditoriaux et des conversations centrées sur les Afro-américains dans le système judiciaire américain. Les médias africains n’ont pas prêté une attention adéquate à ce cas. Bien qu’elle ait eu lieu aux Etats-Unis, cette affaire est celle d’un jeune adolescent à l’ascendance africaine.

L’AFFAIRE

En février 2012, un adolescent afro-américain, sans arme, Martin, se rend dans un magasin. Sur son chemin de retour, il est suivi par Zimmerman, un gardien volontaire blanc d’origine hispanique, armé et d’un zèle excessif.

Grâce aux données du 911 (numéro de téléphone d’urgence) et des témoins oculaires, on peut commencer à rassembler les morceaux de certains des évènements qui ont eu lieu cette nuit. Zimmerman a suivi le garçon parce qu’il avait le sentiment qu’il était "louche". Il lui a été dit de ne pas le poursuivre. Selon les données du 911, Zimmerman a expliqué à son interlocuteur au téléphone que "ce gars-là a l’air de quelqu’un qui prépare un mauvais coup, ou qu’il est drogué ou quelque chose de ce genre. Il pleut et il est juste en train de se promener".

Ensuite Zimmerman a tenté d’expliquer où il était. "Maintenant il vient vers moi. Il a sa main à sa ceinture. Et c’est un homme noir… Il y a quelque chose qui ne va pas chez lui. Oui, il vient voir qui je suis. Il a quelque chose dans la main. Je ne sais pas ce qu’il veut…Ces trous du cul s’en tirent toujours". (MotherJones.com)

Une lutte a éclaté entre Zimmerman et Martin, qui a abouti au coup de feu qui a tué Martin. Il prétend qu’il a tiré sur Martin dans une situation de défense légitime. Un an plus tard, un jury composé de cinq femmes blanches et d’une noire hispanique, a rendu le verdict unanime que Zimmerman avait agi en légitime défense et qu’il était justifié de faire usage de force létale contre Martin

LA REACTION DE L’AFRIQUE A CETTE AFFAIRE

La réaction africaine a été plutôt clairsemée dans les médias africains. Ce qui est surprenant au vu de la relation entre cette affaire et le continent. Jusque là, il y a eu quelques commentaires sur les médias sociaux et une poignée d’articles. Mais de façon générale, ce cas a suscité peu d’attention.

On a peu écrit sur la mort de Martin et sa connexion directe au continent. Les Africains ont exprimé peu de solidarité avec la communauté afro-américaine dans cette affaire. L’Union africaine n’a pas fait de déclaration pour critiquer le traitement d’un descendant africain par le système judiciaire américain. Peu de rédacteurs de journaux africains lui ont consacré de l’espace et il n’y a eu aucune protestation devant l’une des quelques trente ambassades américaines en Afrique. Toutefois le sort des migrants involontaires africains est connecté à l’Afrique de façon fondamentale. Ces connexions et leurs significations doivent être soulignées.

LA POLITIQUE DU LIEU ET LE PRISME DE LA COULEUR

Le cas de Trayvon Martin a été tragique pour tous les Américains et aussi pour les Africains. Lorsque de tels incidents ont lieu, il est important que des voix africaines s’élèvent et soient en relation avec la communauté afro-américaine. Les Africains devraient se préoccuper du cas de Trayvon Martin parce que le sort des Afro-américains tient à l’histoire de descendants d’Africains. Les deux communautés ont des origines communes et peuvent apprendre les unes des autres. Les immigrants africains en Amérique devraient prêter plus d’attention à ce cas parce qu’ils partagent une expérience commune. Après tout, Trayvon aurait pu être n’importe quel Africain noir vivant ou visitant les Etats-Unis.

Il y a des raisons claires qui font que les Afro-américains se soient investis dans cette affaire : ils demandaient justice. Il est peut-être moins évident pour les Africains de s’en préoccuper. Mais bien que les soucis des Afro-américains soient considérés comme une affaire interne, les problèmes concernant les migrants involontaires, qui constituent la diaspora africaine, doivent concerner tous les Africains du continent et d’ailleurs. Le regard porté sur les Afro-américains est le même que celui porté sur toutes les populations africaines.

Lorsque Zimmerman a vu Martin, il l’a regardé au travers d’un prisme socialement construit de couleur et de "race". Les Africains et leurs descendants ont une peau typiquement plus foncée, ce qui a été utilisé comme déterminant social du statut. Dans les endroits où l’Europe et l’Afrique ont interagi, des hiérarchies raciales persistantes se sont développées qui ont placé les personnes à la peau plus sombre au bas de l’échelle. La couleur est devenue la base de toutes les interactions entre Noirs et Blancs. En Afrique, ceci prend souvent la forme d’Africains noirs qui octroient au "Bwanas" blancs des privilèges non accessibles à la majorité de leurs citoyens. Occasionnellement, ceci se manifeste par le traitement soupçonneux des groupes ethniques voisins à la peau plus foncée. Ces mêmes dynamiques ont cours aux Etats-Unis et ont guidé Zimmerman lorsqu’il décidait de comment traiter Martin : avec suspicion ou avec confiance.

