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Magharebia

En contraste avec ses voisins d’Afrique du Nord, l’Algérie attend encore des protestations massives et constantes de la base de sa population. Imad Mesdoua analyse les raisons de cet état des choses

Il est parti ! Le pharaon a finalement compris qu’il était le problème. Mieux encore, Hosni Moubarak a finalement trouvé une issue lui permettant à lui et à sa famille, et surtout à ses finances, de se sauver. Suite à son départ, l’Egypte respire. En fait toute la rue arabe a célébré le succès de la révolution égyptienne. Des semaines durant, toute la région a été le témoin de l’histoire en marche, pendant que des millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue en un mouvement véritablement héroïque pour destituer un autocrate apparemment inamovible. Dans l’euphorie qui a suivi le départ de Moubarak, l’armée a pris le pouvoir et a promis de mener à bien les réformes exigées par les contestataires. Suite à l’assassinat de Sa’adat, Moubarak a fait de même et on ne peut s’empêcher de craindre que le régime se perpétue après avoir éliminé sa figure de proue.

Le soutien tiède de l’armée pour la révolution tout au long de son développement, son ralliement tardif sont plus un sujet de préoccupation que de réjouissance. Sûrement que la fin de Moubarak n’est pas la fin du système pas plus qu’il n’est le début de la démocratie que les fondateurs du mouvement avaient probablement à l’esprit. Les révolutions sont souvent confisquées par les derniers arrivés. Les Egyptiens, comme les Tunisiens avant eux, ne devraient pas s’arrêter à ce succès et poursuivre quotidiennement leur lutte pour la démocratie.
Pendant que l’Egypte se réjouissait, l’Algérie voisine vivait dans l’attente des manifestations du 12 février en faveur de la démocratie. Un comité de coordination, composé de représentants de la société civile et de partis politiques, a appelé à une manifestation sur la place du 1er Mai à Alger et dans tout le pays, espérant participer aux vents de changements qui soufflent sur la région. En dépit de leur espoir d’une grande mobilisation, leur appel a été faiblement suivi, avec seulement quelques milliers de personnes venues y prendre part.

Pourquoi cela ? L’Algérie a toujours été un pays de rebelles, La Mecque des révolutions et des révolutionnaires. Dans les années 1960, l’Algérie a émergé comme nation indépendante après une guerre atroce contre le colonisateur français ; ce qui lui a valu le sobriquet de ‘’pays au 1,5 millions de martyrs’’. En 1988, une Algérie frappée par la récession avait été le témoin d’évènements comparables à ceux qui ont récemment eu lieu en Egypte et en Tunisie. Des millions d’Algériens étaient descendus dans la rue, avaient participé à des émeutes et des protestations dans tout le pays afin de demander la fin du règne du parti unique, le FLN (Front National de Libération) et de revendiquer leurs droits politiques et socioéconomiques.

De ce point de vue l’Algérie est le prédécesseur non reconnu d’une partie des révoltes dont nous sommes aujourd’hui les témoins. L’émergence d’un tsunami islamiste et la prise de pouvoir par l’armée, suite à l’annulation d’élections démocratiques, a mis un terme à une période démocratique sans précédent et éphémère. Les nations d’Afrique du Nord ont rapidement plongé dans une tragique décennie de violence et les Algériens ont été profondément marqués par une guerre civile d’une brutalité sans égale, par la terreur généralisée et par une paranoïa complète.

Aujourd’hui, les problèmes du pays restent complexes et multiples, problèmes qui trouvent leurs racines dans une réalité facilement observable : l’Algérie est riche, mais les Algériens ne le sont pas. Cependant que les indicateurs macroéconomiques sont dans le vert, les indicateurs de développement humain et social sont dans le rouge vif. Abritant des réserves de gaz et de pétroles considérables, l’Algérie doit encore se défaire de sa dépendance exclusive à l’exportation pour générer la croissance. Ceci a simultanément engendré une grande dépendance des importations. En douze ans, l’Algérie a fait un extraordinaire bénéfice de 600 milliards de dollars, résultant des revenus pétroliers, avec peu de réalisations pour en témoigner. Les salaires sont bas, le chômage élevé et les inégalités continuent de s’aggraver même si les chiffres disent le contraire.

Malgré des efforts pour restaurer les investissements de l’Etat dans le secteur des infrastructures et de l’éducation, l’argent est souvent mal dépensé et gaspillé. L’ombre de la corruption et du népotisme a récemment été révélée, lorsque le public a découvert que l’un des piliers économique du pays, SONATRACH (une compagnie pétrolière) distribuait des pots de vins et que des pratiques douteuses avaient cours parmi ses fonctionnaires.

