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Les mises en garde et les condamnations n’y ont encore rien fait. Laurent Gbagbo continue de s’enfoncer dans son attitude de défiance vis-à-vis de la communauté internationale. Et en Côte d’Ivoire les crimes et exactions continuent, qui balisent pour le président défait aux élections le chemin menant à la Cour pénale internationale. Mais comme le souligne Venance Konan, Gbagbo ne sera pas seul rendre compte.

M. Aké Ngbo, de vous je ne savais pas grand’chose, à part que vous étiez le président de l’université de Cocody. J’ai vu sur votre CV que vous êtes bardés de grands diplômes. Je suppose que vous étiez aussi un militant du FPI. Vous avez accepté d’être le Premier ministre de Laurent Gbagbo. Vous me direz certainement que c’est pour servir votre pays, pour participer au développement de la Côte d’Ivoire, afin que vos compatriotes aient une vie meilleure. Vous me direz aussi que, comme tous les Refondateurs, vous étiez convaincus que votre champion avait vraiment gagné l’élection présidentielle, et qu’il appartenait au Conseil constitutionnel de déclarer le vainqueur.

Mais voilà ! Le monde entier pense que c’est Ouattara qui a gagné. N’entrons pas dans les débats juridiques qui de toutes les façons, ne servent plus à rien. Je vous renvoie simplement à ce qu’avait dit Laurent Gbagbo en 1999, à propos de Slobodan Milosevic. Il lui avait dit : «Si tu es dans un village et que tout le monde voit un pagne en blanc, si tu es le seul à le voir en noir, c’est que tu as un problème. Milosevic a le monde entier contre lui. Où croit-il pouvoir aller ? » Vous êtes les seuls au monde à voir Gbagbo président, et à vous voir Premier ministre. Vous croyez vraiment que vous finirez par avoir raison sur le monde entier ?

Vous avez dû écouter le sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines. Obama a fait du départ de Gbagbo et de votre gouvernement une question de principe. Vous voyez Obama, en proie à des difficultés intérieurs en ce moment accepter de perdre la face devant un Gbagbo ? Vous imaginez les Etats africains, européens, l’ONU, accepter de perdre la face devant Gbagbo ? Vous savez bien qu’accepter le hold-up de Gbagbo, c’est enterrer définitivement la démocratie sur notre continent. Et personne ne veut de cela.

M. Aké Ngbo, comment comptez-vous gouverner la Côte d’Ivoire avec le monde entier, à commencer par vos voisins immédiats, contre vous ? Comment comptez-vous diriger la Côte d’Ivoire avec plus de la moitié des Ivoiriens contre vous ? Et puis, M. Aké Ngbo, le régime dont vous êtes le Premier ministre vient de se rendre coupable de crimes contre l’humanité. Vous me direz que vous n’avez pas donné d’ordre pour que l’on tue des civils aux mains nues, que vous n’avez actionné aucun escadron de la mort. C’est possible. Mais à Abobo, Adjamé, Koumassi, pendant des nuits, et ce pendant des heures, nous avons entendu les coups de feu, les cris des victimes, et de nombreuses personnes ont vu les charniers.

N’avez-vous pas remarqué que chaque fois que Gbagbo accède au pouvoir il est accompagné par un charnier ? En 2000, tout le monde avait fermé les yeux. Mais cette fois-ci, personne ne veut les fermer à nouveau. On parle de cinquante morts (NDLR : le bilan établi par les Nations Unies est monté à plus de 200 morts). C’est déjà trop. Mais vous savez que le vrai bilan, qui sortira de toutes les façons un jour, est beaucoup plus élevé. N’entendez-vous pas les bruits de l’étau de la communauté internationale qui se resserre sur votre gouvernement ? Gbagbo se retrouvera devant un Tribunal pénal international. Il ne peut plus y échapper. Que lui devez-vous tant pour vouloir l’accompagner ?

