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A N P

Depuis quatorze ans le Comité International pour la Justice sur Sankara ne désarme pas dans sa quête de vérité sur l’assassinat de ce dernier, mais aussi pour que cesse cette impunité dans laquelle se perpétuent les assassinats des internationalistes. A l’occasion du 62e anniversaire de la naissance de Thomas Sankara, Aziz Salmone Fall revient sur les aveux et témoignages qui situent les responsabilités et corroborent les complicités autour de l’assassinat, le 17 octobre 1987, de celui qui a incarné l'espoir d’une véritable rupture d’avec l’ordre colonial en Afrique. Il rappelle aussi le sens de ses engagements et de son action politique.

Ce 15 Octobre 2011 marquait la 23ème commémoration de l’assassinat de Thomas Sankara premier président du Burkina Faso. Son présumé tombeau avait été vandalisé quelques jours plus tôt en toute impunité. Ses camarades célèbrent ce 21 décembre son anniversaire de naissance et savent combien sa présence en ce 21 ème siècle aurait pu être utile à l’Afrique. Néanmoins il demeure que son message et son œuvre restent toujours pertinents pour notre continent et le monde.

Thomas Sankara a incarné l'espoir d'un changement basé essentiellement sur la contribution des forces endogènes de ses concitoyens. Ce fut la dernière révolution africaine, interrompue dans le sang en 1987, alors qu'elle commençait à engranger des fruits prometteurs. A 37 ans, comme Che Guevara, Sankara rejoignait le panthéon des révolutionnaires. L'ancienne Haute –Volta, qu'il renomma Burkina Faso, est un pays enclavé, au développement extraverti et dépendant d'apports financiers internationaux, une formation sociale en quête permanente d'une autosuffisance alimentaire, une population active s'expatriant et confirmant la vocation historique de fournisseur régional de main d'œuvre bon marché, une élite qui conforte cet ordre, bref des caractéristiques d'un développement de type néo-colonial.

Thomas Sankara a, entre autres, privilégié l'agriculture et les paysans pour le sursaut national, voulu créer un marché intérieur de biens de consommation de masse accessibles et variés, tenté de satisfaire pour le plus grand nombre les besoins essentiels, contribué à l'émancipation de la femme et au changement des mentalités masculines, eu une gestion patriotique des deniers publiques, plaidé contre la dette et l'appauvrissement de l'Afrique en refusant la subordination qu'impose le système mondial et en appliquant un internationalisme agissant. Bref beaucoup d'initiatives radicales et contraires à la norme en vigueur dans le système mondial. Il s'aliéna vite tous les tenants locaux, régionaux et internationaux, notamment du pré carré françafrique.

L’assassinat de Sankara, en compagnie d’une dizaine de ses camarades, et la série de crimes politique qui ont suivi ont clos de façon sanglante une des dernières expériences révolutionnaires en Afrique. Le peuple du Burkina, la population africaine et la communauté internationale attendent toujours de savoir les circonstances de cet assassinat et leur responsable. Vraisemblablement un complot international et local a assassiné Sankara en compagnie d'une dizaine de ses camarades. Le certificat de décès argue d'une «mort naturelle» - en même temps que 12 collègues - et aucune explication des circonstances de leur mort n'a jamais été donné ; rien ne prouve le lieu exact de sa sépulture et aucune explication de son assassinat n'a jamais été donnée. Les présomptions pointent son meilleur ami, le ministre de la Justice de l'époque et actuel président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, ainsi qu'un un réseau de soutiens extérieurs.

C’est dans ces circonstances que la famille Sankara et notre groupe ont pris une initiative historique. L’impunité érigée en système au Burkina a été grâce à elle ébranlée par quatorze années de la CIJS (Campagne Internationale Justice pour Sankara). On se souvient qu’après avoir épuisé tous les recours juridique au Burkina, son collectif juridique avait porté l’affaire au comité des droits de l’Homme de l’ONU. Ce dernier avait crée un précédent en Afrique et au sein de l’ONU en reconnaissant les violations de l’État parti :

