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Le Burkina Faso n’a aucun compte à régler avec les groupes djihadistes au point de mériter les attentats barbares du 15 janvier dernier. On peut même se permettre de dire qu’en dehors du fait insensé de s’en prendre aux soi-disant «intérêts occidentaux», ils n’avaient rien à gagner à semer la terreur dans notre pays. Sauf, évidement à agir pour le compte d’individus ou de groupes qui cherchent à tout prix à déstabiliser les institutions démocratiques afin de prendre ou de reprendre le contrôle de notre pays.

Comme la plupart de mes compatriotes qui ont vécu les attentats terroristes survenus le vendredi 15 janvier à Ouagadougou, je suis consterné, profondément attristé et révolté. Non pas pour dire que notre pays était totalement à l’abri de cette barbarie djihadiste qui a fini par s’internationaliser, mais à cause des mobiles qui ont pu guider ces agressions. Pour moi, il s’agit d’agressions d’une lâcheté inouïe qui a consisté à tuer gratuitement et sauvagement une trentaine de personnes, à blesser des dizaines et à déstabiliser notre pays.

En effet, aussi curieux et intriguant que cela puisse paraître, tout a commencé la veille des attentats par le rapt d’un couple d’Australiens qui vivaient depuis 1972 à Djibo, dans le Sahel burkinabè. Agée de 82 ans, Dr Elliot et son épouse ont fondé un centre de santé qui soulageait énormément les populations démunies de cette partie particulièrement mal lotie de notre pays. Le lendemain, c’était autour du poste de gendarmerie d’être pris à partie par des personnes armées qui se sont révélées être des djihadistes. Deux gendarmes et un civil ont perdu la vie dans l’attaque. On n’a même pas eu le temps de faire le deuil qu’on apprend dans la soirée, aux environs de 19 heures 30 mn, que le restaurant-café Cappuccino et l’hôtel Splendid ont fait l’objet d’une attaque.

Dès que j’ai appris la nouvelle, je n’ai pas pu m’empêcher de me rendre sur le terrain des opérations. Une manière pour moi d’aller apporter un soutien physique et présentiel à nos forces de défenses et de sécurité qui ont passé plus de 18 heures à traquer les terroristes afin de préserver les vies et les biens qui pouvaient encore l’être. Les résultats, tout le monde les connaît. Le bilan n’est pas moins lourd et horrible pour les personnes qui ont eu la malchance de se trouver aux endroits attaqués. Ces hommes sans foi ni loi ont littéralement ouvert le feu sur tout ce qui bougeait devant eux. Selon les témoignages des survivants, les terroristes ont tué froidement sans préalablement émettre quelques vœux comme on a pu le voir ailleurs.

Au regard du peu d’égards que ces terroristes ont eu pour la vie humaine, je ne peux que me convaincre qu’ils n’avaient aucune autre idéologie à défendre que de mépriser la vie humaine. Car, ces méchants mécréants n’ont aucune leçon de religion ou de foi à nous donner ici au Burkina Faso. C’est justement parce que notre peuple est profondément croyant que nous avons pu traverser, dans une mobilisation populaire incroyable, les épreuves politiques que nous avons connues ces dernières années. A la suite de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de l’héroïque résistance de notre peuple contre le coup d’Etat avorté du mois de septembre 2015, nous avons recommencé à reconstruire un véritable esprit de communion nationale. Les forces vives de notre pays se sont mises à croire en leurs capacités de contribuer consciemment à forger un Burkina nouveau où la liberté, la justice seront garanties pour tout le monde afin que l’œuvre du développement économique soit collective et que ses fruits soient équitablement partagés.

A ce que je sache, le Burkina Faso n’a aucun compte à régler avec les groupes djihadistes au point de mériter les attentats barbares du 15 janvier dernier. On peut même se permettre de dire qu’en dehors du fait insensé de s’en prendre aux soi-disant «intérêts occidentaux», ils n’avaient rien à gagner à semer la terreur dans notre pays. Sauf, évidement à agir pour le compte d’individus ou de groupes qui cherchent à tout prix à déstabiliser les institutions démocratiques afin de prendre ou de reprendre le contrôle de notre pays.

Ce n’est un secret pour personne que le président déchu, Blaise Compaoré, entretenait des relations pratiquement incestueuses avec groupes djihadistes dont certains avaient élu domicile dans la capitale Ouagadougou. Ils avaient pignon sur rue, allaient et venaient. Certains se sentaient tellement bien installés qu’ils ont bâti de somptueuses villas à l’instar du mauritanien Moustapha Chafi qui passait aussi pour être l’un des conseillers de l’ex-président. On se rappelle que c’est avec l’aide de cet homme énigmatique que l’ancien régime réussissait l’exploit de libérer des otages occidentaux piégés par les mêmes groupes djihadistes dans le Sahel et principalement au Nord Mali.

On n’est pas surpris d’apprendre que le couple australien enlevé le 14 septembre dans la ville de Djibo est annoncé être aux mains d’un nébuleux groupe djihadiste dénommé «l’Emirat du Sahara». Quand on sait que le groupe al-Mourabitoun de Mocktar Belmocktar, qui a revendiqué les attaques de Ouagadougou, est également proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), on comprend aisément l’origine de ceux qui ont commis les récents actes de terreur dans le but de déstabiliser le Burkina Faso. La principale question que nous nous posons est de savoir pourquoi c’est maintenant qu’ils se lancent dans cette barbarie contre un pays qui leur a servi, pendant longtemps, de base arrière. A qui peut bien profiter ces attaques si ce n’est à ceux qui nourrissent le rêve de voir le retour de notre pays dans un statu quo qui leur permettrait de mener leur juteux trafic d’otages occidentaux.

Il est évident que si les djihadistes des groupes «l’Emirat du Sahara» et al-Mourabitoun n’ont pas frappé le Burkina Faso pour rien, on ne peut en aucun cas voir dans les attentats de Ouagadougou une quelconque intention d’imposer la religion musulmane ou de «châtier des impies». L’hypothèse la plus plausible ne peut être que celle de la reconquête d’une base arrière perdue.

La voie du renouveau démocratique dans laquelle notre pays s’est engagé en chassant Blaise Compaoré du pouvoir en fin octobre 2014 et en mettant en échec le coup d’Etat de septembre 2015, ne plaît pas à tout le monde. Surtout pas à ceux qui profitaient allègrement du régime déchu. Il ne faut donc pas chercher midi à quatorze heures pour comprendre les mobiles des attentats de Ouagadougou et de toutes les attaques qui les ont précédés ces derniers mois. La piste djihadiste, donc religieuse n’est que la plus grande diversion qu’on puisse avoir.

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** Moumina Chériff Sy est journaliste, éditorialiste, fondateur de l’hebdomadaire burkinabè Bendré, ancien président du Parlement intérimaire, le Conseil national de la transition au Burkina

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