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Déclaration annuelle du Réseau Amazigh pour la Citoyenneté « Azetta Amazigh » sur la situation des droits linguistiques et culturels amazighs au Maroc

Malgré les aspects positifs de l’énonciation constitutionnelle du statut de l’amazigh dans l’identité marocaine et en dépit de l’officialisation de la langue amazigh, la réalité des droits culturels et linguistiques amazighs souffre encore d’un grand nombre de violations.

Au moment où il commémore le 64ème anniversaire de la publication de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Bureau exécutif du Réseau Amazigh pour la Citoyenneté «Azetta Amazigh » voudrait féliciter l’ensemble des mouvements de défense des droits de l’Homme et des droits des peuples, qui luttent avec acharnement pour un autre Maroc et un autre monde possibles; un Maroc et un monde où régneraient les Droits de l’homme dans leur intégralité et universalité.

Comme il n’a cessé de le faire à cette occasion, le Réseau Amazigh pour la citoyenneté rappelle la signification profonde de cette fête internationaliste qui constitue une étape cruciale dans l’histoire de l’humanité qui aspire à la liberté, à l’émancipation et à la jouissance de tous les droits linguistiques, culturels, sociaux, économiques, politiques et environnementaux, sans aucune discrimination fondée sur la langue, la culture, le sexe, la religion, la couleur, la race, l’appartenance politique ou autres. Le Réseau Azetta-Amazigh considère que cette étape constitue une opportunité pour passer en revue la situation et l’évolution des droits linguistiques et culturels amazighs au cours de l’année 2012.

Ainsi, le Réseau a pu suivre la situation générale liée à la question amazighe au Maroc au cours de l’année 2012, marquée par de nouveaux développements politiques que l'on peut résumer dans l’élection d’une nouvelle chambre des représentants et la formation d’un nouveau gouvernement, sur la base de la constitution amendée de 2011. Aussi, dans la perspective de l’élaboration d’un rapport détaillé des divers aspects qui entravent encore l’évolution du dossier amazigh au Maroc et qui feront l’objet du rapport parallèle au rapport gouvernemental, destiné à la Commission des droits économiques, sociaux et culturels lors de sa prochaine session, le Bureau exécutif du Réseau Amazigh pour la citoyenneté déclare ce qui suit :

Malgré les aspects positifs de l’énonciation constitutionnelle du statut de l’amazigh dans l’identité marocaine et en dépit de l’officialisation de la langue amazigh, la réalité des droits culturels et linguistiques amazighs souffre encore d’un grand nombre de violations. En conséquence, « Azetta-Amazigh » constate ce qui suit:

PREMIEREMENT : Dans le domaine du droit à l’organisation, la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la personnalité juridique et le droit à un procès équitable

1- Contrairement aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme et aux dispositions des articles 12, 25 et 29 de la Constitution amendée, le droit à l’organisation, au rassemblement et à manifester fait encore l’objet de violations. En effet, près de 15 associations amazighes, dont des sections du Réseau Amazigh à Tanalte, Timoulay, Casablanca, Ait Iyad et Marrakech, l’Association Souss pour la Dignité -Al Karama- et les Droits de l’Homme à Agadir, la section de l’Organisation Izerfane à Agadir, ainsi que l’association Tawada à Ouarzazate sont toujours privées du récépissé du dépôt légal auquel elles ont droit. Ces associations ont satisfait toutes les voies légales requises stipulées par l’article 5 de la loi 00/75 relative aux libertés publiques. En fait, cela constitue une violation flagrante de l’alinéa 9 du paragraphe (d) de l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Par ailleurs, le chef du gouvernement ne cesse de tergiverser à publier le décret d’utilité publique en faveur du Réseau Amazigh pour la Citoyenneté, malgré le fait que le dossier ait épuisé l’ensemble des démarches procédurales depuis 2006.

Quant aux rassemblements publics et au droit de manifester, de nombreux mouvements de protestation ont fait l’objet de répression, d’arrestations et de procès iniques, à Ouarzazate, Marrakech, Meknès, Beni Bouayach, Imider, Sidi Ifni, Nador, Al Hoceima et Rabat.

