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L’assaut continu sur la Libye par les forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) devrait pousser à déférer ses dirigeants devant le Tribunal Pénal International (TPI), estime Yash Tandon. Mais il reste convaincu que cela ne se produira pas. Il lui reste aussi la conviction qu’un nouveau régime installé par ce biais sera au service de l’empire, garantissant l’accès au pétrole, faisant barrage aux réfugiés vers l’Europe et faisant rempart contre les forces jugées menaçantes comme celles du Hamas et de l’Iran.

J’ai terminé mon article intitulé ‘De qui Kadhafi est-il le dictateur’ avec la question suivante : maintenant que faire ? Comment les choses peuvent-elles évoluer en Libye ? Avant que je n’aborde cette question, il est nécessaire de se souvenir que la Libye est un Etat néocolonial et qu’objectivement Kadhafi a été un dictateur néocolonial du capitalisme global, même si, subjectivement, il a été et reste anti-impérialiste. L’empire a pu s’accommoder de lui et l’a en effet réhabilité après son revirement de 1999, il y a plus d’une décennie. Mais le Printemps arabe a perturbé le programme de l’empire et il a fallu vite faire volte-face et se débarrasser de Kadhafi.

Alors, maintenant que faire ? L’empire, avec la connivence d’une partie de la population libyenne avait espéré se débarrasser de Kadhafi rapidement. La zone d’exclusion aérienne limitée des Nations Unies s’est transformée en une opération militaire de l’OTAN qui est maintenant une violation du mandat originel. L’empire, dans son orgueil et ses illusions, a cru pendant un temps que les Nations Unies pourraient permettre une invasion terrestre. Mais ceci a échoué. La Russie et la Chine, qui ont le droit de veto au Conseil de Sécurité, ont dénoncé le fait que l’OTAN avait été bien au-delà de son mandat. Kadhafi, l’ancien enfant chéri et choyé de l’empire après son revirement de 1999, s’avère beaucoup plus résilient que prévu. Il est de retour sur son chemin anti-impérialiste et nationaliste. La machine de guerre impériale n’a pas réussi à le déloger.

Depuis mars 2011, l’OTAN a effectué plus de 6000 sorties aériennes dont 2400 ont été des bombardements. Ce sont-là des chiffres impressionnants, quelle que soit l’aune à laquelle on les mesure. Face à une guerre qui se prolonge, l’empire use maintenant de subterfuges et de double langage afin d’étendre ses opérations militaires en Libye. Il tue des gens visés depuis le ciel tout en le niant et continue de cultiver le mythe qu’il ne fait que protéger des civils. Ceci est un mensonge éhonté. L’OTAN a effrontément bombardé le complexe personnel de Kadhafi à Tripoli le 22 mars, espérant le tuer.

Comme dans le cas de Ben Laden, l’empire a une stratégie militaire horrible et d’une simplicité impressionnante : couper la tête du serpent et le reste du corps va disparaître. Au cours du bombardement du 22 mars, l’empire n’a réussi qu’à tuer l’un des fils de Kadhafi dans ce qui ne peut être qualifié autrement que d’acte criminel. Ce qui devrait motiver Luis Moreno-Ocampo, le procureur du TPI à enquêter et à inculper les dirigeants de l’OTAN pour des actions criminelles. Naturellement nous savons que cela ne se produira pas. Dans l’arène international, l’impunité n’a qu’un visage : celui de l’empire

Donc, retour à la question : que faire maintenant en Libye ?

Bien que cela ressemble à un cliché, c’est un truisme que de dire que ’le futur de la Libye est dans les mains des Libyens’. Même l’empire, hypocritement, endosse ce principe et il y est obligé s’il veut garder la moindre légitimité, la moindre excuse pour ses actions en Libye. Mais le fait est que l’empire ne peut pas permettre l’autodétermination dans ses néo-colonies. Ceci serait par définition la fin des néo-colonies et donc la mort de l’empire. L’empire doit diviser pour régner.

