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A l’heure où le système capitaliste mondial amorce une nouvelle phase de redéploiement à l’échelon mondial, que les damnés de la terre reformulent leurs aspirations et stratégies dans une situation de vide idéologique créé par la destruction du soi-disant bloc socialiste, une réactualisation de la pensée d’Amilcar Cabral s’avère plus qu’indispensable.

Vingt-six ans que Thomas Sankara nous quittait dans des conditions tragiques et pénibles. Un quart de siècle au cours duquel les peuples africains ont du mal à se remettre du traumatisme psychologique qu’une telle expérience a généré. Le 15 octobre 1987, alors qu’il se rendait à une réunion du Conseil de l’entente, il fut sauvagement assassiné. Depuis lors, le régime compradore de Blaise Compaoré a réinstauré en terre burkinabé les mécanismes d’un développement de type néocolonial, c’est-à-dire complètement subordonné aux intérêts des puissances impérialistes occidentales.

Pour avoir été l’un des premiers à jeter les bases d’une tentative réelle de déconnection du système mondial dans l’ère postindépendance, Sankara incarnait la continuité et la mise en application dans les conditions spécifiques du Burkina Faso, de la pensée d’un des révolutionnaires les plus éminents que l’humanité ait connus en cette fin de siècle : Amilcar Cabral.

Tout comme Sankara, Cabral nous quittait le 13 janvier 1973 dans des conditions similaires au premier. Pendant seize ans (1957 - 1973), jour pour jour, il a consacré sa vie à la libération des peuples de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert. Seize longues années au cours desquelles, il réussit, à la tête du Parti africain de l’indépendance de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert (Paigc), à libérer les deux tiers du territoire national du joug colonial. Malgré la présence de 30 000 militaires portugais, tentant de maintenir en vain ce qui évoluait inévitablement vers l’accession à l’indépendance, la pertinence du projet politique de Cabral finit par prendre le dessus sur la répression.

A l’heure où le système capitaliste mondial amorce une nouvelle phase de redéploiement à l’échelon mondial, que les damnés de la terre reformulent leurs aspirations et stratégies dans une situation de vide idéologique créé par la destruction du soi-disant bloc socialiste, une réactualisation de la pensée d’Amilcar Cabral s’avère plus qu’indispensable. C’est ce que nous tenterons à travers cette minime contribution dédiée à la cause de la Révolution panafricaine dans une période où on observe un regain d’intérêt pour le panafricanisme, face aux enjeux multiples auxquels sont confrontés les peuples africains, dans un contexte d’une mondialisation capitaliste en crise.

Pour bien cerner la pensée et praxis de Cabral, il est nécessaire de situer l’analyse de celle-ci au sein du contexte historique (social, économique et politique) dont il fut le produit.

CONTEXTE HISTORIQUE
La Guinée Bissau est un pays de 40 000 km2 avec une population estimée à 500 000 habitants en 1960. Insérée sur la côte ouest du continent, entre le Sénégal au nord, la Guinée au sud et le l’Océan Atlantique à l’ouest, elle fait face au Brésil (dont elle est séparée par l’Océan Atlantique) où furent déportés probablement une grande partie de sa population au cours de la période esclavagiste.

L’impact du commerce triangulaire se fait sentir à nos jours sur la faible densité de population dans la sous-région (…) En 1703, avec l’accord de Metwen, l’Angleterre, dans le but de freiner l’expansion française dans la sous-région, appuie les ambitions coloniales du Portugal (devenu une sorte de semi colonie britannique) sur la Guinée-Bissau et les îles du Cap-Vert. Devenu inopérationnel, le commerce triangulaire fut ainsi remplacé par le colonialisme qui allait durer jusqu’à la proclamation des Etats indépendants de Guinée Bissau et des îles du Cap-Vert, le 24 septembre 1973.

Le Portugal, pays économiquement retardé et culturellement arriéré (plus 50 % de la population est analphabète en 1965), héritant également du Mozambique, de l’Angola et des îles de Sao-Tomé et Principe, allait perpétuer l’un des crimes les plus odieux que l’humanité ait connus depuis la seconde guerre mondiale. Au début des années 1950, la situation en Guinée-Bissau et dans les îles est tout simplement catastrophique. Avec une économie coloniale principalement basée sur la monoculture de l’arachide, une famine aggravée par un phénomène de sécheresse de plus en plus cyclique, décime les îles du Cap-Vert (10 000 morts entre 1948 et 1959).

Les populations, désespérées, prennent le chemin de l’exode vers les pays frontaliers. Des milliers d’adultes sont recrutés par l’administration coloniale pour aller travailler dans les plantations en Angola en tant que travailleurs migrants, dans des conditions proches de l’esclavage. Le pays, dépourvu d’infrastructures sociales même à l’état embryonnaire, est au bord de l’explosion. L’imposition par l’administration coloniale de la monoculture de l’arachide sur les populations paysannes aggrave le phénomène de sous production de denrées de première nécessité, avec toutes les conséquences induites : malnutrition, carence en vitamines, etc. L’espérance de vie à l’époque est de 30 ans. Les conditions objectives permettant une mobilisation effective des masses populaires étaient, dès lors, en place, bien avant le déclenchement des hostilités entre les forces nationalistes et le colonialisme portugais.