2- Contrairement aux observations de la Commission pour l’élimination de la discrimination raciale, au cours de l’examen du rapport gouvernemental le 18 août 2010, l’arsenal juridique n’a pas été harmonisé avec les dispositions de ladite convention. En effet, les amazighophones souffrent encore, pour des raisons de langue et d’appartenance ethnique, des pires formes de discrimination au niveau de la législation pénale et civile. Sur le plan des procédures en vigueur dans le système judiciaire, les amazighophones sont toujours privés d’ester en justice dans leur langue, en application de l’article cinq de la loi N° 3.64 du 26 janvier 1965, relative à l’unification des juridictions, faisant de la langue arabe la langue unique pour ester en justice, ce qui constitue une violation flagrante des dispositions des articles 2 à 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

3 - En dépit de la satisfaction relative de certaines doléances, la question des prénoms amazighs, du fait même des procédures de saisine de la haute commission de l’État civil, constitue encore une atteinte au droit des enfants à acquérir des prénoms amazighs avec la même célérité et fluidité que les enfants dont les parents ont choisi des prénoms arabes.

Azetta-Amazigh n’a pas cessé de protester contre ces complications et a constaté, au cours de cette année même, des dizaines de cas d’atteinte au droit à la personnalité légale, du fait du refus des officiers de l’État civil d’enregistrer des prénoms amazighs à Ouarzazate, Azilal, Kénitra, Outat El Haj, Hambourg en Allemagne, Bruxelles en Belgique, Barcelone en Espagne et deux cas à Marrakech.

Azetta-Amazigh a déposé des plaintes et adressé des lettres ouvertes à ce sujet au Conseil National des Droits de l’Homme, aux Ministères de la Justice, de l’Intérieur, des Relations avec le Parlement et la Société Civile et des Affaires Étrangères et de la Coopération. Le Réseau Azetta-Amazigh a bien reçu des réponses de certains ministères, mais elles ne sortent pas du cadre des procédures légales stipulées par la loi relative à l’État civil. Toutefois, il demeure que cette loi qui n’est pas conforme au référentiel international des Droits de l’homme et nous en demandons la révision de manière à garantir à tout un chacun, et sans exception, le droit de choisir le prénom et d'acquérir la personnalité légale sans aucune discrimination, quel qu’on soit le fondement.

4- Les arrestations et les procès iniques dont les détenus d’opinion du mouvement culturel amazigh ont été victimes à l’université de Meknès : ils ont été incarcérés suite aux peines répressives prononcées à leur encontre. Malheureusement, malgré l’envoi du dossier de ces détenus au ministère de la Justice, joint à un rapport établissant que ces détenus n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable, ce ministère n’a pas pris à ce jour les mesures qui sont légalement de son ressort.

On constate également la persistance des arrestations et des procès à l'encontre des manifestants pacifiques, comme ce fut le cas avec les militantes du mouvement du 20 février et des mouvements de protestation sociale à Imider, Beni Bouayache et autres.

DEUXIEMEMENT: Dans le domaine des droits économiques et sociaux

La persistance de la violation, par la primature et le Haut commissariat aux Eaux et Forêts, des droits des communautés ethniques autochtones à l’usufruit et à la propriété des terres sur lesquelles elles vivent depuis des siècles. Cette violation est matérialisée par l’adoption, au cours de l’été 2012, de communiqués par le Haut commissariat aux Eaux et Forêts et de décrets de la primature marocaine, visant l’ouverture d’une procédure de délimitation du soi-disant domaine de l’État dans la région de Souss-Massa-Draa, notamment à Chtouka Ait Baha, Ait Baâmrane, Ifni, Tanalt et Idda Ougnidif, dans le but d’exproprier les terres des habitants et les transformer en forêts de chasse après l’expulsion forcée de la population concernée.

Par ailleurs, les politiques gouvernementales ont abouti, dernièrement, à la recrudescence du rythme des protestations des habitants de ces régions, soutenus par les organisations de la société civile, et demandant le respect des dispositions de l’article 3 de la Déclaration universelle des droits des peuples autochtones. En outre, les habitants d'Oulmès/Ait Amer sont toujours privés de leurs droits de tirer parti de l'exploitation industrielle des eaux minérales et d'autres ressources dont regorge la région et qui sont monopolisés par la Société Oulmès (Sidi) Ali.

