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La candidature d’Abdoulaye Wade a fini par s’imposer, au bénéfice d’un fait accompli malgré les violentes protestations d’un M23 déterminé à s’opposer à la forfaiture constitutionnelle. Par delà l’analyse de ces péripéties, Aziz Salmone Fall souligne la nécessité d’une sortie honorable pour Wade et rappelle, face aux défis du futur, que le changement n’est pas seulement celui qui sort des urnes.

La forme de lutte adoptée par le M23 peut-elle conduire Wade à renoncer à sa candidature ?

Aziz Salmone Fall : Je ne crois pas que ce soit vraiment désormais le seul mandat du M 23. C’était au peuple sénégalais de trancher cette question lorsqu’il y a eu il y a quelques années le tripatouillage constitutionnel. En réaction à l’avis de nos juges, ces indignations organisées pourraient ne plus être d’actualité en raison de la frénésie de la campagne électorale. Le président Wade était déjà en campagne alors que les juges se concertaient. C’est mal connaître son narcissisme. Son ego surdimensionné, sa volonté de passer à l’histoire en tentant de parachever une oeuvre controversée, le complexe senghorien qui l’habite de donner le témoin au fait de sa gloire font qu’il est difficile de l’imaginer se désister à cette étape ci.

Revenant récemment de Tunisie et d’Egypte, j’ai pu cependant y constater combien il ne faut pas sous estimer la force des franges dépolitisées et repolitisées des sociétés civiles et des effets de mobilisation populaire spontanée. Ils s’alimentent d’exaspération, d’indignation, du discrédit qui frappent les classes politiques et de ripostes à la répression qui tente vainement de les contenir. C’est comme arrêter la mer avec ses bras ; c’est impossible. Possiblement l’organisation du M23 peut générer un effet synergique dans ce sens. Je ne connais pas personnellement Tine (Ndlr : Alioune Tine, le coordonnateur du M23) mais, à l’instar d’autres «droits de l’hommiste», ayant en commun la lutte contre l’impunité, je sais combien nager à contre-courant est difficile, surtout environné de multiples acteurs souvent aux visages changeants.

Les membres du M23 ne nagent-ils pas dans la contradiction en annonçant qu’ils ne boycotteront pas les élections tout en déclarant qu’ils n’iront pas à des élections auxquelles participera Wade ?

Aziz Salmone Fall : Il me semble que c’est une contradiction imposée par le fait accompli et la réalité conjoncturelle du terrain. Soit il y a un boycott et dans ce cas il faut massifier la lutte et avoir un scenario à la Moubarak, sous peine de voir le camp présidentiel avaliser son forcing ; soit les opposants, tout en dénonçant le «coup d’Etat constitutionnel», sont sommés de s’unir pour le bouter hors jeu, ce qui ne va pas empêcher leurs ambitions individuelles leur dicter de battre campagne. Devant les choix impossibles, il y aura progressivement un amalgame de ces choix et un risque de dispersion des itinéraires qui peut brouiller des électeurs. J’espère que si Wade est battu il aura une chance historique d’être fair-play, et sortir dignement de l’histoire, ce qui pourrait flatter aussi son orgueil.

Quelle est selon vous la meilleure attitude pour l’opposition : aller aux élections avec Wade et le battre par les urnes ou continuer le combat pour le retrait de sa candidature ?

Aziz Salmone Fall : L’opposition doit savoir que c’est elle qui a permis à Maître Wade d’arriver au pouvoir, puis ultérieurement, par ses errements et sa dispersion, d’y rester. Le président Wade ne peut plus triompher malgré l’autisme de son camp et ses moyens matériels, ses méthodes clientélistes et autres formes de cooptation et de marchandisation du pays, à moins qu’il n’y ait un truquage électoral ; auquel cas la rue s’embraserait. Une coalition arc en ciel peut donc facilement se débarrasser de Wade, comme jadis elle lui a permis de s’imposer.

Qu’est ce qui selon vous peut pousser Wade à renoncer à la présidentielle ?

Aziz Salmone Fall : La peur de voir son parti imploser, d’entendre seriner son sérail qui l’incite à aller de l’avant semble obscurcir le peu de jugement serein, au point que la première impression de l’observateur est que rien ne le pousserait à renoncer de son propre chef. Mais l’histoire est seule juge et, ici comme ailleurs, une frange du peuple déterminée et organisée peut facilement faire entendre raison aux autocrates et à leur entourage autiste.

La France et les Etats-Unis se sont impliqués dans le débat politique au Sénégal en demandant à Abdoulaye Wade de laisser la place à la jeune génération. Comment appréciez-vous ces positions étrangères que dénoncent certaines autorités sénégalaises ?

Aziz Salmone Fall : Nous n’avons pas de leçons de démocratie à recevoir d’eux, mais là ce sont les alliés et maîtres à penser de Wade qui tentent de lui faire entendre raison. Ces pays là ne pensent qu’à leur intérêt et n’ont que des alliés de circonstance en Afrique. Faut-il rappeler, comment en toute impunité ils ont passé les dernières décennies à éliminer ceux qui ont voulu se passer de leur tutelle, à soutenir ou lâcher des dirigeants devenus encombrants.

L’Afrique doit se ressaisir, l’ordre mondial prédateur veut l’Afrique sans les Africains, et il est temps de transcender cette ère de maîtres et valets. Il était pathétique de voir Wade faire du prosélytisme pour le panafricanisme ambigu de Kadhafi et ensuite être le premier à se précipiter à Tripoli pour le CNT. Cette ère d’incohérence opportuniste tire à sa fin. Une nouvelle génération d’Africains et d’africaines décomplexés, qui n’a pas été colonisée, n’attend plus son heure et refuse la prédation de l’ère néolibérale. À l’instar du reste du monde, elle sait qu’il faut redistribuer la richesse et lutter contre l’impunité. Elle ne peut plus se contenter d’exodes vers de faux exils dorés, même si leur perfusion aide des familles restées au pays.

La France et les Etats Unis sont des puissances en déclin, en crise, et doivent régler leurs problèmes, mais pas à nos dépends. J’ai confiance que l’Afrique est en mouvement et que le Sénégal ne sera pas en reste, mais c’est une lutte. Tous et toutes doivent s’engager pour le changement, qui n’est pas qu’électoral. Nous pouvons faire cela intelligemment, sans effusion de sang, car déjà ces morts qui jalonnent notre histoire récente sont de trop. J’espère qu’on rira bientôt de cet épisode malencontreux de notre histoire démocratique !

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS




* Aziz Salmone Fall est membre du GRILA (Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique) et coordinateur de la campagne internationale Justice pour Thomas Sankara. Ill enseigne les sciences politiques et l’anthropologie du développement à l’UQAM et à l’Université McGill (Canada). Cette interview a été publiée dans l'hebdomadaire sénégalais La Gazette - n° 147 du 23 février au 1er mars 2012


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