En Libye, l’empire a activement encouragé une partie de la population à mener une guerre par procuration. Pour dire les choses clairement, Bengazi (province) mène une guerre contre Tripoli (centre) pour le bénéfice de l’empire. La France a été active à Bengazi avant même la Résolution du Conseil de Sécurité et a été le premier pays impérial à reconnaître le National Transitional Council (NTC) à Bengazi. Mais peu de pays ont suivi et donc, techniquement, le régime de Kadhafi demeure le seul acteur légalement constitué dans la conduite des relations diplomatiques de la Libye. Contre lui, l’empire utilise les gens dans une métaphore idéologique pour décrire une nation tout entière dont il est dit qu’elle s’est révoltée contre Kadhafi. Ceci est un autre mythe.

Par exemple, l’histoire véhiculée par les média, selon laquelle ‘’les combattants favorables à la démocratie à Misrata sont engagés dans une guerre des tranchées contre Kadhafi’, est une expression qui n’a rien d’anodin. Elle sert à accréditer l’idée que les forces en faveur de la démocratie résistent au dictateur. Elle sert également à préparer le terrain psychologique et politique pour justifier le soutien militaire déclaré et clandestin du ‘peuple’. La question qu’il convient alors de poser est : quel peuple ? Qui parmi les dirigeants du NTC représente le peuple ?

Le ’peuple’ est la dénomination simplifiée d’une réalité complexe. Parce qu’il doit y avoir, même à Bengazi, des gens qui ont maintenant compris qu’ils sont otages de l’empire, qu’ils ne peuvent gérer leurs affaires sans l’empire. Mais ces ‘rebelles d’entre les rebelles’ (si on peut les décrire ainsi) sont probablement marginalisés par la coalition des forces politiques qui gravite autour du NTC à Bengazi. C’est une question complexe. Pas aussi simple que ce qui est présenté par l’empire et les média.

La dure réalité est qu’aussi longtemps que l’empire dicte les termes et les moyens des relations avec Kadhafi, le ‘peuple’ ne pourra jamais déterminer son futur. C’est aussi simple que cela. Lorsqu’une nation a remis sa souveraineté à l’empire, elle ne peut la retrouver que si elle se libère de l’empire. Lorsque la rue s’est révoltée contre le régime de Kadhafi, elle s’est aussi révoltée contre l’ordre impérial. Mais maintenant la situation a échappé au contrôle du peuple. L’empire a pris en charge la destitution de Kadhafi et, en apparence, il aide le ‘peuple’ à mettre en place un régime ‘démocratique’. L’empire s’assurera que ce nouveau régime lui soit étroitement lié afin qu’il continue de servir ses objectifs économiques et stratégiques dans la région, y compris l’accès au pétrole, la retenue de cargaisons de réfugiés vers l’Europe et, par-dessus tout, la protection d’Israël, cet avant-poste de l’empire dans la région qui contre les dangers posés par le Hamas, la Syrie et l’Iran par exemple.

Donc retour à la question : quelle est l’évolution possible pour la nation libyenne ? Là, il serait peut-être utile pour la nation (un terme meilleur que ’peuple’) d’apprendre de l’expérience de la nation palestinienne pour faire progresser leur lutte en faveur de l’autodétermination. La Palestine est une nation occupée. Le peuple palestinien ne peut négocier avec Israël aussi longtemps que ses terres sont occupées. Néanmoins c’est ce que l’empire a encouragé les Palestiniens à faire depuis 60 ans. C’est une situation impossible. Comment la Palestine peut-elle négocier sur un pied d’égalité si elle est occupée ? L’empire est venu faire de la médiation mais il n’est pas un médiateur neutre. Ce n’est pas un courtier honnête. Des pays comme la Norvège, instigateur des négociations entre Israël et la Palestine, l’a fait comme substitut de l’empire dont elle est partie intégrale. Les dits accords d’Oslo dont les Norvégiens ont été les médiateurs, par exemple, étaient un processus partial au nom de l’impérialisme collectif.