«Le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l'égard de Mme Sankara et ses fils, contraire a l’article 7 du Pacte. Par. 12.2 La famille de Thomas Sankara a le droit de connaître les circonstances de sa mort. (…) Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l'acte de décès constituent un traitement inhumain à l'égard de Mme Sankara et ses fils…»

Mais Le comité des droits de l’Homme ne retenait pas expressément le droit d’enquête et n’exigea une compensation et une reconnaissance du lieu de sépulture. Paradoxalement le Burkina n’a apporté aucune preuve pour justifier le lieu de sépulture. La somme offerte en indemnisation à la famille totalisait 43 millions 445 000 francs CFA (soit 66 231,475 Euros, ou 65 000 $). Certains des experts ont estimé que cette somme était plus généreuse (soit 650 000 $ - 434 450 000 FCFA) et que l’État partie faisait montre de beaucoup d’effort en biffant le mot «naturelle» de l’odieux certificat de décès, qui prétendait qu’il était décédé de mort naturel. Malgré la rectification du chiffre par les avocats et l’évidence que le pèlerinage des Sankaristes au cimetière devant des tombes présumées ne pouvait servir de preuve, le Comité des droits de l’Homme a déclaré être satisfait en avril 2008 «aux fins du suivi de ses constatations et –qu’il- n’a pas l’intention d’examiner cette question plus en avant au titre de la procédure de suivi».

Mais la CIJS poursuit sa lutte contre l’impunité d‘autant plus que le Burkina a continué à accumuler d’autres violations, passibles de poursuites, tandis que de nouvelles révélations de protagonistes de ces sinistres évènements auraient dû l’amener à ouvrir une enquête ou à tout le moins à enfin officiellement donner sa version des faits. En effet dans des révélations inédites corroborant les propos du général Tarnue, déjà assignées en preuve par la CIJS, le sénateur Johnson du Libéria devant la commission de réconciliation a imputé le meurtre de Sankara au président Compaoré, à son régime et aux connivences avec l’ex-président Taylor. Ce dernier, contre-interrogé au tribunal pénal de La Haye le 25 août 2009, à la page 27602, a nié en alléguant qu’il était à ce moment aux arrêts au Ghana, mais se fourvoie sur la culpabilité de Compaoré dans son interrogatoire, avant de se retracter (J’étais encore enfermé en prison quand Blaise Compaoré les a tué - I was still locked up in jail when Blaise Compaore killed all - during the killing of Thomas Sankara, because I can't say he killed, but he didn't do it himself. I was in prison in Ghana… .
http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=prr6j5%2bbmsc%3d&tabid=160
Dans un documentaire de la RAI, « Ombre Africane » http://www.youtube.com/watch?v=ChDY4zbMHes&eurl=http://www.youtube.com/user/lhommeintegre&feature=player_profilepage#t=22
un autre libérien, le général Momo Jiba, qui fut garde de corps de Compaoré, abonde dans le sens de Tarnue et de Johnson apportant des éclairages inédits sur l’assassinat de Sankara et prétendant, devant une caméra cachée, que Compaoré a fait feu personnellement à cette tuerie et que ce coup d’État est un complot international ayant même bénéficié de l’appui de la CIA. Un autre journaliste, Keith Harmon Snow, dans une entrevue avec Norbert Zongo, son collègue depuis assassiné par le régime Compaoré, avait aussi rapporté une piste de l’implication du Mossad et de la CIA dans cet assassinat. http://www.allthingspass.com/journalism.php?jid=4

Tous ces témoins disent craindre pour leur vie et refusent de donner plus de donner plus de détail à cet affaire. Cette dernière, plus que jamais plaide pour que la vérité soit connue afin que les burkinabé puissent tourner la page de l’impunité.

Le président Compaoré, responsable présumé de ces assassinats a été récemment nommé médiateur de la crise en Guinée. Au micro de RFI, il déclare sans ciller : « Nous ne devons pas tolérer en Guinée qu’il y ait encore des discussions sur des personnes disparues dont on ne retrouve pas les corps ».
http://www.rfi.fr/actufr/articles/118/article_85342.asp

On n’a jamais retrouvé le corps de Thomas Sankara et c’est pourquoi une procédure de requête pour séquestration avait été introduite par Me Nkounkou et depuis lors demeure sans réponse des autorités.

