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Le 28 avril 2009, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne et de l'Union africaine se réuniront à Bruxelles pour évaluer les progrès de la Stratégie conjointe UE-Afrique (JAES), adoptée à Lisbonne en décembre 2007. Les dirigeants européens et africains se sont engagés à assurer la participation de la société civile à ces processus mais, à ce jour, ces engagements restent en grande partie lettre morte, dans la mesure où les informations sont difficiles à obtenir et où leur accès reste contesté. Néanmoins, les acteurs de la société civile en Afrique et en Europe doivent être prêts à s'engager dans ces débats alors que des questions importantes seront en effet sur la table de discussion de nos dirigeants.

Cet article expose le contexte de la JAES et du Dialogue sur les droits de l’homme, le rôle potentiel de la société civile dans leur mise en œuvre, et il formule des recommandations sur les mesures à prendre.

I. La Stratégie conjointe UE-Afrique, de quoi s’agit-il ?
La Stratégie conjointe UE-Afrique fournit un cadre à long terme pour les relations entre l'UA et l'UE, fondé sur une égalité et des intérêts communs. La Stratégie est conçue comme un cadre pour accueillir les initiatives de coopération existantes et à venir entre les deux organisations, et elle dispose d'un Plan d'action avec des priorités et des résultats précis qui doivent être atteint d’ici à 2010. Ces derniers sont structurés en huit domaines de coopération (appelés « partenariats ») qui couvrent des thématiques importantes pour la société civile des deux continents, allant de la paix et la sécurité à la gouvernance, en passant par les droits de l'homme, le commerce, les migrations et les changements climatiques (voir l’Annexe sur les informations clés).

Bien qu'il existe des écarts entre les partenariats, leur travail a généralement connu une progression assez lente. Par exemple, le partenariat sur la gouvernance démocratique et les droits de l'homme a enregistré des progrès dans ses domaines prioritaires (dialogue au sein des instances internationales, appui aux mécanismes de gouvernance en Afrique et coopération concernant les biens culturels), mais n'a pas encore réussi à convenir d’un concept commun ou d’une marche à suivre pour traiter ces priorités vastes et ambitieuses. Les projets de mise en œuvre concrète sont définis par les Groupes d’experts conjoints (JEG) créés pour chacun de ces partenariats. Ces derniers rassemblent des représentants de niveau opérationnel et disposent de pays « chefs de file » à la fois européens et africains, pour faire avancer leur programme. Par exemple, l'Égypte, le Portugal et l'Allemagne dirigent le JEG sur la gouvernance démocratique et les droits de l'homme (voir l'Annexe pour la liste de tous les pays chefs de file).

La nomination d'un Envoyé spécial de l'UE auprès de l'Union africaine et le renforcement de la délégation de l'UA à Bruxelles, figurent parmi les rares résultats directs et immédiats de la Stratégie. Ces deux délégations sont chargées d’une grande partie des contacts quotidiens entre l'UE et l'UA et de la préparation des réunions officielles qui ont lieu régulièrement dans les deux continents (voir Annexe).

II. Le Dialogue sur les droits de l’homme
L'UE et l'UA ont mis en place un Dialogue régulier sur les Droits de l'homme, un instrument de politique étrangère utilisé par l'Union européenne dans ses relations avec plusieurs pays non européens (1). Ce Dialogue a été lancé officiellement en 2008, et est censé se tenir deux fois par an, alternativement en Europe et en Afrique. Les organisations de Droits de l'homme ont souvent critiqué les dialogues de l’Union européenne sur les Droits de l'homme en raison de la participation limitée de la société civile et de l’absence d'évaluation indépendante de leur impact sur des situations concrètes. Cependant, la mise en place de ce mécanisme institutionnel supplémentaire pour discuter des problèmes de Droits de l'homme à la fois en Europe et en Afrique constitue une avancée positive. Bien que ce Dialogue sur les Droits de l'homme soit distinct de la Stratégie conjointe UE-Afrique, il y aura des recoupements et une collaboration entre les deux processus, ce qui rend d'autant plus importante l’implication des organisations non gouvernementales (ONG).