Lorsque l’apocalypse que les gens de Gbagbo préparent se sera déroulée, je ne sais pas si vous et moi figureront parmi les survivants. Que croyez-vous que l’histoire retiendra de vous ? Rien. Vous ne serez ni un héros ni un martyr. Si vous survivez, que deviendrez-vous ? Un paria partout dans le monde. L’Union Européenne vous a déjà fermé ses portes. Les Etats-Unis aussi. Il en sera vraisemblablement de même pour tous les autres Etats du monde. Ne méritez-vous pas mieux que ça ? Aké Ngbo, « quittez dans ça », comme disent les Ivoiriens. Retirez-vous de cette affaire. Démissionnez, et vous serez sauvé. Dites que vous ne saviez pas que les choses allaient prendre cette tournure sanglante, que vous y êtes allé de bonne foi. Il est permis à tout le monde de se tromper. Quittez dans ça, sinon vous serez vous aussi comptable des crimes de Gbagbo.

M. Georges Armand Ouégnin. Je ne sais pas grand’chose de vous non plus, à part que vous êtes le frère de Georges Ouégnin, le compagnon fidèle de feu Félix Houphouët-Boigny. Teniez-vous tant à être appelé au moins une fois dans votre vie « Monsieur le ministre » pour que vous acceptiez d’être sous-ministre dans un gouvernement où Blé Goudé, le tricheur, celui qui est sous sanctions de l’ONU est ministre plein ? Que gagnez-vous à être dans un tel gouvernement que le monde entier refuse de reconnaître ? N’êtes vous pas gêné lorsque l’on vous appelle « Monsieur le ministre » ? Que devez-vous tant à Gbagbo pour vouloir l’accompagner dans son enfer ? Vous voulez, vous aussi, être sanctionné par la communauté internationale ? M. Ouégnin, « quittez dans ça », sinon vous serez vous aussi comptables des crimes de Gbagbo.

Madame Angèle Gnonsoa, vous vous souvenez sans doute du jour où vous m’avez reçu sous votre « apatam ». Vous appréciiez alors mes écrits. Je ne sais pas si vous apprécierez celui-ci. Je vous pose les mêmes questions. Pourquoi voulez-vous vous associer à une bande de personnes reconnues comme des criminels ? Ne me dites pas que vous ne savez pas que des dizaines de personnes ont été tuées par le pouvoir de Gbagbo ! Ne me dites pas que vous ne savez pas que des femmes de votre âge ont été déshabillées dans la rue à Bassam ! « Quittez dans ça », tantie Angèle. Les masques de chez vous ne vous pardonneront pas de les associer à cette sanglante mascarade. « Quittez dans ça », sinon vous serez aussi comptable des crimes de Gbagbo.

Ahoua Don Mello. Je peux dire que nous sommes des amis de plus de 35 ans, depuis le temps où nous nous sommes connus au lycée de Dimbokro où j’ai fait ma classe de troisième. Tu étais alors en classe de seconde. Nous avons gardé de très bons rapports depuis cette époque, même si nous ne nous sommes pas beaucoup fréquentés ces dernières années. Mais tu dois te souvenir de la conversation que nous avions eu sous l’apatam de l’hôtel du Golf, à l’époque où tu avais quitté le FPI pour créer ton propre parti. Tu as rejoint Gbagbo lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2000. Pendant ses dix années de pouvoir, je n’ai pas entendu ton nom dans les nombreux scandales qui ont émaillé le règne des Refondateurs. Je suppose que comme tous les Refondateurs, tu es aussi convaincu que c’est Gbagbo qui a gagné. Oui, mais le reste du monde dit que Gbagbo a opéré un hold-up en pleine journée, devant tout le monde, et ne veut donc pas le reconnaître. Toi non plus, tu n’as sans doute pas entendu parler des charniers que l’on découvre chaque jour. Tu diras certainement que c’est de l’intoxication. Mais je te sais trop intelligent pour ne pas y croire. Que gagnes-tu à associer aujourd’hui ton nom à un régime catalogué comme assassin ?

Dans les années soixante-dix, des gens comme Idi Amin Dada avaient pu régner en massacrant leurs populations. Mais nous sommes en 2010. Et plus personne ne veut laisser un régime comme celui de Gbagbo continuer sa basse besogne. Don Mello, mon ami, quitte dans ça ! La Côte d’Ivoire, ta région, ta famille, tes amis ont encore besoin de toi. Quitte dans ça, mon frère ! Sinon, tu seras toi aussi comptable des crimes de Gbagbo.

* Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien

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