Dans ces conditions, l’administration portugaise, bien qu’ayant su se subordonner quelques chefferies traditionnelles et quelques segments de la petite bourgeoisie, a de plus en plus mal à maintenir le taux d’exploitation basé principalement sur un système de surtaxation des masses paysannes, et de la surexploitation de la minuscule classe ouvrière des centres urbains. La résistance des peuples africains fut un phénomène ininterrompu tout au long de leur contact avec l’impérialisme, comme en témoignent les révoltes organisées par les différents groupes ethniques (balantes, mandjaks, pepels, etc.). Cette résistance populaire ne peut prendre fin qu’avec la liquidation physique du peuple opprimé en question.

C’est une lutte de vie ou de mort, entre deux forces antagonistes en conflit permanent : l’oppresseur et l’opprimé. C’est une lutte totale, prenant des formes variées (refus de payer les impôts, résistance passive, lutte armée, etc.) selon le niveau de contradiction, et se poursuivant jusqu’à la disparition d’une des forces en conflit. Les caractéristiques de cette lutte sont entièrement déterminées par les conditions historiques du milieu dans lequel le conflit a lieu. La période dite de «pacification» ne prit fin qu’au début du 19ème siècle, période à partir de laquelle le Portugal arrive finalement à jouir d’un contrôle plus ou moins effectif sur le territoire national. 
Ceci ne dura pas longtemps. En 1957, une grève organisée par les ouvriers du port de Pindjiguitty, est noyée dans le sang par les forces armées portugaises. Bilan : 50 morts et plus de 300 blessés.

Cette intensification de la répression enclenche une nouvelle dynamique entre les forces nationalistes et le colonialisme portugais, qui débouche sur les premières attaques armées du mouvement de libération nationale sous la direction de Cabral et du Paigc le 23 janvier 1963. A cette étape du développement de la résistance des peuples africains, les forces nationalistes arrivent à la conclusion que seul le pouvoir des armes arrivera à jeter à l’océan le colonialisme portugais. C’est dans ce contexte historique, matérialisant une fois de plus la dialectique entre oppression et résistance, qu’il faut saisir l’émergence sur la scène d’Amilcar Cabral en tant qu’incarnation des aspirations des peuples de Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert. Il réussit, tout au long de sa courte vie, à articuler mieux que tout autre l’aspiration de ses peuples à recouvrir leurs droits fondamentaux. Droit à vivre dans le respect, la dignité et la paix, à l’abri de toute forme d’oppression et d’exploitation d’où qu’elle vienne.

AMILCAR CABRAL : UN REVOLUTIONNAIRE PANAFRICANISTE

Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924. Son père, instituteur de profession, est originaire des îles du Cap-Vert, tandis que sa mère (comme des millions de femmes africaines à l’époque et aujourd’hui) cumulait plusieurs activités pour venir à bout des besoins de la famille. Issu de ce que l’on pourrait appeler la classe moyenne dans le contexte colonial, Cabral eut la chance d’avoir accès à une éducation de type occidental à travers une école de missionnaires située à Bissau.

Après avoir terminé ses études secondaires, il débarque à Lisbonne au cours de la même année pour poursuivre des études en agronomie. Là, il fit la connaissance d’autres étudiants originaires des colonies portugaises (Angola, Mozambique). Cette période est marquée par la consolidation du régime fasciste de Salazar au Portugal. Des pans entiers de la société portugaise, meurtrie sous la pauvreté et la répression militaire, émigre vers la France, l’Espagne et l’Italie, en quête d’une vie meilleure. En l’absence d’un espace d’expression politique, la lutte antifasciste prit rapidement refuge au niveau des campus universitaires.

C’est dans cette atmosphère que Cabral, impliqué dans le mouvement étudiant, se familiarise, à travers la pratique de la lutte contre le fascisme, avec certaines théories révolutionnaires de cette fin de siècle. La deuxième guerre mondiale, résultante des contradictions inhérentes au développement du système capitaliste mondial, va affecter profondément la conscience des peuples colonisés à travers le globe. En Europe, la Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone (Feanf) et la maison d’édition Présence Africaine, tout comme l’International African Service Bureau (Iasb) basé en Angleterre et dirigé par George Padmore (en collaboration avec Kwame Nkrumah et C.L.R James) s’agitent de plus en plus autour de la question de décolonisation des peuples africains. Padmore venait juste de couper les ponts avec la troisième internationale socialiste qui suggérait de focaliser la lutte contre «les puissances impérialistes fascistes» (Italie, Allemagne, Japon) et non contre les puissances impérialistes «démocratiques» (France, Angleterre etc.).