Les hommes blancs sont considérés comme dotés d’émotion et d’intelligence. Historiquement, leur agressivité a souvent été présentée et vue comme justifiée parce qu’il est considéré qu’ils maintiennent l’ordre, protègent la propriété et se protègent eux-mêmes. D’autre part, les hommes noirs sont souvent présentés et considérés comme une menace pour la propriété, l’ordre et d’autres individus, donc exactement l’opposé. Ainsi leur agressivité- réelle ou perçue est vue comme menaçante. Ils sont devenus un archétype qui se réduit à la couleur et à toutes ses associations, dépourvu d’émotion, d’intelligence ou d’individualité. Il s’en suit qu’une agression contre un homme noir est souvent aussi rationalisée et estimée nécessaire qu’il faut maintenir l’ordre, protéger la propriété et de préserver une vie.

Lorsque Zimmerman s’est trouvé confronté à un homme noir, c’est le prisme de la couleur qui s’est imposé à lui. La même logique et le même prisme ont été utilisés dans d’autres cas. L’an dernier, lorsque John Spooner, un Blanc, a tué un garçon afro-américain de 13 ans. Il a expliqué que c’était parce qu’il pensait que le garçon avait cambriolé sa maison deux jours auparavant. Dans un autre cas, Jordan Davis, âgé de 17 ans, a été tué par Michael Dunn dans un parking parce qu’il pensait avoir vu une arme à feu. Dunn a par la suite, au cours de son procès, eu recours à des stéréotypes raciaux du genre "j’ai entendu de la musique de "voyou" et des menaces". Bien que Zimmerman ait été acquitté, Spooner a été condamné et Dunn attend son procès.

Lorsque la société est structurée de sorte à considérer un groupe avec suspicion et que le système légal n’est centré que sur la question de savoir si la peur ou les soupçons étaient "raisonnables", face à des hommes noirs, la réponse est inévitablement affirmative. Les institutions de l’Etat acceptent ces sentiments et maintiennent le prisme de la couleur en promulguant des lois comme Stand your Ground (ne vous laisser pas intimider !). De telles lois sont basées sur le soupçon, la menace et la présomption de culpabilité de certaines races, elles permettent l’injustice. Les Noirs du continent dans toutes les Amériques sont vus et jugés au travers de ce prisme qui lie automatiquement la peur et le soupçon : le Noir menaçant peut être africain, américain ou provenir des Caraïbes.

RACINES COMMUNES, VOIES COMMUNES

Historiquement, les Noirs du continent et de la diaspora ont été traités de la même façon. Ä l’époque précoloniale, les Noirs ont été l’objet de kidnapping et ont été réduits en esclavage. Ceci a été suivi de la période coloniale où ils ont été battus, mutilés et victimes de crimes extrajudiciaires aux mains des institutions et des administrateurs coloniaux, voire des vigiles au sein du système colonial.

Les gouvernements coloniaux étaient souvent administrés par des hommes qui devaient lutter pour maintenir les colonies intactes et avaient recours à la punition corporelle, étant rarement punis pour leurs actions. Celles-ci étaient considérées comme nécessaires pour maintenir le statu quo. Le système colonial n’aurait pas pu fonctionner sans cela. Que ce soit en Afrique ou ailleurs, les Africains étaient liés par la couleur et ont subi le même traitement. Ils étaient simplement des Africains en Amérique et ne sont devenus Américains que suite à une longue lutte pour les droits civils.

Les Africains ont été réduits en esclavage en Afrique, transportés dans les Amériques, émancipés et ensuite contraints de vivre sous la ségrégation américaine jusque dans les années1960. Durant cette période, ils ont été les victimes de crimes aux mains des groupes de suprématistes blancs comme le Ku Klux Clan, les hordes de lyncheurs et la police. Là aussi, ils étaient considérés avec suspicion par ceux qui s’efforçaient de maintenir le statu quo. Les institutions ont maintenu ces regards négatifs. Il s’en suit, que ce soit en Afrique ou aux Etats-Unis, que les Noirs n’ont jamais vraiment été à l’abri d’exactions. Ce traitement de l’homme noir a commencé sur le continent et a continué au-delà des océans sous divers régimes politiques, poursuivant un régime similaire qui consiste à préserver la propriété de la majorité économique et de la société en général. Que ce soit dans les colonies, sur des territoires nouvellement conquis ou dans des "démocraties", l’homme noir africain a toujours été considéré avec suspicion.

La race a toujours son importance. Qu’un pays dise en être au stade post-colonial, post- Apartheid, post-Jim Crow ou post racial, la race demeure un élément important pour les Africains et leurs descendants. Des inégalités sociales, économiques ou judiciaires ont toujours cours en raison de la "race". Les exécutions extrajudiciaires de Noirs se poursuivent dans l’Afrique du Sud post-Apartheid de façon soutenue. C’est parfois dans ces communautés installées derrières des murs, dans des cas similaires à celui de Zimmerman. Dans d’autres cas, ce sont des employeurs européens ou américains qui emploient des Noirs pour faire le boulot, avec des crimes "noir sur noir".