III. À quel niveau la société civile peut-elle intervenir dans tout cela ?
La Stratégie conjointe UE-Afrique est destinée à être un « partenariat centré sur les peuples » et elle stipule clairement que l'UA et l'UE « vont donner des moyens d’agir aux acteurs non étatiques ». Les deux parties s'engagent à faire de la stratégie conjointe « une plate-forme permanente pour l'information, la participation et la mobilisation d'un large éventail d'acteurs de la société civile » et affirment que les objectifs de la stratégie ne peuvent être atteints que « si ce partenariat stratégique est approprié par toutes les parties prenantes, y compris les acteurs de la société et les autorités locales, et si elles contribuent activement à sa mise en oeuvre. » (2) Les termes de référence utilisés dans le Dialogue sur les Droits de l'homme ouvrent également la possibilité d'associer la société civile, qui « pourrait participer dans le cadre le plus adapté à l'évaluation préliminaire de la situation des droits de l’homme, à la conduite du dialogue lui-même [...] et au suivi et à l'évaluation du dialogue ». (3)

Malgré ces bonnes intentions, la participation des acteurs de la société civile à ce jour a été lente et limitée. Il n'existe pas de procédures convenues pour la participation de la société civile à la mise en œuvre globale de la JAES. L’accès aux réunions de travail se fait le plus souvent de manière ad hoc, et chaque groupe d'experts conjoint établit les méthodes qu’il considère comme appropriées pour faire participer les organisations de la société civile. Le premier événement conjoint UE-UA qui devait faire intervenir la société civile avant une réunion ministérielle (le 28 avril) a été reporté après que les organisateurs européens se soient retirés, en raison de contraintes de temps et des difficultés soulevées par l'UA sur la participation des ONG africaines.

La première session du Forum de la société civile prévue dans le cadre du Dialogue sur les Droits de l'homme les 16 et 17 avril, à Bruxelles, constitue une avancée positive. Le projet d'ordre du jour, bien que diffusé de façon assez tardive, est axé sur des questions importantes à la fois en Europe et en Afrique : les cadres juridiques pour la société civile, l'impact de la législation anti-terroriste et la lutte contre la torture. Le Forum rendra compte des résultats de ses discussions lors de la rencontre officielle du 20 avril. (4) On ne peut qu’espérer que des dispositions financières adéquates seront prises pour garantir la tenue des prochaines sessions du Forum.

L'Union africaine a maintenu que l'engagement de la société civile africaine dans la JAES ne devrait se faire qu’au travers du Conseil économique, social et culturel de l’UA (ECOSOCC de l’UA). Une réunion de consultation de la Commission de l'UA avec des ONG (Nairobi, du 3 au 5 mars 2009) a décidé de créer un Comité de pilotage de la société civile composé de 21 représentants chargés d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie. Ce groupe comprend des organisations qui ne sont pas membres de l’ECOSOCC de l’UA, mais il devrait être présidé par un membre de l’ECOSOCC et ses contributions devraient apparemment être transmises par l’intermédiaire de l'ECOSOCC. La Commission de l'UA (Direction des citoyens et de la diaspora-CIDO) est également membre du Comité de pilotage. De façon générale, il est difficile de trouver des informations sur les consultations menées avec la société civile africaine concernant les huit partenariats.

La participation de la société civile européenne dans la JAES a été également assurée par le biais d'un Comité de pilotage de la société civile (CSSG), composé de la plupart des organisations les plus intéressées ou les plus actives dans la mise en œuvre de la Stratégie. Ce groupe coopté s’est réuni de façon assez informelle, suite à une demande des institutions européennes appelant les organisations de la société civile à structurer leurs contributions. Un point de contact CSSG a été établi pour chacun des partenariats (voir Annexe). Le CSSG ne fait pas partie du Comité économique et social européen (ECOSOC de l’UE), qui est un organe officiel de l'Union européenne composé d’acteurs non étatiques issus du secteur social et économique (5). L'ECOSOC de l’UE a été assez peu impliquée dans la mise en œuvre de la JAES et elle est loin d’être le seul vecteur de participation de la société civile dans le cadre des institutions de l'UE. Les ONG européennes, tout comme leurs homologues africains, ne constituent pas un organe cohérent et solidaire. À Bruxelles, elles fonctionnent de façon très fluide, à la fois seules et en partenariats, dans le cadre de réseaux ou plates-formes qui interagissent avec les institutions européennes de façon formelle et informelle. (6)