La tenue, en 1945, du congrès panafricain à Manchester, inaugure une étape qualitativement nouvelle dans la phase de mobilisation pour la lutte d’autodétermination. A la même période, à Lisbonne, Cabral et ses amis (Agosthino Neto, Mario De Andrade, etc.) sentent de plus en plus la nécessité de créer des organisations indépendantes hors de contrôle de la gauche euro-centrique, regroupant les ressortissants des colonies lusophones. C’est dans ce contexte que Cabral et ses amis commencent le processus de leur propre éducation politique en vue de la lutte de libération nationale. Influencés par l’émergence de la littérature négro-africaine, ils sont convaincus du caractère inévitable d’un mouvement de «retour aux sources» pour entrer en complète symbiose avec les aspirations profondes des peuples africains.

Comme l’a illustré plus tard Cabral, «notre travail a consisté alors à rechercher de nouveau nos racines africaines. Et cela a été si merveilleux, si utile et lourd de conséquences qu’aujourd’hui encore, les fondateurs de ce groupe sont tous dirigeants des mouvements de libération dans les colonies portugaises.» Cette longue citation dénote non seulement un haut niveau de conscience politique chez Cabral, mais également une vision claire de ce qu’il veut entreprendre. Pour eux, le retour aux sources constitue une des pré-conditions pour une alliance effective entre la petite bourgeoisie intellectuelle et les masses populaires africaines.

Ses études universitaires achevées (1949-1950), Cabral décide de rentrer en Guinée Bissau avec une claire idée en tête : contribuer à la libération de son peuple. Cependant, une chose est d’identifier un projet politique, une autre est de bien cerner le terrain social à travers lequel la lutte va se mener, avec quels moyens, quelles tactiques et stratégies, quelles méthodes, etc. Le succès de la lutte de libération nationale nécessite non seulement une compréhension approfondie des mécanismes d’asservissement utilisés contre les masses exploitées, mais plus encore une stratégie susceptible de bouleverser les rapports de force existants entre l’oppresseur et les opprimés, l’adoption de stratégies adéquates à des moments déterminés, dans un contexte social spécifique, lesquelles stratégies doivent être basées sur les réalités concrètes du peuple dominé.

C’est ce à quoi Cabral a consacré le reste de sa vie. La profondeur de sa pensée politique alliée à sa pratique basée sur les conditions objectives de la Guinée Bissau et des îles du Cap Vert, font de lui l’un des plus grands théoriciens de la lutte anti-impérialiste, au service de la libération des peuples africains et du monde en général.

CABRAL ET LA LUTTE DES CLASSES EN AFRIQUE

Selon Cabral, le phénomène socio-économique «classe» au sein d’un groupe humain donné est une conséquence fondamentale non seulement du développement progressif des forces productives, mais aussi des caractéristiques de la distribution des richesses. Il suggère alors de reformuler, afin d’étendre son champ d’application, l’idée selon laquelle «la lutte des classes est la force motrice de l’histoire». Selon lui, une telle conception de l’histoire reviendrait à dire que l’histoire des peuples commence seulement à partir du moment où se développe le phénomène «classe» et, par conséquent, la lutte des classes. Cette hypothèse exclurait en effet de l’histoire de l’humanité toute la période allant de la découverte de la chasse à l’appropriation privée de la terre, en passant par l’invention des techniques agricoles. Plus encore, elle nierait aux peuples africains (mais aussi aux premières nations amérindiennes et bien d’autres) le fait qu’ils aient une histoire avant leur premier contact avec l’impérialisme occidental.


Aujourd’hui, plus que jamais, une analyse scientifique prouve que l’apparition des classes est un phénomène graduel, marqué par des fluctuations plus ou moins lentes, qui à partir d’un certain degré d’accumulation se traduit par l’apparition des classes et des conflits entre les classes. C’est à partir d’une telle base que Cabral entreprend l’analyse du phénomène «classe» dans le contexte de la réalité historique africaine et plus spécifiquement en Guinée Bissau et aux îles du Cap Vert.

Cependant, une telle analyse n’a de sens à son avis que si elle sert les objectifs de la lutte de libération nationale. A défaut, elle serait juste rhétorique et formulation intellectuelle. 

De par sa structure socio-économique, la Guinée Bissau représente un échantillon des sociétés africaines actuelles : composition multi-ethnique et multi-religieuse, population à majorité rurale et analphabète ; centres urbains encerclés par des cordons de pauvreté constitués principalement de gens fuyant les conditions de vie précaires dans les villages mais se retrouvant très vite dans le piège d’une économie de type colonial (ou néocolonial) sans opportunités d’emploi.

La petite bourgeoisie africaine a joué un rôle de premier plan dans l’organisation de la lutte de libération nationale. Fabriquée de toutes pièces par le colonialisme, elle fut la seule catégorie sociale avec une conscience politique à même d’appréhender la nature de la domination impérialiste. Ses caractéristiques propres expliquent cependant ses propres limitations en relation à la tâche historique de reconstruction nationale.


Comme le remarquait Frantz Fanon dans Les damnés de la terre, «la bourgeoisie nationale qui accède au pouvoir, utilise son agressivité de classe pour confisquer toutes les positions laissées vacantes par le départ des colons». Cabral en vient plus ou moins à la même conclusion que, pour ne pas trahir les objectifs de la lutte de libération nationale, la petite bourgeoisie n’a qu’un seul choix : renforcer sa conscience révolutionnaire, répudier les tentatives d’embourgeoisement et les sollicitations naturelles de sa mentalité de classe, s’identifier aux classes laborieuses, ne pas s’opposer au développement normal du processus de la révolution. 

