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Cinq pays sur dix que compte la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC), sont confrontés à de conflits internes. Il s’agit là des crises récurrentes qui ont fait de l’Afrique centrale " le ventre mou " du continent. Tourner cette page exige un véritable courage politique pour dégager les insuffisances et proposées des démarches politiques qui prennent en compte les aspirations des peuples de la sous-région, les mutations qui caractérisent l’environnement régional et international.

Au moment où s’ouvre le sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale, à Kinshasa, sur la crise tchadienne (le 10 mars 2008), les pays de l’Afrique centrale doivent se sentir interpellés. Sont concernés par cette rencontre, l’Angola, le Burundi, le Congo - Brazzaville, le Gabon le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la Guinée équatoriale, Sao Tomé et Principe et la République démocratique du Congo.

Voilà plus d’une décennie que cette sous-région d’Afrique est confrontée à de graves crises dont les ondes du choc ont retenti sur tout le continent. Les crises les plus importantes sont celles qui ont frappé la République démocratique du Congo, le Congo, le Burundi. Si le Rwanda n’avait pas quitté la CEEAC, on y aurait ajouté les massacres de 1994 qui ont ébranlé ce pays et ont eu des effets d’entraînement considérables dans la région de l’Afrique centrale et celle des Grands Lacs. Par ces temps qui courent, le Cameroun et le Tchad retiennent l’attention de tous les observateurs. D’ailleurs, la "Bataille de Ndjamena" fonde justement la raison principale de ce sommet extraordinaire de la CEEAC à Kinshasa.

Bien entendu, l’on serait incomplet si l’on n’épinglait pas le coup de force qui devrait intervenir en Guinée équatoriale. Un groupe de mercenaires devrait y perpétrer un coup d’Etat. Pour preuve, Malabo est en état d’alerte tant il se dit qu’un autre groupe de mercenaires s’apprêterait à attaquer Malabo pour libérer l’un des leurs détenu dans ce pays.

Des conflits récurrents qui fragilisent ainsi l’Afrique centrale, pourtant si riche, et déstabilisent les institutions nationales. Pourquoi ? Des causes endogènes et exogènes expliquent cette situation.

Quatre causes externes, trois internes

Les maux qui rongent l’Afrique centrale peuvent être regroupés en quatre, au plan interne. L’Afrique centrale est otage du «protectionnisme politique », d’une «absence d’une classe moyenne politique », d’une « mauvaise justice distributive », et de la « montée en puissance de l’ethnicisme ».

Premièrement
« Voir Bruxelles, Paris, Lisbonne et mourir ». C’est en ces termes que l’on peut résumer la première cause, pour soutenir qu’à plusieurs reprises les décisions ne se prenaient pas à Libreville, à Brazzaville, à Kinshasa ni à Malabo ou à Luanda, mais dans ces villes européennes qui ne sont autres que les capitales des anciennes métropoles. L’histoire de ces pays africains s’écrivait ailleurs, violant même le serment de ces grands africanistes de la sous – région. En l’occurrence Lumumba qui disait : « L’histoire du Congo devra être écrite au Congo par des Congolais ». Par extension, « l’histoire de l’Afrique devrait être écrite en Afrique par des Africains ». Ainsi, la guerre froide collait tant à la peau des Etats d’Afrique centrale qu’ils sont encore victimes de ce protectionnisme politique. C’est d’un.

Deuxièmement
L’Afrique centrale souffre de l’absence de cette « classe moyenne politique » indispensable, comme en économie, pour faire le lien entre l’élite et la masse populaire. Il y a là, en quelque sorte, comme un fossé. Partant, les démarches politiques sont souvent mal relayées et mal comprises. Ce qui a été à la base des premiers soubresauts qui ont émaillé les premières années de l’après-indépendance. De nombreux pays de l’Afrique centrale ont manqué de cadres politiques moyens au regard d’un système scolaire colonial emmuré.

Mais, troisièmement, les choses deviennent plus complexes lorsqu’il s’agit de partager le « gâteau national ». L’élan égocentrique supplante le sentiment de solidarité nationale. D’où cette mauvaise justice distributive qui a suscité de nombreuses frustrations.

