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Il y eut (il continue d’y avoir) Hiroshima/Nagasaki. On a vécu, avant, ce que Jacques Deplechin appelle l’esclavage pré-atomique. Aujourd’hui encore, une forme de « négationnisme » structure le monde, qui a engendré les tentacules d’une pieuvre éternelle : colonisation, apartheid, clochardisation, chômage, compétitivité, ajustement structurel, globalisation. » Des maux face auxquels tout est fait pour les voix qui disent non s’éteignent.

6 août 1945, dans la matinée la première bombe atomique est larguée sur Hiroshima. Il y a eu des survivants. Encore aujourd’hui, les survivants parlent. Mais est-ce possible de parler de Hiroshima de la manière dont ceux qui sont morts se sont sentis mourir à petit feu suite à un flash qu’ils ne pouvaient pas s’expliquer ? Certains, nous savons par les survivants, se sont demandé comment des humains pouvaient infliger de telles souffrances à d’autres humains. Un écho des humains kidnappés pour être ensuite vendus et traités comme des marchandises.

De retour à Hiroshima. Parmi les membres d’une équipe de sauvetage de l’armée japonaise arrivée à pied d’œuvre quelques heures après l’explosion, des témoins ont pu rapporter ce qu’ils ont vu et ressenti. Est-ce possible de se rappeler ces témoignages, tels qu’ils ont été ressentis ? (1) À voir l’histoire du monde depuis Hiroshima on est obligé, en conscience, de dire non. Car, longtemps avant Hiroshima/Nagasaki s’était mis en route un processus de liquidation de l’espèce humaine. Cette liquidation s’est poursuivie, avec les atermoiements usuels, avec l’invention et le maintien d’un vocabulaire visant à promouvoir l’oubli d’une part et, l’acceptation, d’autre part, de ce qui en conscience était/est inacceptable.

En reconstruisant l’histoire de l’humanité, il importe de voir cette histoire et cette humanité comme un tout. Les Amérindiens et les Africains « découverts », « civilisés » se considéraient membres à part entière de l’humanité. Vu sous cet angle, les points d’exclamation en forme de champignons atomiques au-dessus d’Hiroshima/Nagasaki terminent une phrase/phase/histoire dictée par une volonté d’un groupe de façonner le monde à son image. À Hiroshima/Nagasaki, il y a eu des morts sans sépultures, vaporisés par la violence et la chaleur de l’explosion. Pour certaines victimes seules restaient l’ombre imprimée en contre-jour sur le mur à côté duquel elles se trouvaient au moment de l’explosion. Il y a eu ceux dont la peau tombait en lambeaux, demandant à boire, et tués sur le coup dès la première gorgée. Saura-t-on jamais ce qui fut ressenti, entre le soulagement de se voir donner à boire et la mort foudroyante, libératrice d’une souffrance indescriptible, indicible ?

À Hiroshima/Nagasaki, tout comme sur les rivages orientaux de l’Atlantique, quelques siècles auparavant, la même phrase a été dite par des représentants de l’espèce humaine : « comment des être humains peuvent-ils faire ceci à d’autres êtres humains ». Seul « ceci » a changé : réduit à l’esclavage pré-atomique d’un côté et réduit à l’esclavage atomique de l’autre. Une autre forme de négationisme s’est établie cherchant à nous faire croire que l’esclavage atomique n’existe pas.

On parle beaucoup de la mémoire et, par extension, de l’obligation de ne pas oublier. Après la « découverte » d’Auschwitz, on a entendu : « Plus jamais ça ». Un slogan qui prit corps, en partie, suite au Tribunal de Nüremberg. Un tribunal qui fut officialisé le 8 août 1945. À la tête de ce tribunal, les Etats-Unis d’Amérique qui, le 9 août 1945, larguèrent une autre bombe atomique sur Nagasaki. Il est difficile de ne pas se demander s’il s’agissait d’une façon d’effacer la mémoire avant même qu’elle ne prenne corps pour voir d’un même regard, d’une même conscience, les esclaves et les victimes de la modernisation de l’esclavage, aujourd’hui appelé capitalisme. Un système qui a engendré des sous-systèmes aux noms divers, fonctionnant comme les tentacules d’une pieuvre éternelle : colonisation, apartheid, clochardisation, chômage, compétitivité, ajustement structurel, globalisation.

