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'Après tout il ne s’agit que d’un morceau d’étoffe.' Aaliyah Bilal mène une discussion sur les complexités du voile musulman , le Hijab, en Afrique de l’Est en se référant tout particulièrement au Zanzibar.

« Sitara kubwa kuvaa Vazu refu miguuni Msiige bila nija… Nguo ziteremsheni Yapungue maasia… »

'Portez un vêtement qui couvre tout le corps, pour votre protection, Un long vêtement, qui va jusqu’aux pieds, N’imitez pas sans moralité, Faites descendre vos vêtements afin qu’il y ait moins de rébellion…'

Sheik Amri Abedi, le premier maire noir de Dar es Salaam et conseiller proche de Julius Nyerere, a publié le poème intitulé 'Nguo Ziteremsheni' (Faites descendre vos vêtements) pour des raisons tant politiques qu’esthétiques. En tant que missionnaire du mouvement Ahmadiyya et homme d’Etat, Abedi était dérangé par l’occidentalisation de la tenue vestimentaire de la femme en Tanganyika et cherchait à redresser cette “rébellion contre Dieu” en publiant le livre Diwani en 1963. Le passage repris dans la citation est une petite portion d’un poème beaucoup plus long inclus dans ce volume. Alors qu’il s’adresse aux femmes de Tanganyika en général, Abedi s’attaque aux femmes musulmanes en particulier, en allant aussi loin qu’il a appelé « sataniques » celles qui portent des tenues vestimentaires occidentales.

Quelle que soit l’inaccessibilité du canal, le contenu des poèmes tel que 'Nguo Ziteremsheni' révèle quelque chose d’essentiel à propos des expériences des femmes Swahili avec une vérité qui résonne à tous les niveaux de la société aujourd’hui autant qu’elle le faisait au moment où il fut écrit –les corps des femmes sont des sites convoités sur lesquels la société négocie des significations. Dans les communautés musulmanes, le hijab se trouve au centre de ce phénomène. Tous ces facteurs, comme ils interviennent en Afrique de l’Est, revêtent une qualité spéciale à la lumière de l’adhésion accrue des femmes à travers la région à cette forme de costume musulman: un fait qu’Amri Abedi serait fier de connaître.

L’expérience du Zanzibar donne une riche étude du phénomène, rendue plus intéressante par la façon drastique dont la culture vestimentaire a changé dans l’histoire récente. La période révolutionnaire des années 1960 était une époque où les coutumes sociales traditionnelles faisaient face au défi à grande échelle de la part de la jeunesse du Zanzibar. Les jeunes protestaient contre l’hégémonie culturelle musulmane en portant des tenues vestimentaires de style occidental. Ils regardaient des films occidentaux malgré la condamnation de ces derniers par les membres du clergé musulman. La réalité à laquelle on est confronté aujourd’hui contredit clairement le présent exemple. Alors qu’il était commun de voir les jeunes femmes en courtes culottes et dans d’autres vêtements non-musulmans au cours des années 1960, aujourd’hui un regard à travers les rues de la Ville de Pierres expose le respect presque universel du hijab par les femmes.

La réaffirmation des codes rigides sur la tenue musulmane au Zanzibar contemporain n’a pas encore fait l’objet d’une quelconque analyse académique sous forme de publication. Un regard rapide sur la politique transnationale et locale du Zanzibar fournit des éléments qui permettent de comprendre pourquoi ceci serait en train de se passer. Les liens entre la Tanzanie et les Etats arabes de la péninsule, encouragés récemment par la construction de mosquées et d’écoles musulmanes à travers tout le pays, ont fait que l’île soit susceptible de mouvements idéologiques en provenance de l’extérieur. Une dimension significative de cette réaffirmation est aussi liée à l’évolution des partis politiques. La description du parti Civic United Front par le parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (parti Etat révolutionnaire) en tant que parti des extrémistes musulmans, qui s’ajoute à la violence contre les membres du CUF à la veille des élections qui a été largement condamnée, a placé les Musulmans du Zanzibar sur la défensive. A la lumière de ces réalités, l’adhésion renforcée à la tenue vestimentaire musulmane conservatrice a un sens.

Le Zanzibar représente un cas extrême, mais il possède toutes les caractéristiques thématiques majeures qui sont en jeu sous des formes variées dans les contextes des Etats de l’Afrique de l’Est. Les circonstances des femmes au Sud du Soudan, au Kenya, et en la grande Tanzanie attestent que la totalité de la région est en train de subir une vague d’islamisation. Dans tous ces contextes, il y a des preuves convaincantes que la politique joue un rôle significatif dans l’usage accru du hijab. Des préoccupations surviennent, cependant, lorsque nous nous appuyons excessivement sur des analyses politiques pour comprendre de tels sujets contenant le genre et la religion. Etant donné la position marginale que les femmes musulmanes continuent d’occuper sur la scène politique, les analyses qui commencent et se terminent au sein des limites d’un cadre politique engendrent un message qui condamne de façon constante- les femmes musulmanes sont opprimées par le hijab.