Lors d’un bref passage à la conférence de la solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine tenue à Cuba en janvier 1966, il déclare que «pour jouer son rôle dans la lutte, la petite bourgeoisie révolutionnaire doit être capable de se suicider comme classe, pour ressusciter comme travailleur révolutionnaire, entièrement identifiée avec les aspirations les plus profondes du peuple auquel elle appartient.»

AMILCAR CABRAL ET LA REVOLUTION PANAFRICAINE

Quoi que les situations coloniale et néocoloniale soient similaires dans leurs fondements (dépendance complète par rapport à la métropole), Cabral distingue deux phases dans la lutte de libération nationale. Selon lui, la lutte consiste en une phase nationale et une phase sociale, la dernière étant la plus cruciale. Chaque phase est spécifique à cause de la tâche historique à accomplir, des alliances de classes et de la structure organisationnelle nécessaire pour le mener au succès. Tandis que la phase nationale implique la reconquête de la souveraineté nationale ou indépendance, la phase sociale est, selon lui, celle qui détermine le caractère véritable de la libération.

La nouvelle nation créée est-elle vraiment en mesure de déterminer sa propre destinée ? 
Le Paigc, sous le leadership de Cabral, a prouvé que la seule manière de résoudre cette question est non seulement de combattre l’ennemi sur tous les fronts, mais aussi de recréer une vie nouvelle dans les territoires libérés, par une transformation radicale des structures économiques, sociales et culturelles héritées de la période de colonisation. Ceci implique la construction de nouvelles écoles, d’hôpitaux ; une intégration des femmes à tous les niveaux de la gestion de la communauté ; combattre fermement les Africains qui choisissent de s’allier à l’impérialisme et enfin canaliser l’émergence d’une culture nationale débarrassée de tout facteur de stagnation qu’il vienne de l’extérieur ou de l’intérieur. Une analyse approfondie des rapports entre les différentes catégories sociales en jeu, aussi bien à l’échelon national et international, permet d’assurer une reconquête réussie des richesses du pays et une redistribution sur des bases justes et équitables.

Malgré les énormes succès rencontrés, Cabral et le Paigc eurent à affronter des problèmes importants relatifs à des facteurs internes défavorables à la lutte tels que le sous développement économique ; le retard social qui en découle ; les séquelles du tribalisme créé par le colonialisme portugais, et un ensemble de facteurs externes liés à la nature des rapports de force à l’échelle internationale. En ce qui concerne la soit-disante question tribale, il n’a cessé de soutenir que «l’existence des tribus ne se manifeste comme une contradiction importante qu’en fonction d’attitudes d’opportunistes, provenant généralement d’individus ou de groupes détribalisés. Les contradictions entre classes, même quand celles ci sont embryonnaires, sont beaucoup plus importantes que les contradictions entre tribus.»

ROLE DE LA CULTURE DANS LE MOUVEMENT DE LIBERATION NATIONALE

Comme nous l’avons signalé plus haut, la petite bourgeoisie fut la seule capable à hériter de l’appareil d’Etat colonial dans la phase de transition postindépendance. En alliance tantôt avec les masses populaires, tantôt avec l’impérialisme, ses hésitations sont directement liées à la nature de la contradiction fondamentale qu’elle doit constamment faire face : satisfaire ses ambitions de classe et faire face aux exigences de plus en plus pressantes des masses rurales et des centres urbains qui ne se sont pas battus que pour un drapeau et un hymne national, mais aussi pour une amélioration de leur condition de vie concrète. Loin d’être homogène, la petite bourgeoisie peut être schématiquement subdivisée en trois sous groupes :

- La petite bourgeoisie révolutionnaire constituée par une minorité (souvent intellectuelle, fonctionnaires, enseignants, etc.) qui, après un énorme sacrifice de «Retour aux Sources», réussit à faire symbiose avec les masses populaires en s’identifiant à leurs cultures, histoire et aspirations. Elle fût l’élément le plus dynamique au sein du mouvement de libération nationale. C’est d’elle que provient Cabral et une majorité significative du leadership du Paigc.

- La petite bourgeoisie aliénée est un second groupe minoritaire (à peau noire masque blanc). Elle rejette de façon catégorique la notion d’indépendance et croit que l’avenir de leurs peuples dépend de leur association avec la métropole. C’est un groupe désespéré. Nulle possibilité de les convaincre sur la capacité des peuples à prendre en charge leur propre destinée. S’ils en ont les moyens, ils n’hésitent pas à quitter le pays après l’indépendance, comme en témoigne l’émigration de certains intellectuels algériens après la victoire du Front de libération nationale (Fnl).