La croissance de la pieuvre n’est possible qu’avec l’extinction de l’humanité. La globalisation, nom innocent de cette pieuvre, verse des larmes de crocodile en entendant parler de l’extinction des pygmées. Ces larmes aussi humanitaires qu’elles puissent être ne changeront jamais la nature prédatrice d’un système fondé sur la liquidation des membres les plus vulnérables de l’humanité. Ne faudrait-il pas se poser des questions dérangeantes pour savoir si la globalisation n’est pas finalement le triomphe du rêve de gens comme Hitler ?

Les gens qui spéculent à partir des places boursières ont introduit un langage qui, en apparence, humanise la prédation en parlant des marchés comme s’il s’agissait d’être humains, comme le montre la une des manchettes des journaux : « les marchés se sont calmés », « les marchés s’inquiètent », « les marchés s’effondrent ». Ainsi, comme il a déjà été dit, le capital, essence même de l’inconscience, commence à être habillée de mots faisant penser à la conscience, tout en étant porteuse de maux nous incitant à faire un culte à l’inconscience.

Les spéculateurs boursiers se sentent-ils comme membres à part entière de la même humanité que celle dont se réclament les pygmées, les Dalits, les Tsiganes, les chômeurs, les handicapés, les enfants de la rue, les habitants des bidonvilles, des favélas, les violées, les chercheurs d’emploi/de vie, les sursitaires de la désertification, les affamés dans un monde produisant des surplus agricoles, les malades mourant sans soins de santés parce que endettés jusqu’au cou.

Le monde respectable des spéculateurs n’a rien à voir, aux yeux de leurs employeurs, avec le monde des pygmées. Mais les pygmées ne sont-ils pas les meilleurs connaisseurs de ces forêts que les bien-pensant, élites bénéficiaires de la destruction de l’humanité, prétendent sauver ? Oui, mais à une condition : les forêts valent, dans leur monde, beaucoup plus que les pygmées. Ils ne le disent pas, mais n’en pensent pas moins : « sauvons les forêts et que les pygmées crèvent ».
Longtemps avant que les intégristes de la technologie « über allés » ne commencent à s’incliner devant le verdict de leurs instruments, les gens le plus en harmonie avec la nature, du pôle nord au pôle sud, dans les steppes, les forêts, les déserts avaient sonné l’alarme de l’extinction. Pour certains, l’extinction fut un génocide, difficilement admis par les croisés de la supériorité de la civilisation occidentale. Une supériorité fondée, construite, défendue sur base de principes qui disaient/disent, entre autres, que la force prime tout, quelle que soit l’origine de cette force. Les pygmées de partout, vivant des forêts, dans les forêts, avec les forêts sont en voie d’extinction, selon les media. De ces mêmes media, le spectateur aura un bref résumé de la dernière tranche de l’extinction où les voisins des pygmées à la recherche de terres cultivables seront présentés comme les coupables. Rien, ou si peu, n’est dit sur les responsabilités de ceux qui ont façonné comment il faut penser la question de l’extinction de la vie et de toutes les valeurs de solidarité exigées par la conscience d’appartenir à une seule humanité.

Dans un monde construit autour du respect du plus fort, qui défendra les pygmées comme s’il s’agissait de sœurs et frères ? Les lamentations venant des organisations humanitaires, malheureusement en rappellent d’autres en d’autres temps.

La liquidation de l’humanité, de son histoire, de ses membres les plus vulnérables, des plus pauvres s’est poursuivie comme on peut le constater en prêtant l’oreille aux histoires qui viennent de Fukushima, des forêts équatoriales d’Afrique, des habitants de Palestine, Haïti, Somalie, Lybie, des bidonvilles des mégalopoles du Sud, des enfants de la rue, des enfants soldats, des émigrés. La solidarité avec les gens âgés est systématiquement découragée grâce à une mentalité productiviste fixée sur « les fondamentaux » (le « bottom line » en anglais) de la soumission à la violence contre le genre humain. Ce processus de soumission à l’inconscience n’est pas ressenti comme tel car la destruction de la conscience de l’humanité semble, par endroits, avoir dépassé le point de non retour.

Serait-il que l’injonction « Plus jamais ça » est restée inopérante par incapacité/refus de nommer tous les responsables des Crimes contre l’Humanité, aussi puissants soient-ils ?

