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Pambazuka News, dans sa version anglaise, a publié régulièrement depuis 2004 les «Cartes postales» panafricaines hebdomadaires de Tajudeen Abdul Raheem, décédé dans un accident de voiture le 25 mai (http://www.pambazuka.org/fr/category/features/56651). Bien qu’en plaisantant à propos de ses écrits de Tajudeen nous disions qu’ils sont ‘’un cauchemar de rédacteur’’, il n’en reste pas moins qu’ils offrent un regard pénétrant et incisif sur les affaires panafricaines. Tajudeen s’exprime avec humour et optimisme, en plus d’être armé d’une foi inébranlable en la possibilité, en s’unissant et en s’organisant, de construire une Afrique bonne pour tous ses citoyens, quel que soit la dimension du défi auquel est confronté le continent. Pour célébrer l’engagement de Tajudeen et sa contribution au panafricanisme et la communauté de Pambazuka, nous avons choisi quelques-unes de ses cartes postales parmi les plus pertinentes, afin de les partager avec les lecteurs francophones de Pamabazuka. Elles démontrent la capacité mystérieuse de leur auteur à comprendre le cœur du problème et le fonctionnement du cœur humain, de clarifier des questions complexes et controversées et de donner aux gens l’élan pour oeuvrer au changement.

Tajudeen nous parle, dans ces morceaux choisis la Libération de l’Afrique, de la nécessité d’élever le statut de la femme, de l’abolition de l’esclavage et des esclavages des temps modernes, de la stigmatisation dont l’Islam et les musulmans sont l’objet de manière abusive.

1 - Se souvenir du jour de l’Afrique

Mardi dernier c’était le jour de l’Afrique. Malheureusement, nombre d’Africains seront surpris y compris les principaux journaux, politiciens, partis politiques et les milieux médiatiques, et même de nombreux gouvernements sur tout le continent, qui auront vécu cette journée sans aucune notion de sa signification historique. C’était le 25 mai 1963 que l’Organisation pour l’Union africaine a été fondée. Pour marquer cet évènement historique, le 25 mai est devenu le jour de l’Afrique pour tout le continent et la diaspora. Il fût une époque où ce jour servait à commémorer et à célébrer la libération de l’Afrique en solidarité avec la lutte en pays, principalement en Afrique australe, qui étaient toujours sous la botte des colonisateurs et de l’Apartheid.

Lorsque l’Afrique du Sud a été libérée, on a eu le sentiment de ’’enfin la victoire’’. Il apparaît qu’il n’y a pas de grandes luttes pour unir nos efforts et construire la solidarité sur le continent et dans la diaspora. Bien que l’Afrique soit maintenant sous dominance africaine, la libération de nos peuples de la pauvreté et de l’ignorance est aussi urgente aujourd’hui qu’en 1960, même plus urgente.

Dans de nombreux pays, le déclin officiel du statuts de la journée de l’Afrique remonte aux années 1970/80, lorsque plusieurs de ces pays sont devenus les forteresses de toutes sortes de régimes despotiques qui ne représentent même pas leur propre peuple, beaucoup moins l’Afrique. Il y avait aussi quelques pays aidés et trompés par les politiques opportunistes de la Guerre Froide, qui ont cru qu’ils pouvaient cheminer seul, sans leurs voisins, aussi longtemps qu’ils demeuraient les serviteurs fidèles de l’Occident ou des pays de l’Est.

Quelques pays ont tenté le non alignement, mais sans grande crédibilité, parce qu’en pratique ils étaient alignés sur l’une ou l’autre des puissances et courtisaient la partie rivale lorsque ceci s’avérait nécessaire. Donc le non alignement est devenu une promiscuité politique et idéologique utilisée par les dirigeants pour renforcer leur régime. Il semble loin le temps où la plus grave question qui occupait nos dirigeants était le choix de la puissance qu’il valait mieux soutenir, alors que prendre une position pro africaine était considéré avec suspicion.

Par exemple, les puissances occidentales et leurs substituts idéologiques parmi nos pères fondateurs, considéraient Nkrumah, en raison de son engagement panafricain, comme un ‘’ambitieux communiste’’ qui voulait être le président de toute l’Afrique ! Lumumba était ‘’ une dangereux communiste’’ qui devait être éliminé bien qu’il ait été élu par son propre peuple. Il en fut de même avec Nasser en Egypte et Ben Bella en Algérie. Même des panafricanistes comme Oginga Odinga, qui ne voulait pas devenir président, ont été visés. Je viens juste de relire le livre de William Atwood ‘’ The Reds and the Blacks in Africa’’, et celui qui veut savoir comment la Guerre Froide a enflammé et brûlé l’Afrique, devrait lire ce livre.