- La majorité silencieuse : Les éléments de ce dernier groupe (majoritaire) fluctuent constamment entre les deux premiers. C’est de ce groupe que sont issus la plupart des dirigeants des partis d’opposition en place en ce moment sur le continent. Ces derniers, tantôt en rébellion ouverte contre le gouvernement, tantôt en alliance avec lui pour le partage du gâteau, n’ont aucune vision profonde de transformation des sociétés africaines. Leur attitude opportuniste a un impact psychologique négatif sur les masses populaires qui, en l’absence d’alternatives, prennent leurs distances par rapport à toutes les formations politiques.

Pour saisir la portée de la culture comme élément fondamental dans le processus de résistance des peuples dominés, il est impératif de situer l’analyse de celle-ci en relation avec les différentes catégories sociales à un moment défini de l’évolution de la société en question. Nous devons cependant préciser que la culture, loin d’être un réceptacle abstrait, est avant tout une synthèse dynamique de la réalité historique (matérielle et spirituelle) d’un groupe humain dans son évolution. Comme le précise Cabral, «la culture, quelles que soient les caractéristiques idéologiques ou idéalistes de son expression, est un élément essentiel du processus historique. C’est en elle que réside la capacité (ou la responsabilité) d’élaborer ou de féconder les éléments qui assurent la continuité de l’histoire, et déterminent en même temps les possibilités de progrès (ou de régression) de la société.»

Dire que la culture est la réflexion de la réalité historique, qui elle est déterminée par le niveau de développement des forces productives, nous amène à faire la distinction entre la culture des masses populaires et celle de la petite bourgeoisie africaine. En effet, il est évident que la culture des rastas n’est nullement celle de l’élite jamaïcaine. Cinq cents ans de domination européenne n’ont pas réussi à altérer de façon significative la culture des masses populaires africaines.

Cependant, la petite bourgeoisie africaine, constamment humiliée par l’Occident, vit quant à elle un drame quotidien dans le contexte de la lutte de libération nationale. En effet, elle se voit acculée à prendre position par rapport à l’un des pôles du conflit. Le traumatisme psychologique qui en découle explique sa tentative de se reconnecter au peuple. C’est ainsi que tout un discours émerge, articulé sur le concept de culture et sur la nécessité de retourner aux sources. Ce besoin ne se présente pas au niveau des masses populaires, car ces dernières sont elles-mêmes porteuses de la culture et donc génératrices de l’histoire.

C’est dans ce sens qu’il faut saisir le développement du mouvement afro-centriste au sein de la diaspora africaine. Pour être viable en faveur des générations actuelles, il n’a d’autre choix que de situer le combat pour la renaissance culturelle dans le contexte plus large de la lutte politique de libération nationale. Comme le fait remarquer Cabral, «le retour aux sources n’est, ni ne peut être en lui même, un acte de lutte contre la domination étrangère (colonialiste/raciste) et ne signifie pas non plus retour aux traditions. Il est la réponse viable à la sollicitation impérieuse d’une nécessité concrète, historique, déterminée par la contradiction irréductible qui oppose la société colonisée (ou néo-colonisée) à la puissance coloniale, les masses populaires exploitées à la classe étrangère».

Pour lui, le retour aux sources ne se concrétise réellement qu’avec une implication directe à côté des masses populaires dans leur combat quotidien. Car comme il le dit si bien lui-même, «les masses non seulement rejettent la domination de la culture étrangère, mais également l’exploitation étrangère».

La lutte culturelle doit donc être également une lutte politique en vue de créer un environnement permettant la libre expression culturelle du peuple dominé. Ceci n’est possible que si le peuple reprend un contrôle effectif de son processus historique de développement.

Bien que les masses africaines n’aient pas été affectées de façon significative par la culture de la puissance dominatrice, il faut cependant noter que la distribution des niveaux de culture n’est pas homogène dans la société. Ceci explique d’ailleurs la différence d’attitudes entre individus appartenant à la même classe sociale face à la lutte de libération nationale.

Les sociétés africaines peuvent être subdivisées en deux grandes catégories :

- Les sociétés à structure sociale horizontale (sans Etat) qui fonctionnent généralement sur la base d’une propriété collective des facteurs de production. La principale stratification sociale est souvent au niveau de la classe d’âge. Avec une structure sociale à base matrilinéaire, elle fut souvent celle qui a résisté le plus militairement à la colonisation. Leur résistance armée prit fin avec ce que les colons appelaient la «période de pacification». Elle fut d’emblée sympathique au mouvement de libération nationale et joua un rôle déterminant au sein de celui-ci.

- Les sociétés à structure sociale verticale. Elles sont généralement fortement hiérarchisées avec les femmes occupant le bas de l’échelon social. Elles disposent d’un chef disposant de pouvoir réel. Certains de ses chefs furent cooptés par l’administration coloniale pour éviter toute forme d’alliance trans-ethnique. Ce fut le cas de certains chefs traditionnels fulas en Guinée Bissau. La déstructuration de certaines sociétés africaines issues de la première catégorie par l’imposition de chefs coutumiers par l’administration coloniale (chefs appartenant à d’autres groupes ethniques) contribua à créer une atmosphère d’animosité entre certains groupes ethniques. Ceci facilita, dans certains cas, la fissure au sein des rangs des nationalistes.