Entre temps, les médias nous montrent une Afrique qui se meurt par les maux considérés comme usuels, acceptables, dès qu’il s’agit de l’Afrique : la faim, la pauvreté, les conflits, les viols, des maladies facilement curables en d’autres lieux. Ces maux ont une histoire que les médias contrôleurs des informations ne peuvent, en aucun cas, conter. Une telle histoire est prohibée car elle court le risque de montrer que l’histoire, l’humanité doivent aussi disparaître, et pas seulement les quelques gens et groupes de gens qui sont montrés du doigt comme des ennemis.
Régulièrement, on entend parler de l’extinction d’espèces naturelles, de langues, de groupes humains dans un contexte dominé par la recherche persistante de croissance d’un système responsable de la liquidation de la vie sur la planète. Nous sommes informés de cette liquidation/extinction de l’espèce humaine dans un langage qui nous présente ce fait comme un des petits effets négatifs de l’amélioration des conditions de vie pour tout le monde.

Des langues s’éteignent, mais il y a aussi des voix qui ont toujours été audibles qui aujourd’hui s’éteignent d’épuisement.

Des voix éteintes

Semi-éteintes

En train de s’éteindre crient

Nous sommes là

Nous vivons,

Nous voyons

Nous sentons
Les adressés préfèrent le confort

De ne pas voir

Ne pas sentir

Ne pas vivre
Ils n’ont jamais entendu

Nos voix

Nous les biens meubles

Par la grâce du Code Noir,

Des philosophes, des banquiers, des prêtres, des avocats, des assureurs,

La liste est longue, le message court et facile à mémoriser :

Ne pas voir, sentir, parler, communiquer

Ils ne sont pas humains, sont nés pour nous servir
Sous le Siècle des Lumières

Un obscur siècle

S’il en fut, pour l’Afrique

Nuit sans fin, début sans fin

Lente extermination des codifiés, des codificateurs

Se déclarent surpris par la tournure des choses

S’exclament :
Oh, mais nous ne savions pas —
Non, oui, bon, euh, enfin

Bégaiements typiques de l’inconfort face à la conscience-
C’est vrai vous vous êtes plaints, peut-être.

C’est à peine si on pouvait vous entendre

Ou vous comprendre

Personne ne parlait votre langue, parmi nous…
Écoutons les ancêtres d’Ota Benga et de nous tous :
Vous nous aviez décrété « biens meubles »

DONC

Par définition incapables

De parler une langue

Seulement capables

De faire du bruit

Quand l’Afrique

Fut reconnue berceau

De l’humanité, instiguant

Les descendants des codificateurs

Du Code à s’acharner à faire de

L’Afrique la tombe de l’humanité

VRAIMENT

Vous nous prenez pour

Des imbéciles.

Un des descendants de ceux que vous aviez

Décrétés non humains avait été sélectionné, boursier,

Pour être formaté

Dans la science de la soumission

Mais
Cheikh Anta Diop était

De celles/ceux qui, depuis

Des millénaires continuaient de faire naître

La conscience de l’humanité

Depuis les temps les plus reculés

De la civilisation dans la vallée du Nil
KMT

Le pays des noirs

Aujourd’hui dit Égypte

Les négationnistes de l’humanité

S’organisèrent pour mettre Cheikh
Anta Diop en échec
Hélas,

Comme tout projet négationniste bien ficelé

Nombreux sont celles/ceux qui,

Nés et abreuvés aux sources

De la Civilisation, se sont laissés

Ficelés
Par ceux/celles qui sont passés

Maîtres dans la recherche de la création

Du paradis sur terre
Nombreuses sont les voix qui continuent de dire,

Comme les gens de la Sphère au temps

Du triomphe des gens de la Pyramide,

Que ce paradis de minorité

Devient de plus en plus infernal

Pour la croissante majorité
fidèle à l’humanité
solidarité résistante
à la compétitivité
humanitariste charitable excipient
d’un poison sans nom distillé par des faussaires
cherchant

A liquider l’humanité

(À suivre -23 août 2011)

NOTE (1) Voir le film documentaire (15 :56) de Kathy Sloane. Witness to Hiroshima. www.witnesstohiroshima.com On y voit comment un citoyen japonais se fait l’écho en 12 images de ce qu’il a vu et senti à Hiroshima quelques heures après l’explosion de la bombe atomique.
Cette référence s’inspire directement du roman de Ayi Kwei Armah, KMT- In the House of Life –An Epistemic Novel, Perankh Publishers, Popenguine (Senegal) 2006.

* Jacques Depelchin est Directeur exécutif de Ota Benga, Alliance internationale pour la paix en RD Congo

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