Alors que ça fait partie d’une sensibilité cosmopolitaine de mettre en cause et de condamner toute subversion des droits de la femme, on doit se demander si l’attachement des communautés africaines à l’Islam et aux symboles tel que le hijab constitue réellement une conclusion. Dans une discussion des femmes et du hijab en Afrique de l’Est, nous devrions tourner l’attention vers une différente sorte de preuves. Ce que nous trouvons au-delà d’une perspective d’analyse politique de haut en bas illustre comment un noyau de facteurs bloque les femmes musulmanes de même qu’il les aide.

Quelle que soit la clarté des connexions entre le statut social des femmes et la pratique musulmane, l’Islam est à peine seul en tant force qui marginalise dans les vies de la femme en Afrique de l’Est. Malheureusement, ces femmes luttent aussi contre des formes de patriarcat qui sont endémiques aux sociétés africaines à un niveau rudimentaire. La menace du viol, du mauvais traitement, ou bien d’être rejetée sous l’argument d’impureté sexuelle collaborent avec les courants de l’islamisation dans des voies qui endossent le hijab. Dans les contextes où porter le hijab fait cesser l’attention indésirable de la part des hommes— malgré que la pratique souligne les structures patriarcales qui font de cela une nécessité—les besoins immédiats des femmes encouragent une description favorable de son usage.

Le discours contemporain est devenu excessivement confortable avec la description de l’Islam comme une force qui s’oppose à la modernité. Ce qui gène le plus est que ces idées sont perpétuées face à des preuves tangibles dans le sens contraire. L’Afrique de l’Est héberge un certain nombre des lieux où les processus de modernisation et d’islamisation travaillent en tandem. Dans les villes côtières du Kenya, face à l’augmentation de l’usage de la drogue comme conséquence de l’augmentation de la prospérité, la réaffirmation d’une identité musulmane devient un outil à travers lequel ces communautés résistent contre la propagation de l’usage des substances au sein de leur jeunesse. Une histoire semblable nous arrive de l’Est du Soudan où les travailleurs migrants vers l’Arabie Saoudite, une fois qu’ils rentrent chez eux, mettent en oeuvre les structures musulmanes au sein de leurs communautés , ce qui, en fait, donne lieu à l’augmentation de la scolarisation parmi les filles musulmanes. Alors que ceci est lié à l’usage accru du hijab dans les deux contextes, les effets sont, sommes toutes, avantageux pour les femmes.

Un autre clivage d’interprétation qui est constamment ignoré dans les discussions des femmes et du hijab est la question de l’engagement de la femme envers ce qu’elle perçoit comme son Dieu. Il y a une tendance, spécialement dans le contexte de la redynamisation musulmane dans le monde, à court-circuiter toutes les discussions contemporaines du hijab vers les forces politiques qui sont supposées avoir déclenché leur apparition. La plausibilité de ces facteurs ne peut pas nous aveugler quant au fait qu’il est probable qu’il y a au moins certaines femmes qui se couvrent uniquement pour des raisons de piété.

Hijab est un mot qui fait tourner des têtes et vend des livres, mais c’est un sujet tout à fait vide pour sa part. Après tout, ce n’est qu’un morceau d’étoffe. Bien plus, n’importe quelle enquête à propos de ses aspects positifs ou négatifs n’aboutit pas à des réponses, mais elle expose des complexités plus grandes. L’histoire que couvre la pratique est plus intéressante. L’idée comme quoi l’adhésion accrue au hijab signifie la subversion des agences des femmes au sein des systèmes de la jurisprudence musulmane semble être une question saillante. A cet égard, c’est la jihad personnelle des femmes partout de créer au sein de l’Islam des espaces où elles agissent comme des sujets et non des objets du discours musulman—un domaine qui reste la zone protégée des hommes tel que Sheik Amri Abedi.

Par contraste à d’autres parties du monde musulman, il y a certaines raisons d’être optimiste pour le cas de l’Afrique de l’Est. L’une des évolutions encourageantes au sein des sociétés africaines aujourd’hui montre que les femmes deviennent de plus en plus puissantes dans leurs communautés. Les femmes musulmanes de l’Afrique de l’Est, on l’espère, commenceront à faire l’expérience de plus grands changements dans leurs communautés religieuses puisqu’elles sont elles-mêmes en train de jouer des rôles plus visibles dans la formulation des circonstances à travers lesquelles les gens adhèrent à l’ Islam.

* Aaliyah Bilal est étudiante en maîtrise à « School of Oriental and African Studies »( Ecole des Etudes Orientales et Africaines) à Londres.

* Cet article a d’abord paru dans le numéro 292 de l’édition anglaise de Pambazuka News. Voir :
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