Il faut cependant noter qu’au contact avec l’Europe, ce que d’aucuns appellent «le phénomène de tribalisme» était déjà en voie de disparition, et la situation évoluait vers l’émergence au niveau du continent d’Etats-nations (multi-ethniques) plus vastes, comme en témoignent les empires du Ghana et l’empire mandingue sur la côte ouest du continent, pour ne citer que ceux là. C’est dans le contexte de «diviser pour mieux régner» de la part de l’administration coloniale et de la manipulation opportuniste des classes dirigeantes africaines qu’il faut saisir la résurgence de conflits soit disant ethniques dans la période coloniale et néocoloniale. Cela ne peut, ni ne doit cacher de vue qu’objectivement, la contradiction entre les groupes ethniques est mineure par rapport au conflit qui oppose les masses populaires africaines aux puissances impérialistes à travers leurs élites dirigeantes respectives.

CABRAL FACE AUX ENJEUX DE L’HEURE

Le regain d’intérêt de pans entiers de la jeunesse par rapport au panafricanisme en général et à l’œuvre de Cabral en particulier s’explique en grande partie par l’acuité des enjeux de l’heure auxquels l’Afrique et le monde sont confrontés.

Dans la région ouest africaine, ses enjeux se manifestent, entre autres, par un redéploiement savamment orchestré de l'impérialisme en collusion avec les élites à la tête des Etats, à travers un processus agressif d’accaparement des ressources et des terres agricoles par des multinationales. A terme, le succès d'une telle œuvre risque de remettre en cause l’un des objectifs les plus fondamentaux des luttes de libération, à savoir le droit des peuples africains à se réapproprier leur outil de production comme pré condition de leur propre libération.

La sous-région en général et la Guinée Bissau en particulier sont au centre de convulsions importantes qui menacent la stabilité entière de l’Afrique. Au cœur de ces luttes, se retrouvent des enjeux tels que ceux liés au phénomène du narcotrafic avec les nouvelles routes de la drogue en provenance de l'Amérique latine en route vers l’Europe.

Il faut noter également l’émergence de conflits de type nouveau tels que ceux en cours actuellement dans le Nord Mali et qui menacent toute la sous-région. Conflits avec des acteurs multiples (Usa, France, les nébuleuses djihadistes, les narcotrafiquants, etc.) aux intérêts tantôt complémentaires, tantôt divergents autour d’enjeux fondamentaux pour le contrôle des réserves immenses en ressources naturelles dont regorge la région (l'or, le pétrole, l'uranium, ou une base d’opération stratégique pour ne citer que ceux là). L’autre enjeu, bien évidemment, est relatif à un système capitaliste mondial en crise, s’appuyant sur un modèle de consommation de plus en plus gourmand en termes de besoins de ressources énergétiques et minières dont l’Afrique regorge.

Aujourd’hui, après une cinquantaine d’années d’indépendance nominale, force est de constater que la persistance de ces enjeux reflète, dans une certaine mesure, le fait que le mouvement de libération nationale, mené pas les nationalistes africains tels que Cabral, n’a pas atteint tous les objectifs escomptés malgré les avancées significatives réalisées. 
En effet, les enjeux sécuritaires demeurent persistants, les déséquilibres entre centres urbains et milieux ruraux s`intensifient menant un mouvement de double flux : d’un côté, un exode rural massif des populations paysannes vers les capitales à la recherche de conditions de vie meilleure, de l’autre, une jeunesse africaine sans perspective claire, de plus en plus tentée par les mirages de l’Occident avec, en toile de fond, des tentatives parfois suicidaires (à travers le désert ou les océans) d’émigration vers les pays du Nord.

Mais comment en est-on arrivé là malgré les sacrifices énormes consentis par des leaders comme Cabral pour libérer leur peuple de toute forme de domination et d’exploitation ? Quels ont été les facteurs qui ont freiné la mutation des luttes de libération nationale en véritables révolutions sociales ? Quels facteurs internes ont pu favoriser la liquidation systématique des leaders révolutionnaires comme Cabral, qui ont été à la tête de ces mouvements ?

Un ensemble de questions qui méritent réflexions afin de pouvoir tirer des leçons du passé pour mieux orienter les luttes à venir avec plus de clarté et de vigilance.

LE «CANCER DE LA TRAHISON»

Dans le cas de la Guinée Bissau, le processus d’approfondissement des transformations radicales dans le domaine social, politique, économique et culturel a été arrêté net dès les premières heures d’indépendance qui sont survenues quelques mois après l’assassinat de Cabral. Le premier coup de force militaire dirigé par Nino Vieira (novembre 1980) ouvrit ainsi la porte à une série de coups ayant plongé le pays dans une instabilité chronique depuis lors. 
Et pourtant, Cabral avait prévenu en ces termes, lors de son fameux discours sur le «Cancer de la trahison», à Conakry, à l’occasion des funérailles de Kwame Nkrumah, en déclarant : «... Jusqu'à quel point donc le succès de la trahison au Ghana est-il lié ou non lié à des problèmes de la lutte des classes, des contributions de structures sociales, du rôle du parti ou d'autres institutions, y compris des forces armées dans le cadre d'un nouvel état indépendant».

