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J C

Fin novembre dernier, 3000 représentants d’organisations d’aide au développement ainsi que des politiciens et experts du monde entier se sont rencontrés à Busan, en Corée du Sud, pour rendre l’aide au développement plus efficace. Ils ont examiné dans quelle mesure les cinq principes sur lesquels on était tombé d’accord à Paris en 2005 étaient respectés, comment mieux faire sous ce rapport et tendre à plus d’efficacité. Yash Tandon, ex-directeur du South Centre de Genève, était présent à Busan. Pour lui, les conclusions de la conférence sonnent le glas de l’aide au développement sous sa forme actuelle. Et il est clair : pour lui, il n’y a pas à le regretter.

Selon un de vos commentaires, les efforts engagés pour accroître l’efficacité de l’aide au développement étaient mal dirigés dès le début. Pourquoi ?

Parce que ce sont les donateurs qui ont décidé, pas les gens qu’on prétendait vouloir aider. Les deux côtés n’étaient pas sur un pied d’égalité. Et lorsque l’échec de l’aide au développement a été patent, les donateurs n’ont pas recherché les causes fondamentales de cet échec, mais ont accusé les pays bénéficiaires de l’aide.

Mais la Déclaration de Paris met aussi à contribution les donateurs et exige qu’ils accordent mieux leurs violons et adaptent mieux l’aide aux structures des pays en développement.
De belles paroles. Les cinq principes de la Déclaration de Paris sont idéologiques, unilatéraux et impossibles à imposer aux donateurs. Sur le papier ils ont fière allure, mais on ne les a imposés qu’aux pays en développement.

Vous avez écrit que la Conférence de Busan signait la mort du business de l’aide au développement. Pourquoi ?
Depuis 2005, les pays de l’OCDE et la Banque mondiale se sont efforcés de populariser le concept d’une « aide plus efficace ». Mais les conclusions de Busan ne mentionnent plus cette notion. Elle a tout simplement disparu. Car les architectes du business de l’aide se sont aperçus qu’ils ne pouvaient plus employer le terme « d’aide ». L’aide est désormais rejetée, exactement comme le colonialisme. Le résultat en est que le business de l’aide a perdu toute légitimité.

Dirk Niebel, le ministre allemand de l’Aide au développement y voit, lui, un nouveau départ : il a dit que Busan jetait les bases d’une nouvelle politique de développement, à même de « mutualiser les forces nouvelles et anciennes et les faire travailler dans la même optique. »
Le ministre devrait relire les conclusions de la Conférence. Il y est dit que le groupe de travail de l’OCDE pour accroître l’efficacité de l’aide au développement doit être dissout avant juin 2012. C’est très clair. Pas question de « mutualisation ».

Mais le groupe de travail actuel doit être remplacé par un «Partenariat global pour un développement efficient.»
Cela ne fonctionnera jamais, parce que les élites européennes et occidentales se font du développement une idée fausse. L’Europe devrait prouver qu’elle est capable d’un « partenariat » avec les citoyens grecs, avant de proposer aux pays africains et du Tiers monde pauvres et endettés les stratégies actuellement en échec en Grèce.

Des organisations non gouvernementales considèrent que Busan est arrivé à un compromis : le document final laisse beaucoup à désirer, mais reconnaître expressément le titre de partenaire à la société civile marque un progrès.
Les ONG présentes à Busan n’étaient pas représentatives de l’ensemble de la société civile. La plupart étaient invitées par l’OCDE. Depuis la Déclaration de Paris on entend toujours la même chose: on est arrivé à un compromis, mais il reste beaucoup à faire. Cela prouve que les participants n’ont pas réussi à infléchir le débat en matière d’efficacité de l’aide. Les ONG peignent le monde en rose - dans leur propre intérêt.

Selon vous, tout ce débat autour de l’efficacité ne vise donc qu’à légitimer le business occidental de l’aide au développement, qui est de toute évidence égoïste et inefficace ?
Exactement. Ce business ne va bien sûr pas disparaître du jour au lendemain. Au moins un milliond’Occidentaux en vivent. Ils ont tout intérêt à ce qu’il perdure. Mais il va tomber en ruines peu à peu et mourir de mort lente. Le business de l’aide était gangrené dès le début, il y a 50 ans, lorsque les agences nationales et multilatérales ont commencé à soutenir financièrement les ex-colonies. Par exemple, lorsque la Banque mondiale a offert à ma patrie ougandaise son « aide » au moment de son indépendance en 1962 , elle est arrivée avec sa propre conception du développement. On ne s’intéressait pas aux populations, la stratégie était conçue par les gens d’en haut et servait en priorité les intérêts des ex-puissances coloniales : en premier lieu l’exploitation des matières premières. Tout l’agenda économique était faussé au départ. Et par la suite les organisations d’aide non gouvernementales ont adopté cet agenda.

Mais nombre d’entre elles critiquent violemment les aides nationales au développement et la politique de la Banque mondiale.
C’est exact, mais beaucoup se sont laissés corrompre au fil du temps. Oxfam, par exemple, était au départ de très bonne volonté : quelques personnes engagées voulaient donner de l’argent à d’autres moins bien loties. Et où en sommes-nous aujourd’hui ? Oxfam est un rouage de la stratégie de développement occidentale. Des organisations comme Oxfam ont été progressivement phagocytées. Elles critiquent les effets de l’aide, mais parallèlement continuent à y investir de l’argent.

Vous dites que l’aide est un échec. Mais que trouvez-vous à redire au financement de la fourniture en eau à Kampala - la capitale ougandaise - par la banque allemande KfW ?
Pourquoi appeler cela de l’aide ? Parlez de business, comme les Chinois et les Indiens. Les Chinois viennent à Kampala faire des affaires. Ils contactent le gouvernement et les entreprises et parlent d’investissement. Le terme « d’aide » est humiliant.

Donc, les Chinois, c’est mieux ?
Bien sûr. Pourquoi cacher vos intérêts économiques et politiques ? Soyez transparents, appelez les choses par leur nom. Vous faites du business.

Un autre exemple : Quel inconvénient voyez-vous à ce qu’une organisation ecclésiale allemande de développement essaie, en commun avec des organisations partenaires, de soutenir les femmes et les petits paysans ougandais?
Je l’accepte s’il s’agit de solidarité. La solidarité, cela signifie qu’on aide les femmes ougandaises à améliorer leur situation en se basant sur leur projet à elles. Mais les Allemands ne doivent pas imposer leurs propres valeurs. C’est à dire que les organisations solidaires doivent respecter, si la question se pose, les pratiques culturelles de ces femmes.

Même si ces pratiques vont à l’encontre des droits humains ? Ne devrions-nous pas en pareil cas encourager ces femmes à s’y opposer ?
Non, cela ne nous regarde pas. Ces femmes n’ont pas besoin d’un mentor qui les «encourage.» Pour avoir travaillé 20 ans à la base, je sais que les femmes de l’Afrique rurale ont élaboré des stratégies efficaces et avisées contre leur oppression. Elles savent ce qui marche et ce qui ne marche pas. Si des organisations étrangères appuient les initiatives de ces femmes, c’est bien. Mais si elles veulent résoudre elles-mêmes les problèmes des femmes, elles créeront sans doute des conflits qu’on ne pourra plus apaiser de l’extérieur. Le développement exige l’initiative des intéressés.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS




* Yash Tandon est ex-directeur du South Centre de Genève. Interview réalisée pat Tillmann Elliesen. Traduite par Michèle Mialane

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