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L’année 2006 marque les vingt ans d’existence de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples entrée en vigueur en 1986. Alors que les chefs d’Etats africains s’apprêtent à prendre part à la 7ème réunion africaine au sommet à Banjul en Gambie, Ahmed C. Motala évalue les grandeurs et faiblesses de la Charte pour la protection et la promotion des Droits de l'Homme du continent.

La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte africaine) était adoptée le 27 juin 1981 par l’assemblée de chefs d’Etat et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), qui précédait l’Union africaine (UA), à Nairobi au Kenya. Cette année marque le vingtième anniversaire de la Charte entrée en vigueur en octobre 1986. Certains commentateurs ont salué la Charte africaine comme un document progressif qui, entre autres choses, reconnaît l’indivisibilité des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, distincte d’autres traités internationaux concernant les Droits de l’Homme.

La Charte africaine est aussi le premier traité des Droits de l’Homme qui fasse référence au droit au développement, bien que ce droit ne soit pas défini. D’autres ont critiqué la Charte pour ces nombreuses déficiences, particulièrement les clauses échappatoires qui subordonnent certains droits au droit national. Par exemple, art.9(2) de la Charte africaine déclare : « Chaque individu a le droit d’exprimer et de diffuser des opinons conforme à la loi ». D’autres droits tels que le droit à un espace privé ne sont pas inclus dans la Charte et d’autres encore, comme le droit à un procès équitable, est défini de façon inadéquate.

La Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Commission africaine), l’organe créé par la Charte pour évaluer la mesure du respect des Etats pour la Charte, fonctionne actuellement dans un environnement où plusieurs pays sont en proie à la guerre civile. ( Soudan, Côte d’Ivoire, République Démocratique du Congo et le Tchad). Les Droits de l’Homme sont gravement violés à travers tout le continent de l’Egypte à la Guinée équatoriale et l’Ethiopie. Le phénomène de coups d’Etat et de contrecoups continue de hanter nombres de pays. Les mesures anti-terroristes, adoptées par les gouvernements de toute l’Afrique, battent en brèche les acquis des valeurs découlant des Droits de l’Homme.

Par contre, l’engagement croissant pour la cause des Droits de l’Homme par une poignée de pays progressistes incluant le Mali, le Bénin et l’Afrique du Sud, suscite un peu d’optimisme et permet de croire que le continent veut véritablement améliorer la situation des Droits de l’Homme.

Lorsque la Charte africaine a été élaborée et adoptée, la Charte de l’OUA y a inscrit comme principe fondamental la souveraineté des Etats et la non-ingérence dans les affaires nationales. Ce principe a empêché l’OUA et les Etats africains d’intervenir afin d’empêcher de graves violations des Droits l’Homme comme le massacre de civils par des dictateurs tel Idi Amin en Ouganda, l’empereur Bokassa en République Centrale Africaine, Mengitsu Haile Mariam en Ethiopie, Valentine Strasser au Liberia, Hissene Habré au Tchad et Samuel Doe au Liberia. En fait d’anciens dictateurs, comme Mengistu et Habré, continuent de bénéficier de l’hospitalité du Zimbabwe et du Sénégal respectivement, les deux Etats refusant de les extrader.

Après sa création, la Commission n’a pas été capable de gérer efficacement l’une des plus graves violations des Droits de l’Homme jamais commises sur le continent, le récent génocide au Rwanda. Etant une création de l’OUA, qui maintenant rend compte à l’UA, la Commission africaine a été entravée, entre autre, par le manque de volonté politique et l’absence d’initiatives de ses maîtres politiques pour aborder de graves violations des Droits de l’Homme. Après tout, les dictateurs et ceux qui enfreignent les Droits de l’Homme appartiennent au club même auquel la Commission africaine est requise de soumettre son rapport annuel qui contenait des informations sur de graves violations des Droits de l’Homme.

Suite à l’établissement de l’Union africaine, il y a, du moins sur le papier, un engagement plus important en faveur des Droits de l’Homme. Les objectifs de l’Union africaine, tels qu’ils sont entérinés dans l’Acte de Constitution, incluent « la promotion et la protection des Droits de l’Homme et des Peuples, en accord avec la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que d’autres instruments des Droits de l’Homme pertinents ». L’Union africaine est aussi basée, entre autres principes, « sur le respect des principes démocratiques, les Droits de l’Homme, l’autorité de la loi et la bonne gouvernance ».