La tuerie de Marikana, perpétrée par des Africains noirs, est un exemple qui montre que les meurtriers ne sont pas nécessairement blancs. Au centre du débat, il y a la valeur que la société accorde à un corps noir dans un pays comme l’Afrique du Sud sous le prétexte de protéger la propriété "privée" et les intérêts commerciaux. Au Botswana, ceci s’est manifesté par l’institutionnalisation du meurtre d’hommes noirs, en raison de lois controversées qui permettent des politiques de "shoot to kill" (faire feu pour tuer) à l’égard de ceux soupçonnés de braconnage. Les braconniers risquent la mort, en faisant le sale boulot sur le terrain au profit d’une industrie globale impliquant des intérêts commerciaux étrangers. Ceci soulève la question de savoir s’il est juste de défendre le tourisme et l’environnement, au prix de pertes en vies humaines.

QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE POUR LA DIASPORA AFRICAINE EN AMERIQUE ?

Les immigrants volontaires en Amérique ne voient pas les relations raciales du pays au travers du même prisme que les Américains. Nombreux sont ceux qui ont émigré de pays où ils ont connu peu de discrimination raciale parce que ils appartenaient à une majorité ethnique ou économique et ils entrent dans le pays sans être chargés du poids de l’histoire des tensions raciales et ses effets sur les individus. Ils sont souvent surpris par les Américains qui voient le monde au travers d’un prisme racial.

Les Africains tendent à avoir une autre relation avec les Blancs américains que les Afro-américains, parce que ils sont "exotiques". Ils sont souvent confrontés à moins de suspicion et de méfiance que les Afro-américains et s’entendent généralement avec la majorité de la population sur les lieux de travail ou dans les écoles. Dans certains cas, il est dit aux Africains qu’ils sont "différents" des Afro-américains, pour une raison ou pour une autre. Ceci crée parfois des clivages entre les deux communautés. Il s’en suit que certains Africains se dissocient des stéréotypes afro-américains afin d’éviter ces regards soupçonneux. Ils encouragent leurs enfants à ne pas s’habiller d’une certaine façon, de parler comme ça et d’écouter ceci plutôt que cela, ou de se comporter comme cela, dans l’espoir que leurs enfants seront en sécurité et ne soient pas les prochains Trayvon Martin. Toutefois, l’origine de la discrimination se trouve être la couleur de leur peau, un facteur auquel ils ne peuvent échapper.

Les Africains font l’expérience de préjugés aux Etats-Unis. Malgré tous les efforts pour échapper aux soupçons, ils savent que la couleur de la peau est à l’origine de la discrimination. Ils sont ciblés autant que les Afro-américains et subissent les mêmes discriminations dans les institutions publiques. A tout égard, ils sont dans la même galère que les Afro-américains en raison de leur couleur. Bien que le soupçon soit plus léger, initialement, ils sont traités avec suspicion et subissent le même sort. Amadou Diallo, un immigrant venu de Guinée, a reçu 41 balles parce qu’il cherchait son portefeuille. L’officier blanc pensait qu’il sortait une arme. Dans la plupart des situations de ciblage basées sur la couleur, il n’y a pas le temps pour une distinction géographique. Trayvon aurait pu être n’importe quel Noir des Caraïbes ou de la diaspora africaine vivant en Amérique.

Pour être une population qui a fait l’expérience de l’injustice, les Africains devraient facilement pouvoir sympathiser avec une communauté confrontée à l’injustice. Comme l’a formulé Martin Luther King Jr, "nous sommes liés par un réseau inéluctable de mutualité et ce qui affecte l’un affecte l’autre et affecte tout le monde indirectement". Si les droits d’un homme sont violés, ceux de chacun peuvent être violés. Raison pour laquelle des Américains de toutes races et de tout bord sont solidaires de la communauté afro-américaine et s’élèvent contre l’injustice au travers du cas de Trayvon Martin. Les Africains qui sont publiquement solidaires avec les Afro-américains s’assurent que les droits humains de chacun sont respectés et défendus

CONCLUSION

La communauté africaine devrait être plus active en étant solidaire avec tous les Afro-américains et toute autre minorité menacée d’injustice. Nos médias devraient s’impliquer qu’ils soient d’accord ou non avec le verdict. Nous ne devons pas laisser la communauté afro-américaine seule face à l’injustice potentielle. Les Africains en Amérique, en Afrique et dans la diaspora ne devraient pas manquer l’occasion de se faire entendre et d’être inclus dans le dialogue lié à la protection des droits humains.

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** Sitinga Kachipande est une intellectuelle spécialisée dans les études panafricaines. Actuellement elle est stagiaire dans la recherche et la communication à TransAfrica. Pour contact sur Twitter : twitter@Mstingak

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