TROISIEMEMENT : Le droit à l’information, l’éducation, la dignité humaine et le droit à la participation à la vie politique et culturelle

· Nous prenons note avec regret de l’adoption par la Première Chambre du Parlement de la décision d’interdire aux parlementaires de la Première Chambre du Parlement de s’adresser au gouvernement ou de poser des questions orales en langue amazighe. En outre, il y a eu l’élimination de la proposition de notre association visant l’intégration de l’approche de l’équité linguistique dans le règlement intérieur de la Chambre des Représentants.

· L'incitation à des discours racistes dans l’enceinte de la Première et de la Deuxième Chambres du Parlement, au cours du mois de novembre 2012, de la part d’un parlementaire de l’opposition à la Première Chambre, sans qu’aucune procédure ne soit engagée pour sanctionner de tels comportements, conformément aux dispositions du paragraphe (c) de l’article 4 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui stipule que les États parties s'engagent notamment "à ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales ou locales, d'inciter à la discrimination raciale ou de l'encourager".

· L’adoption du cahier des charges de la Société nationale de la radio et télévision -Snrt - qui réduit de 30% à moins de 20% le quota de diffusion d’émissions en langue amazighe sur les chaînes publiques arabophones et en langues étrangères.

· L’exclusion de la chaîne Tamazight des couvertures officielles et de la retransmission des compétitions sportives à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

· La faiblesse de la performance, de la rentabilité et du budget de la huitième chaîne de amazigh, ainsi que la persistance à porter atteinte aux droits des journalistes travaillant pour cette chaîne, outre le maintien de six heures d’émission quotidienne et la non prise de mesures pour augmenter cette part, en application des résolutions de son cahier des charges de 2010.

· La publication au Bulletin officiel (n°6086 du 27 septembre 2012/édition arabe) du décret conjoint N°2490.12 du 19 septembre 2012, du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, et du ministre délégué auprès du ministre de l’Economie et des Finances chargé du budget, au sujet de la détermination des conditions, critères et modes d'aide à la production des œuvres cinématographiques. Ce texte est injuste à l’égard de la langue et du cinéma amazighes. En effet, la troisième clause de l’article 4 du décret susmentionné stipule que le dossier doit comprendre le projet du scénario et le dialogue dans la langue de tournage du film, et de préciser que le scénario doit être joint à une copie en arabe lorsqu'il est présenté dans une autre langue.

Bien que l'arabe ne soit pas l'unique langue officielle énoncée dans la Constitution marocaine, et en dépit du fait que la langue arabe ne bénéficie d’aucun autre privilège par rapport aux autres langues (constitutionnelles ou autres), les deux ministres lui ont accordé la préférence pour qu’elle soit la langue unique pour lire les scenarii et aider le cinéma au Maroc.

· L’arrêt du parcours d’enseignement en amazigh au niveau de la sixième année du primaire depuis 2010, et le fait que le ministère de l’Éducation nationale et l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam) n’aient pas pris, conformément à la convention qui les lient, les mesures nécessaires pour la permanence du processus d’enseignement dans les niveaux ultérieurs, et la continuation du processus d’enseignement en amazigh de manière réductionniste ne dépassant pas la couverture de 5% de l’ensemble des écoles primaires au Maroc et dans la limite de certaines régions seulement. Il s'agit d'une violation des dispositions de l’article 13 de la Convention Internationale relative aux droits économiques, sociaux et culturels, et des articles 12 et 13 de la Convention des Droits de l’enfant.

Par ailleurs, le ministère de l’Education nationale ne fournit toujours pas aux élèves et aux enseignants les programmes scolaires et les supports pédagogiques, en plus de l’absence d'une formation claire, approfondie et suffisante des enseignants. En outre, l’enseignement universitaire de la langue amazighe trébuche encore puisqu'il est intégré sous forme de sections qui dépendent d’autres départements tels que celui de la langue française, sans qu’un département autonome lui soit consacré. Bien plus, dans certaines facultés (Université Mohammed V de Rabat, par exemple), l’enseignement de l’amazigh se déroule sans prendre en compte l’alphabet tifinagh, ce qui pose la question de la crédibilité et du référentiel de la formation.

· Les programmes de lutte contre l’analphabétisme, de l’enseignement des adultes et de l’éducation non formelle se limitent à l’apprentissage de la langue arabe classique, à l’exclusion totale de la langue amazighe, en dépit de son efficience et son importance dans ce domaine.