Ce qu’il y a de bien au jour d’aujourd’hui, c’est qu’après plusieurs décennies où nous avons tenté d’être comme les autres et avons dansé au son de leur musique, toutes tendances idéologiques confondues, nous avons finalement appris que nous ne pouvons être que nous-mêmes et que nous avons besoin les uns des autres afin de contrer la menace de la marginalisation, la globalisation rapace et assurer la consolidation des petites choses acquises et accomplies dans nombre de pays. Aucun pays ne peut être un miracle durable si ses voisins vivent l’enfer.

Ceci a motivé un nouvel enthousiasme pour l’intégration régionale et continentale au cours de ces dernières années. La meilleure expression en est l’Union africaine, inaugurée en 2002 à Durban en Afrique du Sud,, la conséquence de la transformation de l’OUA qui a vu le jour lors d’une réunion au sommet extraordinaire à Syrte, en Libye en 1999

Cette nouvelle union, en dépit des sarcasmes et des moqueries des afro pessimistes intérieurs et extérieurs, a fait des progrès constants. La commission de l’UA a travaillé d’arrache-pied depuis que le président Alpha Konaré, l’ancien président du Mali, et ses collaborateurs sont entrés en fonction l’année dernière. En mars, le parlement panafricain, où siègent cinq représentants de chacun des 53 pays membres de l’UA avec l’infatigable Béatrice Mongela de Tanzanie élue présidente, a été inauguré. Mardi dernier, le Peace and Security Council (Conseil pour la paix et la sécurité) a été formellement inauguré.

(…) L’Union africaine fournit de nouvelles opportunités pour remettre sur le métier un programme panafricaniste plus large unissant tous les Africains. Mais pourquoi tant d’Africains demeurent-ils indifférents ? Ceci a beaucoup à voir avec la méfiance et la suspicion concernant toutes les initiatives provenant de dirigeants africains. Les cicatrices douloureuses sur nos corps physiques et nos institutions politiques qui résultent de notre manque d confiance en nos dirigeants, font que maintenant les gens généralement restent sur une réserve prudente. Le déficit en crédibilité ne peut être comblé que si les dirigeants africains démontrent qu’ils sont véritablement engagés et que cette fois c’est vrai.

Il est une chose qu’ils peuvent faire pour convaincre notre population que cette fois c’est sérieux, c’est abolir tous les règlements bureaucratiques anti peuple et les procédures qui restreignent les déplacements des personnes entre pays africains. C’est simplement ridicule que la plupart des Africains éprouvent de grandes difficultés à entrer dans un autre pays africains avec un passeport africain. Et il est honteux qu’il soit plus facile pour un Européen ou un Américain de visiter, travailler ou s’établir en Afrique que pour les Africains ! Si le 25 mai n’a plus de résonance historique, qu’en est-il du 9 juillet 2002 qui est la date de l’inauguration de l’Union africaine ?

Y a-t-il un meilleur moyen pour introduire dans la conscience de tous les Africains, en particuliers, nos jeunes à l’école, à l’université et généralement les forces populaires, qu’en déclarant dans tous nos pays, ce jour comme le jour de l’Union africaine ? Actuellement, il y a moins d’une douzaine de pays qui continuent d’honorer la journée de l’Afrique. Les dirigeants de l’Afrique doivent prendre un nouvel engagement qui soit pratique et qui nous rende libre de circuler et nous établir, sans encombre du Cap au Caire. Ce droit doit s’étendre à tous les Africains de la diaspora qui choisiraient d’en bénéficier. Sinon, la journée de l’Afrique ou de l’Union africaine n’aura aucun sens pour nos peuples. Ce sera juste un autre jour dans la plantation en attendant ‘’ Uhuru’’

2 - Chaque jour devrait être le jour de la femme

Depuis le début de ce mois, il y a eu en Grande Bretagne toutes sortes de commémorations, de discours, de réunions de prières et toutes sortes d’autres activités publiques pour marquer le deux centième anniversaire de l’abolition du trafic d’esclaves transatlantique. Elles ont provoqué nombre de réactions et généré beaucoup d’intérêt, de débats, de reconstructions et de déconstructions.

Malheureusement ceci est plus le fait de la diaspora que des Africains en Afrique, à l’exception du Ghana, qui a réussi a incorporé cette douloureuse expérience dans une attraction touristique créative. Dans une année où le Ghana célèbre ces cinquante ans d’indépendance, et va faire la fête tout au long de l’année, les commémorations anti-esclavage sont devenues une autre valeur ajoutée à une hystérie de ’’soyez heureux’’ orchestrée par l’Etat.

