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US Gov.

La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton s’est rendue en Afrique en mi-juin et a tenu une conférence de presse à Lusaka lors de laquelle elle a mis en garde contre le ‘nouveau colonialisme’ en Afrique. De telles mises en garde serait plus crédibles pour les Africains si les Etats-Unis révisaient leur propre politique, souligne Isaac Odoom

En mi-juin, Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine s’est embarquée pour un périple africain qui l’a menée en Zambie, en Tanzanie et en Ethiopie. Lors d’une conférence de presse à Lusaka, elle aurait mis en garde le continent hôte contre la ‘nouvelle colonisation’ en Afrique par des acteurs extérieurs et des investisseurs soucieux uniquement d’extraire les ressources naturelles africaines. (voir le Huffington Post)

‘Nous avons vu que pendant la période coloniale, il était très facile de venir et de prendre les ressources, de payer les dirigeants et de repartir… Nous ne voulons pas d’un nouveau colonialisme en Afrique’, a déclaré Mme Clinton à Lusaka. ‘Lorsque les gens viennent en Afrique pour investir nous leur souhaitons de réussir dans leurs affaires mais aussi de faire le bien… Nous ne voulons pas qu’ils sapent la bonne gouvernance en Afrique’, a-t-elle ajouté. La secrétaire d’Etat américaine n’a pas nommément cité la Chine, mais comme l’ont confirmé par la suite certains de ses conseillers à des journalistes, elle voulait souligner que les pays africains devraient se méfier de la Chine et exiger des standards élevés de la part des investisseurs. Ainsi donc, les Etats-Unis sont préoccupés par les pratiques et l’assistance étrangère chinoise en Afrique et le fait que celles-ci ne seraient pas toujours conformes aux normes de transparence et bonne gouvernance internationalement acceptées.

Les commentaires de Clinton sur la ‘nouvelle colonisation’ chinoise et l’offre des Etats-Unis comme meilleur partenaire pour aider les pays africains à s’améliorer généreront des réactions diverses chez les différents observateurs, y compris les dirigeants et investisseurs africains et chinois. A tort ou à raison, pour certains des afro-sceptiqes, les remarques de Clinton sont hypocrites. Comme politicienne occidentale, il lui manque le droit moral de formuler de tels commentaires à propos d’acteurs extérieurs, compte tenu des pratiques de politique étrangère et des priorités des Etats-Unis et de l’Europe en Afrique au cours des années.

Les dirigeants chinois peuvent fulminer à propos de ses commentaires qui semblent impliquer que la Chine n’investit pas sur le long terme mais n’est intéressée qu’à investir dans la frange étroite de l’élite africaine. Les dirigeants chinois peuvent répliquer que leurs nombreuses visites sur tout le continent au cours des cinq décennies écoulées, les nombreux projets d’infrastructure et d’investissements commerciaux dans de multiples secteurs de l’économie africaine sont la preuve d’un intérêt profond et large, qui s’inscrit dans la durée. Ce que Clinton ne semble pas reconnaître.

Quelle que soit la façon dont on choisit d’interpréter les commentaires de Clinton ses audacieux conseils aux dirigeants africains sont impressionnants. En fait, ses préoccupations concernant la gouvernance politique et économique de l’Afrique sont dignes d’éloges. Néanmoins, de nombreux observateurs des relations internationales africaines auraient souhaité qu’elle fasse preuve de la même sollicitude à propos des pratiques de politique étrangères d’autres agents extérieurs, y compris l’assistance et les pratiques d’investissements américains en Afrique. On est tenté de demander : pourquoi les Etats-Unis sont-ils si préoccupés par le rôle de la Chine en Afrique ? La Chine est-elle le seul ‘chenapan’ dans la ville ? Certains acteurs occidentaux ne sont-ils pas coupables des mêmes activités en Afrique ? (Deborah Brautigam pose les mêmes questions dans son livre ‘The dragon gift : the real story of China in Africa)

Il est évident qu’il y a beaucoup à critiquer dans les pratiques chinoises en Afrique et le bilan de la Chine dans le domaine des droits humains. Autant sur son propre territoire qu’en Afrique, il y a beaucoup de choses à améliorer pendant que les dirigeants chinois cheminent timidement et avec inconstance dans le sens d’un partenariat africain responsable. Mais, à mon avis, les commentaires de Clinton doivent être placés dans le contexte plus large de l’évolution du discours sur l’ascension de la Chine sur la scène globale, en particulier en ce qui concerne son engagement croissant dans les pays africains au cours de la dernière décennie.

Il est certain que les relations sino-africaines, aux multiples facettes, sont complexes. Toutefois, dans les discours de nombreux observateurs, y compris les politiciens et les intellectuels occidentaux, il y a une tendance à réduire la politique sino-africaine à dire « La Chine c’est ce qu’il y a de pire » ou « La Chine c’est ce qu’il y a de mieux ». Avec une approche aussi réductionniste, certaines questions importantes restent dans l’ombre et plus encore, les intentions réelles de certains commentateurs sont obscurcies. Par exemple, les dirigeants chinois et les médias s’efforcent de présenter une vision en rose des relations sino-africaines, basées sur l’amitié et le bénéfice mutuel. Et alors que certains journalistes africains et hommes d’affaires locaux sont beaucoup plus sceptiques, certains dirigeants africains ont une vision positive concernant les bénéfices d’une relation étroite avec la Chine (BBC survey)

Il est important de noter que les remarques de Clinton à Lusaka sont de la même veine que ceux des médias et des politiciens occidentaux concernant les relations sino-africaines, qui sont généralement négatives. La Chine a été décrite comme un ‘donateur voyou’, qui offre de ‘l’aide toxique’ aux Africains. Dans un des câbles révélés par Wikileaks à la fin de l’année dernière, l’ambassadeur américain Johnnie Carson a décrit la Chine comme un ‘compétiteur économique très agressif et pernicieux en Afrique,… dépourvu de morale.’ (voir le blog de la BBC.co.uk) Est-ce là vraiment tout ce qu’il y a dire sur les relations sino-africaines ?