La question clé est de savoir si les valeurs entérinées dans l’Acte Constitutif sont appliquées par les pays membres de l’Union africaine ou les institutions de l’UA. Il y a peu de preuves suggérant que l’UA est soucieuse de demander des comptes concernant des violations des Droits de l’Homme à un Etat membre. Le cas du Zimbabwe est un cas de figure. Bien que la Commission africaine ait présenté son rapport à l’Assemblée de l’UA en juillet 2004 sur la situation des Droits de l’Homme au Zimbabwe, rapport assorti de recommandations afin de remédier à la situation, l’Assemblée a renoncé à demander des comptes aux autorités du Zimbabwe et a préféré se rendre aux objections de celui-ci qui se plaignait du manque d’opportunités pour prendre connaissance du rapport, retardant ainsi l’adoption du rapport annuel de la Commission africaine de 6 mois.

Cependant, le Conseil pour la Sécurité et la Paix semble avoir agi avec détermination lorsqu’il s’est penché sur les situations de conflit. Dans sa tentative de résolution du conflit dans la région du Darfour au Soudan occidental, le Conseil a autorisé le déploiement d’une mission de maintien de la paix allant ainsi à l’encontre de la volonté du gouvernement soudanais du président Omar El Bashir. L’Acte Constitutif a réduit la marge de la souveraineté des Etats en stipulant « le droit de l’Union à intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat membre, suite à une décision de l’Assemblée, lors de circonstances graves, notamment lorsque des crimes de guerre, un génocide ou des crimes contre l’humanité sont commis ».

Ce droit d’intervention est la conséquence des critiques sévères à l’encontre de l’OUA pour n’être pas intervenue au Rwanda alors qu’un génocide était en cours. Il est encourageant de voir que l’UA est prête à agir sur la base de son droit d’intervention même contre la volonté de l’Etat membre concerné. La question de savoir si la mission de l’UA au Soudan a réellement réduit le nombre de violations des Droits de l’Homme fait l’objet d’un autre article.

Qu’est devenue la Commission africaine au cours de ces deux décennies ? Une analyse du travail de la Commission montrerait un progrès considérable au cours des vingt ans écoulés. Néanmoins nombre d’obstacles ont entravé son travail et par conséquent son efficacité sur le continent.

La Commission africaine a rendu de nombreux jugements suite à des plaintes qui lui étaient adressées principalement par des ONG. Ces jugements visaient plusieurs pays qui incluaient l’Egypte, l’Algérie, le Soudan, le Malawi, le Nigeria, le Cameroun et le Botswana. Sa jurisprudence s’est considérablement accrue au cours des années et des jugements récents étaient fondés sur d’excellents raisonnements. Toutefois, la Commission africaine devra améliorer considérablement ses jugements si elle espère que la cour de justice pour les Droits de l’Homme et des Peuples, nouvellement instituée, les entérine.

Le personnel de la Commission africaine est actuellement composé de juristes très engagés mais inexpérimentés. A moins de s'adjoindre du personnel permanent expérimenté dans la plaidoirie et la recherche dans le domaine du droit, la Commission africaine a peu de chance d’améliorer ses jugements jusqu’à un niveau qui satisfasse aux exigences de la Cour africaine. Regrettablement la plupart des Etats ont ignoré les jugements de la Commission africaine et l’organe dont il est issu l’Assemblée de UA a failli misérablement lorsqu’il s’est agi de demander des comptes aux Etats concernés. Aussi longtemps que les Etats africains qui sont l’objet de plaintes ignorent les jugements de la Commission africaine, son rôle d’organe principal du continent africain responsable de la protection et de la promotion des Droits de l’Homme, restera minimal.

Le mandat de la Commission africaine inclut la formulation et l’établissement de règles sur lesquelles les Etats africains puissent fonder leur législation. De ce point de vue, la Commission africaine a fait une contribution considérable en adoptant toute une série de principes et de directives. Ceux-ci incluent : la déclaration du principe de liberté d’expression en Afrique, des directives et des mesures pour la prohibition et la prévention de la torture, de traitements ou punitions cruels, inhumains et dégradants en Afrique ainsi que des directives et les principes pour un procès équitable et l’assistance légale en Afrique. La valeur intrinsèque de ces déclarations de la Commission africaine réside dans la pertinence des standards énoncés par rapport à la situation prévalant actuellement en Afrique. Malheureusement les Etats africains ont fait peu de cas de ces déclarations lors du développement de leur propre législation.