Le collectif de la CIJS prenant au mot la décision onusienne attend toujours des autorités de prouver que le caveau présumé de Sankara est bien le sien. Le 15 octobre 2009, le Collectif juridique de la CIJS , (1) représenté par Me Nzeppa, a déposé une requête pour assignation ainsi qu’une ordonnance pour un relevé des empreintes génétiques du corps présumé de la sépulture, érigée par le gouvernement du Burkina Faso, devant être comparées avec celles prélevées sur deux enfants Sankara. Nous attendons toujours de l’État parti qu’il se prononce sur notre procédure, et il n’est pas exclu que l’acte de vandalisme contre le présumé tombeau de Thomas Sankara soit lié à notre procédure. Cette lutte contre l'impunité doit être menée. L'impunité perpétue les assassinats des internationalistes qui osent infléchir le développement de leur peuple vers ses besoins essentiels. Sankara a incarné un développement autocentré et panafricain, une rupture radicale avec les désordres antérieurs, mais aussi bien des mentalités et autres rigidités culturelles. Un projet qui a nécessité une adhésion populaire, un engouement des masses, un sens du sacrifice des couches possédantes… Bref un ensemble de conditions qui font de Thomas comme certains de ses illustres prédécesseurs panafricanistes, des visionnaires en avance sur leur peuple. Non pas que leur projet de société ne soit pas encore toujours valable. Il se trouve juste que l'indispensable alliance nationale et populaire, inhérente à toute rupture avec la compradorisation et la mondialisation capitaliste est un épisode vicieux, ou périssent bien des tentatives louables à travers le continent. L'erreur de Thomas fut peut être de croire ce processus d'alliances bien enclenché, mais aussi d'avoir sous estimé la frange réactionnaire qui complotait contre lui.

Récemment, une pétition de camarades français ont appelé à soutenir notre campagne et exigent de faire la lumière sur les agissements de la France dans l’affaire Sankara. Nous vous recommandons de la signer à l’occasion de l’anniversaire de naissance de Thomas Isidore Sankara !
En voici l’adresse
http://www.thomassankara.net/spip.php?article866

Dans une note de remerciement au GRILA et aux avocats, Mariam Sankara, veuve de Thomas Sankara, avait déclaré : «Vous êtes les pionniers de la défense de la mémoire de mon époux. Si beaucoup d’autres ont repris le flambeau, c’est grâce à vous. Vous avez le mérite et le courage d’avoir porté, ma quête de vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara… cette phrase de Seneque l’illustre : «Ce n’est pas parce que c’est difficile que l’on n’ose pas. C’est parce que l’on n’ose pas que c’est difficile.»

Dans un message adressé à son peuple, Mariam Sankara, reprenant l’adage populaire, a insisté : «Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour apparaitra». Elle continue à appeler, à l’unité, à la résistance et à la détermination, en rappelant combien le message et l’objectif de Sankara restent actuels. En Amérique Latine ou de nouvelles formes d’intégrations régionales ont cours résonne encore le Sommet Afrique-Amérique latine où Hugo Chavez du Venezuela avait longuement cité Sankara dans son discours de 1984 :

«Nous pourrions chercher des formes d’organisation meilleures, plus adaptées à notre civilisation, en rejetant de manière claire et définitive toute forme d’impositions externes, pour créer des conditions dignes, à la hauteur de nos ambitions. En finir avec la survie, nous libérer des pressions, libérer notre campagne de l’immobilisme médiéval, démocratiser notre société, éveiller les esprits à un univers de responsabilité collective, pour oser inventer le futur».

NOTE
1) Collectif Juridique de la CIJS : Me Nargess Tavassolian; Me Aissata Tall Sall;Me Jean Abessolo; Me Catherine Gauvreau; Me Charles Roach; Me Dieudonné Nkounkou; Me 'Gaston Gramajo;Me Ferdinand Djammen Nzeppa; Me John Philpot Me Vincent Valai; Me Neda Esmailzadeh; Me Patricia Harewood; Cabinet Sankara; Me William Sloan

* Aziz Salmone Fall est Coordonnateur est coordonnateur de la CIJS (Campagne Internationale Justice pour Sankara) et fondateur du Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA)

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