Comme l’a formulé Ziyad Clot qui avait été un conseilleur de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) : ’les ‘négociations de paix’ ont été une farce trompeuse lors de laquelle des conditions biaisées ont été imposées par Israël et ont été systématiquement endossées par les Etats-Unis et l’Europe. Loin de rendre possible une paix négociée et juste qui mette un terme au conflit, la poursuite du processus d’Oslo a aggravé les politiques ségrégationnistes israéliennes et a justifié le renforcement des contrôles de sécurité imposés à la population palestinienne ainsi que sa fragmentation géographique. Loin d’avoir préservé la terre sur laquelle construire la nation, il a toléré l’intensification de la colonisation du territoire palestinien. Loin d’avoir maintenu la cohésion nationale, le processus, auquel j’ai participé brièvement, a été l’instrument qui a créé et aggravé la division des Palestiniens. Lors de ses derniers développements, il est devenu une entreprise cruelle dont les Palestiniens de la Bande de Gaza ont le plus souffert. Enfin, ces négociations ont exclu la grande majorité de la population palestinienne : les 7 millions de réfugiés palestiniens. Mon expérience au cours des 11 mois passés à Ramallah confirme que l’OLP, au vu de sa structure, n’a pas été dans une position pour représenter les droits et les intérêts de tous les Palestiniens’ (Why I blew the whistle about Palestine’. The Guardian, samedi le 14 mai 2011)

Naturellement rien ne reste figé pour l’éternité. Même après 60 ans d’efforts de la part de l’empire pour diviser la nation palestinienne, de la contraindre à des ‘négociations de paix’ avec Israël, à grand renfort ‘d’aide’ financière et de la forcer d’accepter l’Apartheid, le peuple palestinien est finalement uni. (Au moins pour un temps parce que l’empire et Israël vont poursuivre leurs efforts pour diviser). Le Hamas et le Fatah ont pour le moment enterré la hache de guerre et offrent maintenant- alors que j’écris ces lignes- un front uni à Israël et l’empire, ce que le Premier Ministre Netanyahu a hypocritement décrit comme ‘’ une victoire du terrorisme’ et’ un coup mortel pour la paix’

Un autre des conseils de Ziyad Clot à la Palestine s’applique aussi à la Libye : ‘Finalement je suis rassuré que le peuple de Palestine a généralement compris que la réconciliation entre tous ses constituants doit être le premier pas sur le chemin de la libération nationale Les Palestiniens de la Cisjordanie et les Palestiniens de la Bande de Gaza, les Palestiniens en Israël et les Palestiniens en exil ont un futur commun. Le chemin vers l’autodétermination des Palestiniens requiert la participation de tous dans une tribune politique renouvelée.’

Le peuple libyen finira par comprendre que l’opposition entre ‘Tripoli’ et ‘Bengazi’ est une opposition secondaire entre les peuples, alimentée par l’empire au nom de ‘l’intervention humanitaire’ appliquée sélectivement dans le cas de la Libye, mais non dans le cas du Yémen ou de Bahreïn. Ils comprendront que leur opposant principal en ce moment est l’empire. Dans le cas de la Palestine, le nouveau régime égyptien a été le catalyseur du rapprochement entre le Hamas et le Fatah. Peut-être qu’il pourrait jouer un rôle similaire en Libye. L’Egypte peut aussi jouer un rôle en mobilisant la Ligue arabe contre les bombardements de la Libye par l’OTAN. Suite aux bombardements de Tripoli, son secrétaire général, Amr Moussa a déclaré que l’approbation par la Ligue de la zone d’exclusion aérienne du 12 mars dernier a été fondée sur le désir d’empêcher les forces de Kadhafi d’attaquer des civils et non d’autoriser des bombardements intenses et des attaques de missiles y compris sur Tripoli et les forces terrestres libyennes.