La Commission africaine est affligée d’une certaine inconstance dans sa prestation qui résulte de sa composition. L’efficacité du traité dépend de l’indépendance et de l’impartialité des Commissaires. Il est décevant de remarquer que les Etats africains ont miné l’indépendance de la Commission africaine en nommant et en élisant des Commissaires dont l’indépendance était compromise ou qui étaient perçus comme manquant d’indépendance en vertu de leur fonction dans le gouvernement. Au cours des vingt ans écoulés, différents Commissaires ont occupé des postes de ministre, de procureur général, d’ambassadeurs et de conseiller de leur président.

Ceci a non seulement nui à l’image de la Commission africaine, mais a également inhibé toute initiative abordant les graves violations des Droits de l’Homme sur le continent africain. On citera l’exemple de ce Rapporteur Spécial de la Commission africaine sur la question des exécutions extra judiciaires, nommé à la veille du génocide au Rwanda en avril 1994. Durant son mandat, il a négligé d’investiguer les évènements au Rwanda et ne s’est pas rendu dans ce pays. Au cours de son mandat à la Commission africaine, le préposé était le représentant diplomatique de son pays d’abord à Ankara ensuite à Genève.

Le manque de ressources adéquates a considérablement entravé le travail de la Commission africaine. Le budget annuel alloué par l’UA pour 2005 était de US$ 1 142 051, budget considérablement inférieur à celui de certaines grandes ONG nationales. En dépit des nombreuses résolutions adoptées par l’Assemblée de l’UA plaidant pour que la Commission soit adéquatement pourvue, la Commission africaine a dû avoir recours à l’assistance de donateurs étrangers incluant l’Union Européenne et des gouvernements européens individuels. Ceci est une source d’embarras pour l’UA qui s’est montrée incapable de fournir suffisamment de ressources à son principal organe des Droits de l’Homme. Il met aussi en cause la crédibilité de son engagement et celui des Etats membres en faveur de la protection et la promotion des Droits de l’Homme sur le continent.
La protection des Droits de l’Homme en Afrique sera améliorée par l’établissement d’une cour africaine de justice des Droits de l’Homme et des Peuples.

Cour africaine de justice

Les onze juges de la cour africaine de justice ont été élus par l’Assemblée de l’UA en janvier de cette année et seront assermentés lors de la prochaine Assemblée au début juillet 2006. La cour africaine de justice ayant l’autorité d’émettre des jugements contraignants et le Conseil Exécutif de l’UA devant assurer leurs exécutions, la protection des Droits de l’Homme sur le continent peut désormais s’améliorer. Toutefois, les Etats dévoyés seront seulement susceptibles de se soumettre aux verdicts dès lors que le Conseil Exécutif manifestera sa volonté de prendre des mesures à l’encontre des Etats qui ignorent ou retardent l’exécution des décisions de la Cour de justice africaine.

Le manque de ressources risque fort d’accabler la Cour africaine de justice, à moins que l’UA établisse le fond volontaire des Droits de l’Homme qui avait été recommandé lors de la première rencontre ministérielle de la conférence sur les Droits de l’Homme, qui s’était tenue à Kigali en mai 2003, et que les Etats africains fassent des contributions substantielles à ce fond.

Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle en ce qui concerne la protection des Droits de l’Homme. L’établissement de la Cour africaine de justice n’est que le premier pas de ce voyage à travers cette ère. Beaucoup reste à faire pour désigner le lieu approprié où la Cour africaine de justice aura son siège, pour l’octroi de ressources adéquates et le recrutement de personnel compétent et expérimenté. A chaque étape et à tous les niveaux, le bon fonctionnement de la Cour africaine de justice dépend du soutien politique de l’UA et de ses Etats membres qui sont d’une importance cruciale.

Les Etats africains portent une responsabilité considérable dans la protection des Droits de l’Homme. Les institutions nationales, comprenant des commissions nationales des Droits de l’Homme ainsi que les tribunaux, portent la première responsabilité dans la protection des Droits de l’Homme. L’établissement et le renforcement d’un système judiciaire indépendant dans chacun des Etats africains ainsi que le respect et l’application des décisions des cours de justice nationales sont d’une importance vitale. Le système régional de protection des Droits de l’Homme ne devient pertinent que dans la mesure où les tribunaux manquent de faire prévaloir la protection des Droits de l’Homme ou dans les situations où l’Etat fait fi des décisions de ses propres cours de justice.

*Ahmed C. Motala est le directeur exécutif du Centre d’Etudes de la Violence et de la Réconciliation.

* Cet article a d'abord paru dansl'édition anglaise de Pambazuka News n° 260. Voir :

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