Le degré d'implication des organisations de la société civile est assez variable. Les pays européens « chefs de file » dans le cadre du Partenariat sur la gouvernance démocratique et des droits de l'homme, par exemple, se sont efforcés de diffuser les informations relatives à leurs discussions à leurs homologues africains. Toutefois, ces échanges ont principalement porté sur les méthodes et les procédures associées au travail du partenariat, plutôt que sur les questions de fond. Récemment, les États impliqués dans ce partenariat ont invité deux représentants de la société civile à participer à la deuxième réunion du JEG de ce partenariat (les 30-31 mars derniers à Lisbonne). Même si cela a constitué une étape très positive, les intervenants ont été prévenus tardivement, et deux semaines avant la rencontre, aucun ordre du jour ou document de travail n’avait encore été transmis.

IV. Conclusion
Les questions débattues lors de ces réunions sont trop importantes pour être ignorées par la société civile, quelles que soient les imperfections du processus de consultation. Si des actions conjointes significatives sont menées dans ces domaines, elles pourraient avoir un impact majeur sur le travail de nombreuses ONG et sur la vie des communautés. La Stratégie peut également être un moyen pour les organisations de la société civile des deux continents d’apprendre à mieux se connaître, de trouver leurs points communs et de reconnaître leurs points de divergence, en comprenant que plus elles en savent et plus elles échangent les unes avec les autres, plus elles ont une chance d’avoir un impact sur les politiques et les actions en jeu dans la stratégie. Surtout, ceci offre une opportunité à la société civile des deux continents d’exprimer leurs préoccupations quant à la politique et aux pratiques de l'UE et d’examiner la cohérence entre l'action interne et externe de l'UE dans des domaines clés tels que les Droits de l'homme et la gouvernance.

Cependant, les systèmes de consultation laissent beaucoup à désirer, à la fois au niveau européen et africain, malgré les engagements en faveur d’une approche « centrée sur les peuples ». Nous en arrivons au point où, compte tenu des difficultés pour parvenir à une participation significative, les organisations de la société civile risquent de perdre tout intérêt dans le processus, et où la Stratégie, voire l’ensemble du Dialogue sur les Droits de l’homme, risque de n’être rien de plus qu’un ensemble d’engagements merveilleux amenant des responsables européens et africains à se rencontrer occasionnellement, mais qui n’apporterait aucun changement pour l’avenir et pour les relations entre les deux continents.

Que peut-on faire?

Les organes officiels de l'UE et l'UA doivent s'acquitter de leurs responsabilités. Les gouvernements et les institutions de l’UE et de l’UA doivent diffuser en temps utile les informations sur les réunions et les points inscrits à l'ordre du jour des discussions, et promouvoir plus d'événements dans lesquels la société civile peut intervenir et contribuer aux politiques officielles, tout en favorisant les contacts directs entre les organisations de la société civile de l'Europe et d’Afrique.

Mais les organisations de la société civile ne doivent pas attendre que les responsables officiels prennent l'initiative. Elles doivent prendre contact avec les Commissions de l’UE et de l’UA et les États membres pour manifester leur intérêt pour la Stratégie et des Partenariats spécifiques, s'informer sur les progrès réalisés et leur faire savoir qu’elles suivent attentivement la mise en œuvre du Plan d'action – et faire de même pour le Dialogue sur les droits de l’homme. Elles doivent demander et insister pour obtenir des mécanismes de participation de la société civile à la fois ouverts et participatifs. Tant que ces mécanismes ne sont pas mis en œuvre, les organisations de la société civile doivent développer des contacts informels avec les représentants des institutions de la société civile et du gouvernement, ainsi qu’avec les responsables de la Commission, non seulement avant les grandes réunions mais aussi de façon régulière. Les organisations de la société civile doivent également formuler des recommandations concrètes dans leurs domaines de compétence, et transmettre ces documents aux responsables ou, le cas échéant, au travers de déclarations publiques ou de campagnes de sensibilisation « greffées » sur les réunions officielles. Enfin, elles doivent établir un dialogue et promouvoir les contacts avec les organisations de la société civile de l’« autre » continent. Grâce à ce type d’efforts, les réunions qui risqueraient autrement d’être très conventionnelles pourraient en fait devenir de réels espaces de discussions et de prises de décisions concrètes.

