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On a beau aimer le foot, il vient loin derrière dans l’ordre des priorités pour la justice sociale et la dignité humaine. Mais la logique capitaliste de la Fifa est implacable. Elle a sévi en Afrique du sud il y a trois ans avec la Coupe du monde 2010, elle est en train de déstabiliser le Brésil en prévision du Mondial 2014.

Les manifestations qui agitent le Brésil, en marge de la Coupe des confédérations et en prévision du Mondial-2014, illustrent les dérives d’un jeu devenu difficile à maîtriser. Le pays le plus étoilé au monde, l’endroit où on compte le plus de licenciés sur la planète, là où chaque grain de sable est un ballon, accueille le Mondial de football pour la première fois depuis 1950 et le peuple n’est pas heureux. On se disait que Brazil-2014 allait être un festival de fluorescences et de bonheur extatique, voilà que le bas-peuple des favelas ramène tout à la cruelle réalité de ce qu’est devenu le football : une infernale machine à sous qui, dans la recherche du profit optimum, ne s’embarrasse guère des misères qui font le lit du bonheur capitalistique.

De Sao Paulo à Belem, le peuple emplit les rues et ses cris étouffent le brouhaha qui monte des gradins de Maracana, d’Estadio Nacional ou d’Arena Pernambuco. On proteste contre les coûts engagés dans la préparation du Mondial, contre la corruption qui pue à plein nez dans les marchés de construction des infrastructures pour la compétition, dans un pays où l’émergence n’est qu’un cache-ses pour la misère. Le Brésil est membre des Brics, mais il n’y a pas assez de briques pour autant d’écoles et d’hôpitaux que nécessaires. Un pour cent de la population émerge, les 99% s’encrassent dans la boue.

On a beau aimer le foot, il vient loin derrière dans l’ordre des priorités pour la justice sociale et la dignité humaine. Mais la logique capitaliste de la Fifa est implacable. Elle a sévi en Afrique du sud il y a trois ans. Pretoria avait investi 4,6 milliards de dollars, consacre 5% de son Pib à la préparation du Mondial et perdu quasiment autant. Pour construire des routes, embellir les villes, améliorer les infrastructures le gouvernement de Zuma avait déplacés 6000 personnes et rasé 3000 taudis.
Quand tout fut terminé, les cinq entreprises chargés de la construction des stades avaient vu leurs bénéfices augmenter de 1300%. Peu leur importe la misère laissée sur place. Aujourd’hui, l’entretien du seul Soccer City Stadium coûte environ 1,5 milliards de francs Cfa par an à l’Etat sud-africain. Ce n’est pas Blatter qui s’en soucie.

Au Brésil, le niveau de conscience et de mobilisation du mouvement social ne peut laisser passer pareille forfaiture. L’Amérique latine d’aujourd’hui n’est plus celle des sombres dictatures qui bâillonnaient et tuaient pour bâtir leurs gloires sportives sur le silence de milliers de cadavres. Qu’on se rappelle qu’en 1968 (on en parle peu), à dix jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Mexico, l’armée tira sur des manifestaient qui réclamaient «démocratie, liberté pour les prisonniers politiques, fin de la corruption et de l’oppression gouvernementale». Bilan : 1000 morts. Dix jours plus tard on a couru, on sauté, on lancé… Ce furent parmi les jeux les plus historiques.

On se rappelle aussi que quand la soldatesque de Pinochet assassina Allende en 1973, c’est le stade de Santiago qui fut transformé en centre de torture et d’assassinat en règle, pour le règne d’une des pires terreurs couvertes par la Cia au siècle dernier. On se souvient aussi que c’est dans une Argentine mise sous coupe réglée par la dictature de Videla, que les Kempes, Luque, Tarantini et autres Pascarella remportèrent le Mondial-1978.

Mais l’Amérique Latine de la peur ambiante et des résistances isolées n’est plus. Le souffle bolivarien qui balaye ce sous-continent inspire les combats les plus farouches contre la culture néolibérale et la financiarisation à outrance qui reste le moteur de la Fifa.

Un autre Mondial est possible, qui ne se nourrit pas de la misère des peuples. Quand il a été crée en Angleterre, le football était joué par des ouvriers qui cherchaient un dérivatif à la sortie de l’usine. Les terrains étaient à l’ombre des cheminées. Cette image en noir et blanc relève d’un millénaire et d’une histoire révolue, certes, mais on n’a pas besoin de prostituer le foot pour en faire le jeu le plus mesquin au monde.

A entendre parler Sepp Blatter, on voit jusqu’où la déchéance peut aller. Citation : «Le Brésil a demandé à accueillir le Mondial. On ne les a pas forcés. Et le football va toucher l’ensemble du pays. Cela va améliorer les aéroports, les hôtels, les autoroutes, les télécommunications. Le foot est là pour construire des ponts, pour amener de l’espoir, pour générer de la joie. La seule chose que l’on peut faire, c’est construire de beaux stades pour que les gens puissent en profiter dans les meilleures conditions.»

Mais on est au Brésil, un pays où on peut entendre un ancien champion du monde, Rivaldo en l’occurrence, clamer : «C’est une honte de dépenser autant d'argent pour une compétition sportive et de laisser des écoles et des hôpitaux en mauvais état». Feu Docteur Socrates, qui avait le ballon sur le pied droit et les idées justice sociale sur le pied gauche, peut dormir tranquille dans sa tombe.

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** Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l'édition française de Pambazuka News

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