· L’absence de tout indicateur ou initiative visant l’intégration de la langue, la culture et la civilisation amazighes dans les programmes destinés aux citoyennes et citoyens marocains résidant à l'étranger, et aux immigrés résidant au Maroc.

QUATRIEMEMENT: Les droits humains des femmes amazighes

· Malgré le caractère positif du principe de l’adoption d’un programme visant l’intégration de l’approche genre dans les programmes gouvernementaux et les politiques publiques, le gouvernement n’a pris de mesure pour l’harmonisation de ce programme avec la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. En outre, le gouvernement n’a pas pris en considération, dans son approche, l’équité linguistique et spatiale des femmes amazighes. C’est ce qui consacre et signifie la persistance de la discrimination linguistique et culturelle à l’égard de la femme amazighe et sa privation de son droit à la participation à la vie culturelle, sociale et politique.

CINQUIEMEMENT : Au niveau de l’institutionnalisation des mécanismes de protection et de promotion de la langue, la culture et la civilisation amazighes

- L’État marocain tergiverse encore à mettre en œuvre les dispositions du deuxième paragraphe de l’article 14 de la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. De ce fait, cela entrave la mise en œuvre complète de la Convention et prive plusieurs de ses dispositions de leur contenu institutionnel et de droits humains.

- L’absence de toute allocation budgétaire directe destinée à la promotion de l’amazigh dans la loi des finances 2012/2013.

SIXIEMEMENT: En conséquence, le Bureau Exécutif du Réseau Amazigh pour la Citoyenneté « Azetta-Amazigh » réitère et réaffirme sa revendication de ce qui suit:

- L'instauration d’une constitution démocratique, consacrant la séparation des pouvoirs et la séparation de la religion de la politique et de l’État, l’égalité totale entre les langues et les cultures, entre la femme et l’homme, l’élimination de toutes les formes de discrimination consacrées par les législations nationales ainsi que l’harmonisation de ces législations avec les instruments internationaux des droits de l’Homme.

- La mise en œuvre urgente des dispositions des paragraphes trois et quatre de l’article cinq de la constitution à travers une approche participative et l’ouverture sur l’ensemble des expériences et des parties prenantes à cet égard.

- La mise en œuvre des dispositions de l’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, que le Maroc a ratifiée le 18 décembre 1970, ainsi que l’action en vue de mettre en œuvre les recommandations et les observations adressées à l’État marocain par les instances internationales.

- Le développement de l’enseignement de l’amazigh et sa généralisation à l’ensemble des niveaux, y compris la lutte contre l’analphabétisme, l’éducation non formelle et toutes les activités scolaires, la promotion de la recherche scientifique dans les domaines de la langue, la civilisation et la culture amazighes et la levée de l’injustice scientifique et historique dont elles font l’objet.

- La révision des textes juridiques et organiques formant le cadre de l’espace médiatique et audiovisuel, de manière à garantir l’équité et la mise à niveau de l’amazigh dans cet espace, tout en œuvrant pour la formation des cadres journalistes travaillant en langue amazighe et le renforcement de leur situation professionnelle et juridique.

- Le respect du droit d’opinion, d’expression, de s’organiser et en général toutes les libertés publiques et individuelles énoncées par les instruments internationaux des droits de l’Homme.

- L’élimination de tous les textes de l’arsenal juridique marocain ayant une teneur discriminatoire et inique à l’égard de l’amazigh et des amazighophones, et la confirmation de la diversité linguistique et du pluralisme culturel au Maroc dans toutes les politiques publiques.

- Le respect la souveraineté des tribus autochtones sur les ressources naturelles matérielles, immatérielles et symboliques, le respect de leur droit à les gérer suivant les modes qu’elles considèrent adéquats et de manière qui ne soit pas contraire aux principes généraux des droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus. Par ailleurs, il convient de mettre en place des politiques économiques équitables et transparentes qui permettent l’inclusion de toutes les couches et classes sociales et la satisfaction de leur besoin d’une vie digne.

Enfin, le Réseau Amazigh pour la Citoyenneté « Azetta-Amazigh » réitère son appui et son soutien aux initiatives du Haut Commissariat des Droits de l’Homme visant l’éradication et l’élimination de toutes les formes et types de discrimination dont l’amazigh fait l'objet en tant que langue, culture et civilisation.

Rabat, le 3 décembre 2012
Le Bureau exécutif - Réseau Amazigh pour la Citoyenneté

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