Le Ghana n’est pas le seul pays où les esclaves ont été capturés et forcés, enchaînés, à bord de bateaux qui les ont transportés dans des conditions des plus inhumaines vers les plantations des Caraïbes et de l’Amérique du Nord, les autres Amériques et l’Europe. Les nations de
l’Afrique de l’Est, du Centre et du Sud et d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest y compris l’actuel Sénégal et le Nigeria ont aussi fait partie de ce trafic honteux qui a duré 400 ans. Si cette histoire nous touche tous, comment se fait-il que tant d’Africains et de dirigeants africains ne sont pas intéressés par cette expérience barbare dont l’impact continue de se manifester au travers de l’image négative persistante de l’Afrique et des Africains dans le regard du reste du monde ?

L’esclavage a été suivi par le colonialisme, ce qui est une distinction purement légale, dans la mesure où celle-ci n’a guère changé les aspects négatifs de la vie de nos peuples. Dans un certain sens, l’esclavage a pris fin en Europe mais a persisté dans les colonies. Peut-être qu’une des raisons pour laquelle les Africains ne sont pas particulièrement intéressés résident dans le fait que ceci réveille trop de douleurs, le souvenir de notre assujettissement et des outrages subis et rendent plus insupportables le fait que, aujourd’hui encore, la vie de beaucoup de gens en Afrique, et dans la diaspora, ressemble à celle des esclaves.

En dépit de l’histoire et des finesses légales, pour beaucoup de gens, l’esclavage n’est pas mort, il a seulement muté. Il a pris une autre forme d’exploitation et de domination qui nous met encore et toujours au bas de la liste selon la plupart des indices de progrès humains. Comme les rois et les empereurs et autres marchands d’esclaves des temps jadis, nos présidents et premiers ministres dominent un système de pouvoir qui continue à faire de nos gens ’’ des tailleurs de bois et des porteurs d’eau’’, cependant que les richesses de ce continent continuent d’être siphonnées par d’autres, satisfaits qu’ils sont d’être les partenaires mineurs aussi longtemps qu’eux et leur familles et tous les parasites qui s’accrochent à eux, peuvent maintenir leur style de vie de consommateurs grotesques et injustifiés. Ils vendront n’importe quoi ayant déjà troqué leur âme.

Le somnambulisme dont font preuve les dirigeants africains, dès lors qu’il est question de l’esclavage, tient peut-être au fait que le passé pèse trop lourdement sur le présent et aussi qu’ils craignent que d’aucuns tirent un parallèle inconfortable avec l’état d’esclavage des temps modernes auquel est réduit la population, en raison de leur collaboration au marché libre, à la privatisation, la modernisation et la globalisation.

Les esclaves étaient capturés lors des guerres ou des rafles et vendus de force, mais aujourd’hui nous finançons volontairement notre propre esclavage. Rendez-vous juste devant une ambassade occidentale n’importe où sur le continent et vous verrez des hordes de nos populations (surtout des jeunes) qui feraient n’importe quoi pour obtenir un visa pour se rendre à l’étranger. N’importe où fera l’affaire, aussi longtemps que c’est hors d’Afrique et même les anciens pays esclavagistes en Europe et en Amérique restent des destinations préférées.

(…) Même lorsque l’esclavage battait son plein, des millions de personnes ont résisté, résistance que beaucoup ont payé de leur vie et ce dans ce qui est nommé par euphémisme le Passage du Milieu. Nombreux sont ceux qui sont morts pour avoir été jetés par-dessus bord en raison de maladies ou parce qu’ils étaient ‘’trop difficiles à manier’’, cependant que d’autres ont plongé dans la mer, préférant se faire dévorer par des requins, des crocodiles et autres prédateurs marins, plutôt que d’être embarqués vers les plantations. Dans ces plantations, la résistance était rampante et prenait de nombreuses formes culturelles comme l’établissement d’église africaine, la musique, les tambours, etc.

En Haïti, la révolte des esclaves a été décisive puisqu’elle a abouti. Aujourd’hui, Haïti est cependant synonyme de toutes sortes d’actes d’inhumanité, étant le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental alors qu’il était un joyau de prix dans les économies esclavagistes pour être le principal producteur de cannes à sucre. Haïti a joué un rôle glorieux dans la résistance à l’esclavagisme que nous ne devons pas oublier. Dans la jungle brésilienne, des anciens esclaves ont établi le royaume de Zoumbi après avoir s’être affranchi de l’esclavage.

Il est important de se souvenir de ces luttes, parce que nos médias africains, intellectuellement paresseux et dépendant de la technologie, ne nous offre que des ‘’copier-coller’’ à partir de la presse occidentale qui affirme que l’abolition de l’esclavage est due aux sociétés abolitionnistes en Grande Bretagne, aux églises et aux missionnaires et aux bonnes gens d’Europe et d’Amérique.

L’islam remplace le communisme dans le panthéon des phobies occidentales

Tajudeen Abdul Raheem*

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