Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

Quelle que soit l’issue des pourparlers et des pressions diplomatiques, une page d’histoire se tourne au Zimbabwe : Robert Gabriel Mugabe, héros de la lutte de libération, dirigeant exemplaire durant les premières années de son règne avant de se transformer en dictateur atrabilaire a perdu le pouvoir quasi absolu qu’il exerçait depuis 1980. Même si la Commission électorale tarde à annoncer le résultat définitif des élections, l’évidence s’est déjà imposée : l’opposition, menée par Morvan Tsvangirai, le leader du Mouvement pour un changement démocratique, l’emporte avec une marge telle qu’aucune fraude ne pourrait plus rogner.

Contrairement aux prévisions, l’entrée en lice d’un troisième homme, Simba Makoni, ancien Ministre des Finances, issu du sérail, n’a pas éparpillé les votes de l’opposition, mais divisé le camp présidentiel lui-même, ce qui explique la marge d’avance considérable dont disposerait Tsvangirai. Cet ancien syndicaliste, maintes fois maltraité, injurié, battu par les nervis du régime a démontré qu’il n’était pas seulement, comme le disait la propagande officielle, le « candidat de l’opinion occidentale » ou le favori de l’ancien colonisateur britannique, mais l’homme qui symbolisait les espoirs de renouveau et de mieux être d’une population épuisée.

Le raz de marée n’a pas seulement ébranlé Mugabe, il a emporté plusieurs de ses proches : Patrick Chinamasa, le Ministre de la Justice, vaincu dans l’un des bastions du parti présidentiel, la ZANU-PF, ainsi que d’autres piliers du pouvoir, la vice-présidente Joyce Mujuru, le ministre de la sécurité et du territoire Didymus Mutasa, le très puissant ministre de la Défense Sydney Sekeramayi. De telles défaites érodent les appuis dont le président pourrait encore se prévaloir, au sein de l’armée et des forces de sécurité, qui sont demeurés les derniers piliers du pouvoir. Il n’est pas certain qu’une épreuve de force, qui balaierait le verdict des urnes, bénéficierait de l’appui unanime de ceux qui avaient naguère accompagné Mugabe dans son combat contre la minorité blanche.

Le sort à réserver à Mugabe est cependant un enjeu qui dépasse le cadre du seul Zimbabwe. L’Union européenne, par la voix de la présidence slovène, s’est exprimée clairement, appelant Mugabe à quitter le pouvoir. Auparavant, les Occidentaux s’étaient contentés d’appeler à la publication rapide des résultats des élections législatives et présidentielles. A la veille du scrutin, les Européens peu désireux d’attiser la rhétorique nationaliste de Mugabe et des siens, avaient fait preuve d’une grande retenue, se contentant de plaider en faveur d’élections vraiment démocratiques. On peut supposer que si Mugabe finit par quitter le pouvoir, les mesures d’embargo qui avaient privé de visa les dirigeants du Zimbabwe et durement pénalisé la population elle-même finiront par être levées.

Du côté africain, l’issue de cette épreuve de force est suivie avec crainte et attention. En effet, les voisins du Zimbabwe redoutent un scenario à la kenyane, qui se solderait par des affrontements violents entre partisans des deux rivaux. Si Mugabe lui-même ne craint pas le recours à la violence (il l’a montré en réprimant implacablement une révolte en pays Matabele, au début des années 80) la victoire de l’opposition paraît trop évidente pour pouvoir aisément être confisquée et la volonté de sanctionner le pouvoir sortant semble avoir été partagée par tous les groupes ethniques du pays qui ont été, il faut le dire, également touchés par la misère et la récession…

Quoique vaincu, le vieux lion n’a cependant perdu ni toutes ses griffes ni toute sa crinière : Mugabe, l’homme qui a osé tenir tête aux Britannique, qui n’a pas hésité à confisquer les terres des fermiers blancs, qui a envoyé son armée au Congo mettre en échec l’invasion rwandaise et ougandaise, garde une popularité certaine en Afrique australe, où l’opinion n’apprécierait pas que le doyen des chefs d’Etat africains soit chassé du pouvoir dans l’humiliation. C’est ce qui explique la prudence du président sud africain Mbeki, le silence attentiste des autres capitales où l’on souhaite une solution négociée qui verrait le vieux chef s’effacer sans perdre la face et son rival triompher sans vengeance ni ostentation.

* Colette Braeckman est l'envoyée spéciale du quotidien belge Le soir au Zimbabwe, pour couvrir les élections.

* Veuillez envoyer vos commentaires à ou faire vos commentaires en ligne à l’adresse suivante www.pambazuka.org