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Depuis l’assassinat de Sankara en 1987 et l’inversion du processus révolutionnaire, Compaoré s’est maintenu par la terreur et les crimes pour perpétuer son régime de prédation marqué par l’incurie, la corruption, l’affairisme clanique, etc. Depuis février son régime chancelle, ébranlé par les coups de boutoir d’un mouvement social qui regroupe la quasi-totalité des couches de la population. Et revit le slogan révolutionnaire : «La lutte continue !»

Le Burkina-Faso est plus qu’en effervescence depuis février sans que les grands tambours occidentaux que sont les grands canaux de la désinformation mondiale n’en soufflent grand mot : ceux-ci, on le sait, savent se taire ou mentir sur les causes réelles et les vrais acteurs de contestations populaires que l’on cherche à désarmer par ailleurs.

En ce « Pays des hommes intègres », les mécontentements se sont accumulés au fil des ans jusqu’à ce que, événement déclencheur, le 20 février à Koudougou dans le Centre-Ouest, le décès dans les locaux de la police d’un jeune manifestant, l’élève Justin Zongo, a mis le feu aux poudres. Depuis, dans cette troisième ville du Burkina, la jeunesse est dans un état de révolte électrique : confrontée à la violence de la répression policière qui a fait de nombreux tués par balles dans ses rangs, elle a saccagé et mis le feu au siège du gouvernorat de la province.

Sur place, les autorités locales s’employaient à calmer l’inacceptable, par des mensonges (la mort de Justin Zongo causée par une « méningite » !) et des omissions de responsabilités quant aux brutalités du régime Compaoré. Le bilan s’est alourdi : d’autres morts, en plus d’au moins une centaine de blessés dont certains dans un état grave. La révolte a vite fait tache d’huile. Elle s’est étendue à Ouagadougou, la capitale, puis à d’autres villes comme Poa, Ouahigouya etc.

Au-delà de tels symptômes éruptifs, la raison profonde de cette contestation de la jeunesse est évidente : depuis 1987, année du putsch de Compaoré, de l’assassinat de Thomas Sankara et de l’inversion réactionnaire du processus révolutionnaire décapité à gauche de la façon la plus sanglante et crapuleuse, le régime usé jusqu’à l’os par l’incurie, la corruption et toute une série de brutalités sans nom, de morts d’opposants non élucidées etc. se maintient malgré tout, grâce à la politique du bâton et de la carotte. Sa caporalisation de l’Etat à son profit confirmait la vraie nature de ce régime qui affame la population et réprime sa jeunesse, s’est fait réélire depuis 1991 quatre fois à la soviétique lors de scrutins contestés par ses opposants : 24 ans d’un régime de tyrannie redoutablement efficace et missionné à défendre les intérêts stratégiques néocoloniaux français en Afrique de l’Ouest jusqu’à l’obsolescence de son pouvoir.

Dans ce contexte, les frustrations de la jeunesse et le délitement social généralisé se sont dangereusement cristallisés en confrontations coordonnées aux symboles du régime : ainsi, la mutinerie de la garde présidentielle le 14 avril puis, dans la foulée, d’autres camps militaires à Kaya, Pô, Tekodogo, etc., a impliqué une riposte tout aussi violente des commerçants furieux de leur pillage par les soldats mutins : enfin les manifestants de divers secteurs coalisés se sont retrouvés à incendier le siège du parti au pouvoir – le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) – et le gouvernorat et la mairie de Ouagadougou etc. En réponse, Compaoré instaure un couvre-feu sur la capitale, se replie sur sa ville natale, dissout le gouvernement et limoge des chefs de l’armée. Le 27 avril, les policiers se mutinent à leur tour et jusqu’à maintenant les scolaires, étudiants et l’ensemble de la jeunesse amplifient leur mouvement.

Ces mobilisations avancent chacune des revendications très différentes : les scolaires et étudiants manifestent contre les violences policières après la mort de plusieurs d'entre eux, les syndicats s’activent contre la vie chère, les soldats de la garde présidentielle ont réclamé leur indemnité de logement. L’actuel mouvement social burkinabè rassemble en fait la quasi-totalité des couches de la population : jeunes, élèves et étudiants, personnels de santé, magistrats, producteurs de coton, commerçants, militaires et maintenant policiers, etc., contre la vie chère, l’impunité, la corruption et l’affairisme clanique prédateur que Compaoré a institués en système, contre le chômage et la précarité de masse.

L’intensification de la répression et la fermeture des écoles ou des universités sont une provocation face à une jeunesse et à une population aspirant à l’accès aux soins de santé, à l’alimentation et à l’eau potable, à un système éducatif et scolaire viable, à l’habitat décent et aux services publics de qualité etc.
Excellente nouvelle encore : l’opposition politique, depuis février, semble réussir à être en vraie phase avec le mouvement social actuel et cela s’est confirmé le 30 avril dernier à la grande manifestation qu’elle a appelée à Ouagadougou « pour le départ de Blaise Compaoré »… Blaise Compaoré qui est visiblement LE problème du Burkina… Mais, après ces trois mois d’effervescence, il est clair que, au moins, les Burkinabè n’ont plus peur ! La lutte continue !

* Pierre Sidy est sociologue et rédacteur d’« Afriques en lutte». Cet article est paru dans l’édition d’avril-mai 2011.

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