C’est dire donc qu’il avait une vision claire de certains facteurs internes à la société africaine qui pourraient faire dévier les processus de transformation entrepris par les nationalistes africains à travers les luttes de libération. En ce sens, l'armée de type néocolonial en est une illustration parfaite, car étant au cœur des interruptions violentes de plusieurs expériences progressistes qui se sont déroulées à l’intérieur du continent (Congo avec Mobutu dans l’assassinat de Lumumba, Burkina Faso avec l’assassinat de Sankara, Togo avec l'irruption d`Eyadema, Ghana avec l’éviction de Nkrumah). Les exemples sont légion.

Dans la nuit du 19 au 20 janvier, en compagnie de sa femme Anna Maria, Cabral rentre d’une réception à l’ambassade de Roumanie à Conakry. Un homme l’attend, Inocencio Kany, en compagnie d’un autre, Mamadou Turé, chargé de sa sécurité, qui tentent de le kidnapper. Résistant à sa capture, il est abattu froidement par Kany et achevé sur le champ. L’agresseur sera ultérieurement arrêté et hâtivement exécuté sans que ses commanditaires ne soient identifiés.

L’attentat semble n’être que la pointe de l’iceberg d’un mouvement plus structuré. Les services de la Policia Internacional De Defesa do Estado (Pide, service de renseignements portugais), voire des connivences au sein de l’appareil politique du Paigc et du régime de Sékou Touré, sont suspectés. Se sentant visé, Conakry, qui accueille des centaines de cadres et membres du Paigc, traque des membres suspectés du parti. Sékou Touré fait arrêter Aristides Pereira, José Araujo, Vasco Cabral, qui fuyaient par bateau vers Bissau, et nomme une commission d’enquête. Une liste impressionnante de personnes surgie alors d’une longue et pénible période de délations et de règlements de compte au sein du Paigc sans que l’on puisse savoir pour autant qui dit vrai. Une quarantaine de personnes sont tenues responsables d’un vaste complot ourdi par la Pide. Des dizaines de personnes le paieront de leur vie, illustrant combien la trahison s’était infiltrée dans l’entourage de Cabral comme celui de ses alliés. 


Au fait des rumeurs et des tentatives de complot contre sa personne, Cabral, des mois auparavant, avait même mis en résidence surveillée certains des comploteurs et ne voulait pas que les dissensions larvées entre groupes ethniques de Guinée Bissau et ceux du Cap-Vert ne s’amplifient. Répugnant à la violence et croyant à l’antiracisme et à la pensée révolutionnaire et démocratique, il a prêté le flanc à ses assassins qui ne purent toutefois empêcher l’écroulement de l’armée coloniale portugaise, la Révolution des œillets et l’avènement de la souveraineté des colonies portugaises d’Afrique.

C’est dire donc que les contradictions inhérentes à toute formation sociale sont le terreau sur lequel s’appuie souvent l'impérialisme pour procéder, en connivence avec des éléments réactionnaires locaux, souvent au sein du mouvement, aux assassinats tels que ceux qui ont couté la vie à Cabral, Sankara, Lumumba et bien d’autres patriotes.

AMILCAR CABRAL ET LA REVOLUTION PANAFRICAINE

Cabral a toujours mis en garde contre l’approche militariste et a souvent insisté sur le fait qu'après l'indépendance, la plupart des guérilleros du Paigc devraient retourner à la terre pour s'adonner à des activités productives. Hélas, ce ne fut pas le cas en Guinée Bissau avec le coup de Nino Vieyra qui a fini par installer le pouvoir militaire au cœur de la gestion de l’Etat, avec comme résultat une faillite complète. Une situation similaire peut être observée dans le cas de l’Algérie et la présence massive des généraux issus du Front de libération nationale (Fln) dans la gestion étatique du pays.

Par contre, aux îles du Cap Vert, où le leadership ayant mené le pays a l'indépendance est issu du même Paigc originel, la transition à l’indépendance a été moins instable. Le maintien de l’armée hors de la gestion quotidienne de l’Etat a évité au pays certains traumatismes liés à l’instabilité chronique vécue dans le cas de la Guinée Bissau, avec des coups d’Etat répétitifs. Les îles du Cap Vert ont aussi, d’une certaine manière, bénéficié de l’apport non négligeable de sa diaspora, bien installée en Europe et aux Etats Unis, et qui, en conjonction avec un secteur touristique florissant, fournissent au pays une rentrée d’argent non négligeable qui a contribué à sa stabilité.

Cependant, pour contribuer à la stabilité des pays nouvellement indépendants, il s’avère indispensable de réformer en profondeur la nature de l’armée, pour en faire un véritable instrument au service d’une sécurité collective au niveau régional, à défaut d’une armée continentale. En l’absence de conflit, elle doit être au cœur d’un projet de transformation sociale, dans des domaines tels que la construction de routes, de ponts, d’écoles, de projets de reboisement, etc. En fait, le «militaire» doit être subordonné au «politique» tel que l’avait théorisé Cabral, sinon il continuera d’être un facteur dans le processus menant à la propagation du «cancer de la trahison».