Le peuple libyen doit avoir recours à sa propre sagesse historique pour résoudre ses différends. La sagesse de l’Orient est profonde. On y reconnaît surtout la valeur de la patience, en particulier dans le désert. Il faut beaucoup de temps pour atteindre sa destination avec des chameaux, et son chemin doit être soigneusement préparé. Le désert est aussi le théâtre de guerres et de batailles féroces. Mais une oasis est différente. Une oasis est non seulement une rupture d’avec le désert mais aussi un endroit neutre, un lieu sacré de paix habité principalement par des femmes et des enfants. Les visiteurs n’entrent jamais dans la vie de l’oasis. Ils laissent ses habitants en paix. Pour les visiteurs, interférer dans l’hospitalité des habitants de l’oasis est tabou.

Ce n’est pas comme cela que les choses se passent avec l’empire occidental. C’est un empire fondé historiquement sur le pillage. C’est un empire d’interférence globale. Dans cet empire il n’y a pas d’oasis de décence. Cet empire croit à tort qu’il peut obtenir la soumission en Afghanistan et en Libye à force de bombardements. L’empire occidental est une culture dépourvue de civilisation. Il démontre sa culture crasse lorsqu’il se réjouit de la mort des enfants de Kadhafi dans leur maison. L’empire ne comprend pas qu’on peut tenir un grain de sable dans sa main et le faire disparaître en lui soufflant dessus, mais qu’il a fallu des millions d’années pour créer le sable. La civilisation orientale est encore jeune mais elle est là depuis longtemps, beaucoup plus longtemps que la civilisation occidentale et elle ne peut pas juste être soufflée comme un grain de sable. L’empire n’a pas conscience des aspects plus raffinés de la civilisation. Il ne comprend pas qu’il peut remporter des victoires à court terme mais qu’il peut perdre à long terme, que ce qui circule peut revenir comme une catapulte.

Retour à la Libye. Les Libyens doivent retourner à leur ‘culture d’oasis’, trouver un endroit où ils peuvent laisser leurs fusils et leurs chameaux devant la tente, résoudre leurs différends et s’unir contre l’empire, comme en Palestine.

La prochaine question est de savoir s’il y a un rôle pour la communauté internationale en général dans cette guerre sordide. Par communauté internationale, je ne veux pas dire l’empire et ‘sa coalition de volontaires’. Par là j’entends la communauté en dehors de la coalition de guerre. Comment les dirigeants des pays du Tiers Monde peuvent-ils aider, par exemple ? Après la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ces pays ont regrettablement permis que les Nations Unies soient utilisées par l’empire, avec la flagrante complicité de l’actuel secrétaire général Ban Ki-moon. Ils doivent prendre le contrôle du processus politique et diplomatique des Nations Unies.

Comment peuvent-ils y parvenir ? Ils doivent d’abord ramener la question libyenne devant le Conseil de Sécurité pour une révision du mandat originel. A défaut, ils peuvent amener le problème devant l’Assemblée générale sous la rubrique ‘S’unir pour la Paix’, résolution que les Américains ont utilisé pour la première fois en 1950 afin d’obtenir l’acquiescement des Nations Unies pour leur action en Corée. La résolution UNGA 377 (V), la résolution ‘s’unir pour la paix’ déclare que lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies n’agit pas en raison de divergences entre les cinq membres permanents, la question sera soumise à l’Assemblée générale en faisant usage du mécanisme de ‘session spéciale urgente’. Deuxièmement, les dirigeants du Tiers Monde doivent aussi revoir la résolution 1674 du Conseil de Sécurité du 28 avril 2006. Cette résolution réaffirme, aux paragraphes 138 et 139 du World summit outcome document de 2005 qui contient entre autres choses, le concept de la ‘responsabilité de protéger’, ou R2P, dont l’empire a fait un usage sérieusement abusif dans le cas de la Libye.

Ce concept de ‘responsabilité de protéger’ et le concept de ‘d’intervention humanitaire’ sont des questions que j’aborderai dans la prochaine édition de Pambazuka. Les dictateurs impériaux infligent le carnage à la Libye en toute en impunité. Ce dont nous sommes les témoins en Libye n’est pas l’audace de l’espoir mais l’audace de la folie. Ce carnage et cette folie doivent s’arrêter.

* Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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