Quatrièmement
Les frustrations découlent également de la " montée en puissance de l'ethnicisme ". Ainsi sont nés des castes, des roitelets, l’atavisme, dénaturalisant ainsi la stratification sociale, l’ascension politique normale. Nous assistons par conséquent aux élans de conservation du pouvoir, à la résistance au changement et à la militarisation des régimes par la création des « armées prétoriennes » à base tribale ou régionale.

Toutefois, l’Afrique centrale est l’objet des convoitises à cause de ses richesses incommensurables et encore inexploitées. Il y a d’abord l’Eau. La Rd Congo, pour ne citer que ce pays, dispose du deuxième grand fleuve du monde, en termes de débit, après l’Amazone au Brésil. Et à chaque minute, elle perd 40 mille m3 d’eau douce. Un don de Dieu qui « énerve » plusieurs pays.

En plus de l’eau, il y a la forêt avec e Bassin du Congo, l’un des plus importants du monde que possèdent les deux Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale. Enfin, il y a les minerais et les matières premières : or, diamant, uranium, cuivre, pétrole, gaz…

Une forteresses prenable

Tout ceci fait de l’Afrique centrale une forteresse. Malheureusement, une forteresse prenable. Les différentes crises évoquées ici et là en sont les preuves indiscutables. Les causes internes ont laminé tous ces pays jusqu’à faire de l’Afrique centrale la « grande muette » du continent. Jamais, cette partie d’Afrique ne s’est pas manifestée de façon pragmatique pour faire entendre sa voix et faire accélérer les différentes initiatives levées au niveau du continent, même en ce qui concerne l’intégration sous-régionale. Les pays de la sous-région évoluent dans une sorte de vase clos, quasiment en autarcie se contentant des privilèges des liens coloniaux. Mais en réalité otages de ce protectionnisme politique dénoncé dans les précédentes lignes.

C’est dans ces conditions que la RD Congo a été désillusionnée, descendue en un mouvement à deux temps. Ce pays pourtant disposait de tous les atouts pour assumer le leadership de la région.

L’on parlerait d’un autre langage du Tchad aujourd’hui, si l’armée française n’avait pas fourni la logistique nécessaire. Il n’y a eu aucune intervention de la CEEAC. Bien plus, comme pour nous donner raison, le Sénégal patronne ce 13 mars à Dakar, avec la probable réconciliation entre le Tchad et le Soudan. Disons, entre Déby et El Bechir (les deux chefs d’Etat ont signé un accord de non agression dans la capitale sénégalaise, sous l’égide du président Wade).

Aujourd’hui, l’Afrique centrale est à la recherche d’un leadership fort (…)

Que faire ?

Evidemment, la première chose consiste à faire une bonne lecture de cette crise tchadienne qui a regroupé les Etats de la CEEAC le 10 mars à Kinshasa. Ceci exige un véritable courage politique pour dégager les insuffisances et proposées des démarches politiques qui prennent en compte les aspirations des peuples de la sous-région, les mutations qui caractérisent l’environnement régional et international.

Cette analyse devrait incontestablement amener les dirigeants des pays membres de la Communauté à couper le cordon ombilical avec les anciennes métropoles pour élever les relations entre Etats au niveau de l’acception moderne des termes des relations internationales. De s’appuyer sur la bonne gouvernance pour combattre la pauvreté et réduire les frontières de l’ignorance. De renforcer les capacités des partis politiques en tant qu’écoles de la vie, de l’excellence et d’un patriotisme tous azimuts. Enfin, consolider davantage les processus de démocratisation dans le but de disposer des institutions nationales fortes et dépersonnalisées, soutenues par des Armées et Polices réellement nationales, mais socles des institutions républicaines.

Les réflexions sur la crise tchadienne constituent une opportunité cruciale pour que l’Afrique centrale se réveille. Quelle ne soit plus « la grande muette », moins encore le ventre mou du continent noir.

* Freddy Monsa Iyaka Duku est le directeur de publication du quotidien conglolais Le Potentiel

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