CONCLUSION

Il s'avère, dès lors, fondamental pour les forces progressistes du continent de renouer avec la tradition militante de formation politico-idéologique de leurs membres afin d’aider la jeunesse montante à bien identifier non pas seulement les enjeux auxquels nos peuples sont confrontés, mais aussi la nature des différents acteurs internes et externes qui ont intérêt à s’opposer au développement normal de la lutte vers un avenir de progrès, de justice sociale et de liberté, éléments qui ont été au cœur des préoccupations de Cabral à la tête du Paigc. En ce sens, une analyse rigoureuse de la cartographie des différentes classes sociales à l’intérieur de nos formations sociales s’avère incontournable. Ce travail préalable, effectué par Cabral à travers ses activités dans tout le pays en tant qu’ingénieur agronome, a été à la base de la justesse de sa vision politique et de son action à travers le combat mené par le Paigc.

Pour avoir dirigé brillamment pendant plus d’une décennie la lutte de libération nationale en Guinée Bissau et aux îles du Cap Vert, l’héritage légué par Cabral nous paraît aujourd’hui plus que valable sur trois points fondamentaux. Dans un premier temps, son expérience révèle que, quelque soit le caractère hautement révolutionnaire du leadership du mouvement, le succès de la lutte est pré- conditionné à la symbiose effective de ce groupe avec les masses populaires africaines (paysannat, travailleurs des centres urbains et la jeunesse).

Cette fusion ne peut se faire qu’à condition que cette intelligentsia s’identifie à la culture populaire ; une maîtrise des langues africaines est dans ce sens indispensable comme outil de communication dans le cadre de tout travail de mobilisation politique. Loin d’être un élément statique, cette culture populaire est un phénomène en perpétuelle évolution dans un contexte historiquement conditionné par le mode de production à travers lequel la société en question évolue.

Pour avoir bien compris la dialectique à la base des rapports existants entre l’expansion capitaliste du centre et l’approfondissement du sous-développement de la périphérie, Cabral a réussi, à travers ses différentes formulations théoriques, à révolutionner la théorie de la lutte des classes en particulier et de la lutte anti-impérialiste en général. «Unité et Lutte» fut dans l’œuvre de Cabral ce que «Pitfalls Of National Counsciousness» fut dans l’œuvre de Fanon à travers «Les damnés de la terre».

Un second aspect fondamental de son œuvre est certainement la contribution qu’il a su apporter au panafricanisme en tant qu’idéologie politique de libération des peuples noirs opprimés. D’une part, il a prouvé, à travers son expérience, qu’une théorie, aussi révolutionnaire soit-elle, est vouée à l’échec si sa mise en pratique n’est pas basée sur une compréhension approfondie des mécanismes qu’elle est sensée transformer. D’autre part, s’il est vrai qu’une révolution ne peut être victorieuse sans théorie révolutionnaire, cette dernière n’assure cependant pas une victoire de la révolution. La dialectique entre théorie et pratique fut un élément constant à travers toute son œuvre et sa praxis. Cette théorie, bien que pouvant avoir une dimension internationale, est toujours une élaboration locale d’un peuple en lutte et, dès lors, ne peut être un produit d’exportation.

«National Liberation and Culture», de même que «Identity and Dignity in the Context of National Liberation» sont certainement deux œuvres culminant dans la production intellectuelle d’Amilcar Cabral. A travers ces deux textes, il met en relief le caractère dynamique de la culture des peuples africains en lutte, mais aussi offre une analyse exceptionnelle jusqu’ici jamais rencontrée depuis Fanon, sur le rôle de l’intelligentsia dans le processus de la lutte ; et des mécanismes psychologiques conduisant, à un moment donné, une partie de l’élite intellectuelle à opérer une rupture épistémologique avec le discours dominant.


Aujourd’hui, en 2013-2014, l’Afrique replonge dans une phase de recolonisation plus subtile mais plus visuellement liée à son insertion de plus en plus croissante en tant qu’entité asservie au système capitaliste mondial. La phase d’euphorie précédant le démantèlement de l’ancien bloc de l’Est commence cependant à afficher ses limites. Au-delà de la propagande idéologique véhiculée par les nouveaux systèmes d’information organisés à l’échelle mondiale, les peuples africains se rendent compte plus que jamais qu’il n’y a pas d’issue possible à la crise en dehors d’un processus de transformation révolutionnaire de dimension panafricaine.

A luta continua

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Ameth Lô, Toronto, Canada (texte publié dans le journal Walfadjri – walf.sn)

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REFERENCES
- Le pouvoir des armes. Francois Maspero, Paris 1970
- Return to the Source : African Information Service New York 1973
- Combattant pour la cause du peuple : Agence de presse Novosti Moscou – 1973
- Unité et Lutte Volume II : La pratique Révolutionnaire. Francois Maspero Paris 1975
- Unité et Lutte Volume I : L’Arme de la Théorie. Edition Francois Maspero Paris 1980
- Amilcar Cabral. Carlos Pinto Santos . Edition Orlando Neves 1998