Annexe : La Stratégie conjointe UE-Afrique – informations clés

Contact Dialogue UE-UA sur les droits de l'homme : [email][email protected]

Principales réunions officielles UE-UA
Sommet UE-Afrique : Les chefs d'État et de gouvernement se réunissent tous les trois ans, alternativement en Europe et en Afrique.
Troïka UE-Afrique : Les hauts fonctionnaires et les ministres se réunissent deux fois par an, alternativement en Afrique et en Europe. La troïka comprend les présidences actuelle et future de l'UE, la Commission européenne (CE), le Secrétariat du Conseil de l'UE, les présidences actuelle et sortante de l'Union africaine et la Commission de l'UA (CUA).
Réunions entre Commissions : La CE et la CUA se réunissent plusieurs fois par an au niveau opérationnel dans le cadre d’un groupe de travail. Les orientations politiques sont fournies par les réunions des Collèges des Commissaires de l'UE et l'UA, qui ont lieu une fois par an.
Groupes d'experts conjoints (JEG) : Des experts des deux continents chargés de la mise en œuvre de chaque partenariat se rencontrent de manière informelle plusieurs fois par an pour discuter des projets de mise en œuvre concrète. Leur travail est préparé et suivi par des Équipes de mise en œuvre distinctes de l’UE et de l’UA. Chaque JEG dispose d’une institution nationale chef de file.

Points de contact pour les OSC européennes pour chaque partenariat
Paix et sécurité - European Peacebuilding Liaison Office ([email protected])
Gouvernance démocratique et droits de l'homme - Amnesty International ([email protected])
Commerce, intégration régionale et infrastructures - CONCORD ([email protected] / [email][email protected])
OMD - CBM (lars.bosselman @ cbm.org)
Energie - Climate Action Network Europe ([email protected])
Changements climatiques - Climate Action Network Europe ([email protected])
Migrations, mobilité et emploi - CES ([email protected]) et CSI (isabelle.hoferlin @ ITUC-csi.org)
Science, société de l'information et Espace (aucun pour le moment)

Partenariat et pays/institutions chefs de file
Paix et sécurité - Secrétariat du Conseil de l'UE et Algérie
Gouvernance démocratique et droits de l'homme - Portugal + Allemagne et Égypte
Commerce, intégration régionale et infrastructures - Commission européenne et Afrique du Sud
OMD - Royaume-Uni et Tunisie
Energie – Allemagne + Autriche et Commission de l'UA
Changements climatiques - France et Maroc
Migrations, Mobilité et Emploi - Espagne et Égypte
Science, Société de l'information et Espace - France + Portugal et Tunisie

NOTES
(1) Par exemple, l'UE organise des sessions de dialogue sur les droits de l'homme avec la Chine, l'Asie centrale, l’Inde, les Etats-Unis, le Canada et le Japon. Elles peuvent être organisées de façon autonome ou dans le cadre de discussions politiques plus larges, que ce soit au niveau des experts ou des responsables politiques.
(2) The Africa-EU Strategic Partnership - A Joint Africa EU Strategy,
(4) La Commission européenne assure le financement de la réunion, par conséquent les frais de transport et d’hébergement des ONG africaines seront couverts. Veuillez contacter les responsables de la Commission au sein de l'organisation avant d'engager toute dépense car des restrictions peuvent s’appliquer.
(5) Il englobe les syndicats, les associations d'employeurs et les organisations d'intérêt général, comme par exemple des organisations d’agriculteurs ou des groupes de protection de l’environnement.
(6) Juste à titre d'exemple, consulter le site web du Groupe de contact de la société civile de l’UE, qui rassemble certaines des plus grandes plates-formes européennes d’organisations d’intérêt public, provenant de différents secteurs – la culture (FEAP), le développement (CONCORD), l’environnement (Green 10), les droits de l’homme (HRDN), l’éducation et la formation tout au long de la vie (EUCIS-LLL), la santé publique (EPHA), les questions sociales (Plate-forme sociale) et l'égalité entre les hommes et les femmes (LEF):
www.act4europe.org

* Carmen Silvestre est responsable des questions africaines, de la campagne Publiez Ce Que Vous Payez, du Fonds Global et de la liaison avec le Programme de Santé Publique à Open Society Institute, Bruxelles

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