Enfin, la bureaucratie continue d’être un labyrinthe encombrant, coûteux et fastidieux, qui empêche la constitution de capitaux et d’innovation. Des start up s’épanouissent sous le regard attentif de l’Etat ce qui, inévitablement inhibe la création d’emplois. Les médecins, les enseignants et le service civil sont sous payés, comparativement à d’autres économies où le capital est généré plutôt que simplement distribué.

Il faut encore mentionner qu’aucune diversification des secteurs générateurs de ressources n’a jamais été entreprise et la timide industrialisation du pays a toujours été sujette à des batailles idéologiques mesquines et à un favoritisme régional superflu. Dans ces circonstances, l’économie et la stabilité de l’Algérie continuent d’être tributaire des cours internationaux du gaz et du pétrole ainsi que de celui des denrées alimentaires de base.

Au cours du mois de décembre dernier, des émeutes ont éclaté dans tout le pays en réaction à l’augmentation drastique des prix de l’huile et du sucre. Dans un pays où nombreux sont ceux qui doivent lutter pour faire bouillir la marmite, une augmentation même minime des prix des denrées alimentaires de base provoque l’ire des laissés pour compte. La presse algérienne fait souvent mention de 10 000 émeutes et manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays pour la seule année 2010. Plus important que tout, il y a la question du logement. Des émeutes éclatent aussi fréquemment à propos de l’allocation injuste de logements étatiques, ce qui devient une source de frustration quotidienne pour de nombreuses familles.

Pourquoi donc les Algériens ne sont-ils pas descendus dans la rue par centaine de milliers dans cet environnement apparemment négatif ? Il y a d’abord la peur de l’éclosion de la violence. Pour l’occasion, le gouvernement a mobilisé un redoutable arsenal d’hélicoptères et plus de 30 000 policiers anti-émeute dans la capitale, un signe certain que les échelons politiques supérieurs ne prennent aucun risque.

Malgré les promesses récentes de lever l’Etat d’urgence qui dure depuis 19 ans, il a été rappelé froidement aux manifestants que les manifestations étaient interdites dans la capitale Alger. Avec le trafic ferroviaire interrompu et toutes les principales routes d’accès soigneusement contrôlées, tout mouvement en provenance des provinces voisines était rendu impossible. Toutes ces mesures ont évidemment contribué à une augmentation de la tension, avec nombre de personnes qui se demandaient si c’était la peine de prendre des risques pour leur propre sécurité.

La tragique réalité des Algériens aujourd’hui est qu’il n’y a personne, ni parti politique ni une personnalité, qui semble capable de rallier les protestataires à un programme politique cohérent (c'est-à-dire le changement !) Ce problème trouve principalement son origine dans l’incapacité ou le refus de la classe politique de se rajeunir. Autant l’opposition que le gouvernement font usage de chiffres qui sont à l’opposé l’un de l’autre. Avec une population parmi les plus jeunes du monde - la moyenne d’âge est 24 ans- une personnalité politique de plus de 50 ans, qui parle ‘’de changements auxquels on peut accorder foi’’, est susceptible d’être considéré hors course ou sans pertinence.

Toutes ces considérations m’amènent à la possible raison finale de la faible participation. Le mouvement en faveur du changement ne trouve pas encore d’écho auprès de la majorité parce qu’elle perçue, en raison de la présence de certains partis ou de personnalités politiques, comme une autre entreprise qui leur donne une plus grande visibilité. Bien que des griefs intenses existent dans le pays, les Algériens montrent un grand scepticisme en ce qui concerne les partis politiques qu’il soit de l’opposition ou pas. Il sont considérés comme servant leurs propres intérêts ou de connivence avec le pouvoir du jour, de sorte que leurs actions paraissent légitimes seulement à ceux déjà acquis à leur cause.

Les jeunes Algériens attendent désespérément le changement, ont soif d’une vie meilleure et sont accablés par la situation générale. En dehors de toute politique et idéologie, ils aspirent à la dignité et à rien de plus qu’à un projet visionnaire pour leur société. Pour certains, ceci revêtira la réalisation par l’économie et pour d’autres par la stabilité personnelle. D’autres encore aspirent à un sentiment d’appartenance et à une confiance renouvelée dans la politique du pays. Les tentatives, de plus d’une douzaine de personnes, de s’immoler par le feu, publiquement, au cours de ces dernières semaines, sont un sombre rappel pour tous du profond malaise qui prévaut dans de vastes segments de la nation.

Dans ce contexte nombreux sont ceux qui continueront de débattre du succès/échec de la marche de samedi (Ndlr : le 12 avril 2011). Ce qui est certain c’est que la marche a enfreint un interdit ancien qui défie le statu quo.

* Imad Mesdoua* écrit toutes les semaines sur les affaires africaines et maghrébines dans Ceasefire. Ses centres d’intérêts incluent la politique, les affaires courantes et le Real Madrid Fc. Cet article a d’abord été publié dans Ceasefire et traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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