Certains, sinon la majorité des politiciens occidentaux, suite aux conclusions hâtives et (parfois) aux manifestations d’ignorance de l’impact réel de l’engagement de la Chine en Afrique, ’ font état de l’expansion agressive des intérêts chinois dans les sociétés et les pays africains, en même temps que leur collaboration avec des élites locales autocratiques et les despotes, avec une hypocrisie qui porte les marques de l’amnésie… On serait dès lors tenté de se demander si le souci exprimé n’a pas beaucoup plus à voir avec les intérêts occidentaux qu’avec le bien-être des peuples africains, compte tenu du fait que ce que nous voyons aujourd’hui n’est rien de nouveau ni dans la forme ni dans les effets’ (Henning Melber, 2007 p.6)

Ceci ne signifie pas que l’on ne peut critiquer certaines pratiques stratégiques chinoises en Afrique, simplement parce les commentaires sont le fait d’acteurs occidentaux. Mais il est certain que la légitimité du propos dépend des intérêts sous-jacents de celui qui critique. Il n’est pas réaliste de supposer que la politique étrangère et l’aide au développement chinoises sont plus motivées par les intérêts de la Chine que dans le cas des autres pays.

On peut accepter que ces critiques se fondent sur le souci du bien-être des populations africaines, mais l’auto-légitimation de ce discours, au travers de la rhétorique « on se soucie des Africains » ne peut être un motif crédible pour s’opposer aux pratiques chinoises en Afrique. L’expérience historique, qui montre que les préoccupations humanitaires de l’Occident sont opportunistes et liées à des intérêts stratégiques, détermine la crédibilité de toutes ses voix officielles qui maintenant articulent leurs préoccupations à propos de l’impact possible de ces ‘nouveaux’ acteurs en Afrique, en particulier la Chine.

Clinton a justement souligné que’ l’assistance étrangère de la Chine et ses pratiques d’investissements n’ont pas toujours été conforme aux normes internationales de transparence et de bonne gouvernance.’ En effet, la Chine a fort à faire pour rationaliser et améliorer ses engagements aux multiples aspects dans les pays africains, mais elle n’est pas la seule dans son cas. Les Etats-Unis (et d’autres acteurs occidentaux y compris les banques multinationales et les compagnies pétrolières) ont eux aussi à examiner et à réviser leurs pratiques. Des pays pauvres comme l’Egypte et l’Ethiopie ne sont –ils pas les récipiendaires de l’aide américaine depuis des années ? N’est-il pas vrai que les considérations de sécurité énergétiques prévalent sans considération de la bonne gouvernance dans le cas des relations du gouvernement américain et de la Guinée équatoriale ? Sont-ce là des pratiques compatibles avec la bonne gouvernance ?

On pourrait dire que les objectifs et intérêts stratégiques de la Chine diffèrent peu des autres acteurs extérieurs prêts à s’impliquer en Afrique, contrairement à ce que Clinton essaie de nous faire accroire. Une analyse plus approfondie et soigneuse des relations sino-africaines révèlerait peut-être que la Chine mène sa politique de manière apparemment similaire mais aussi de façon étonnamment différente.

Une fixation excessive sur le ‘particularisme chinois’ et une façon de légitimer ses propres intérêts et objectifs stratégiques en Afrique n’est pas une démarche à suivre. De telles mises en garde seraient plus crédibles pour les Africains si les Etats-Unis et d’autres acteurs extérieurs mettaient leurs affaires en ordre. A défaut, ces critiques vont non seulement faire fulminer certains observateurs, en considérant les intérêts sous-jacents de ceux qui critiquent, mais peut aussi enhardir la Chine.

Ceci dit, les Africains ne devraient avoir aucune illusion quant aux objectifs de la Chine des Etats-Unis ou de l’Union européenne dans leur pays. Les Chinois, comme tous les acteurs extérieurs, agissent de façon ‘réaliste’, c'est-à-dire qu’ils servent leurs propres intérêts. Mais précisément parce que la Chine agit selon ses propres intérêts et que pour des raisons historiques elle ne peut appliquer ces stratégies de sauveur à la manière dont l’Occident légitime ses interventions en Afrique, il y a un potentiel crédible pour un grand partenariat entre les Chinois et les Africains. Les Africains doivent débloquer ce potentiel.

L’Afrique ne peut pas se permettre de laisser aux Chinois dicter les termes. Ces termes doivent être édictés par nous. Nous n’avons nul besoin d’être mis en garde ou que des acteurs intéressés nous fassent la leçon avant d’agir. La Chine est réelle. Il est temps de demander ce que l’Afrique fait à propos de la Chine et non pas ce que la Chine fait ou ne fait pas en Afrique.

* Issac Odoom est diplômé de l’université d’Alberta au Canada.
Contact : [email][email protected] Texte Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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