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Combien sont t-ils d’intellectuels africains en exil ? Difficile de répondre. Néanmoins, «l’Ile-de-France compte plus de médecins béninois que le Bénin» observe Habib Ouane, coordinateur du rapport 2007 de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) sur les pays les moins avancés (PMA). Selon le professeur Edward S. Ayensu, président du conseil scientifique et industriel du Ghana, «le continent africain ne se développera jamais en l’absence des intellectuels africains». Dans le journal français "Quotidien" du vendredi 20 juillet 2007, Christian Losson écrit : « …l’exode des cerveaux se poursuit à un rythme effréné. Haïti, Cap-Vert, Samoa, Gambie et Somalie ont vu ces dernières années plus de la moitié de leur élite siphonnée par les pays riches. En 2004, un million de personnes sont parties en quête de meilleures conditions de vie et de travail. Soit 15 % des diplômés du supérieur de ces pays ». Alors qu’est-ce qui fait courir les cerveaux africains au-delà de leur continent ?

Les raisons sont nombreuses. Absence de politique efficace de leur maintien en place ; manque ou faible financement de la recherche (moins de 1% du PIB est consacré à la recherche) ; absence ou inexistence d’infrastructures pour conduire les recherches… Ce diagnostic posé à la Conférence sur l’amélioration de la participation de l’Afrique à la science et au développement, organisée du 3 au 7 mars à Addis Abeba par l’UNECA (Commission économique des Nations unies pour l’Afrique), appelle des conduites à tenir. La première selon M. Luc Gnacadja, Secrétaire exécutif de la Convention sur la lutte contre la désertification, est « la prise de conscience de chaque Etat face aux enjeux que représentent la science et la technologie pour le développement de l’Afrique ». Certains pays en sont conscients, mais d’autres traînent encore les pas.

En effet, pour contrer la fuite des cerveaux, le gouvernement guinéen expérimente un système de formation post universitaire et doctorale. Il vise à maintenir les scientifiques et les postulants à la recherche les deux tiers du temps en Guinée et le reste auprès de l’institution partenaire à l’étranger. Selon El Hadj Ousmane Souaré, ministre guinéen de l’Education nationale et de la Recherche scientifique, « cette stratégie a l’avantage de faciliter l’insertion du candidat dans son environnement, ensuite elle limite son séjour à l’étranger, ce qui réduit les velléités de rester en dehors de son pays».

Une autre initiative est celle de l’Algérie, qui se base sur la délocalisation d’un certain nombre d’activités pour arrêter l’exode des compétences vers le Nord. L’Algérie expérimente déjà cette proposition qui a permis de mobiliser 16 000 chercheurs de corps et de rang magistral. Ainsi, plus de 5 000 thèses avec plus de quinze brevets ont été déposés, selon le professeur Souad Bendjaballah, ministre déléguée chargée de la Recherche scientifique en Algérie, lors d’une communication sur le sujet faite à la Conférence d’Addis Abeba. Le partage des expériences guinéenne et algérienne est le témoignage de la prise de conscience de ces deux Etats, et chaque gouvernement africain devrait s’en inspirer. Hélas, certains pays n’y voient peut-être pas encore les enjeux ! C’est le cas du Bénin, absent à la conférence d’Adis Abeba.
Une équation difficile

La question de la fuite des cerveaux est une équation difficile à résoudre. Au moment où certains pays africains prennent conscience de la menace que représente l’exode des intellectuels africains et mettent en place des stratégies et politiques pour réduire le phénomène, « les Etats Unis qui ont besoin d’ingénieurs offrent gratuitement des visas et autres conditions alléchantes pour leur faciliter le départ », remarque le Professeur Sospeter Muhongo, directeur du Bureau Régional pour l'Afrique du Conseil International pour la Science (ICSU). Il en est de même pour certains pays d’Europe. La France, depuis l’arrivée au pouvoir du président Nicolas Sarkozy, a peaufiné sa politique de « l’immigration ciblée » qui apparait aux yeux des intellectuels, cadres et chercheurs africains comme une aubaine pour aller travailler en France. Les cerveaux africains sont
donc dans le dilemme.

En attendant de trouver une solution à la fuite des cerveaux, celle trouvée est transitoire. Il s’agit de la « Circulation des compétences», une idée pour laquelle milite la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement. Selon le Professeur Muhongo , la « Circulation des compétences» consiste à employer dans les grands projets en Afrique les cadres africains de la diaspora qui ne souhaitent pas rentrer dans leur pays.

Mais qu’il s’appelle fuite de cerveaux ou circulation de cerveaux, la présence des intellectuels africains est plus que nécessaire pour guérir le continent africain malade de l’absence de ses intellectuels. «Il faut donc mettre en place des programmes de compensations, financiers ou techniques», comme le soutient Habib Ouane. « Sinon, les vagues d’émigration n’en sont qu’à leurs prémices » conclut-il.

* Hippolyte Djiwan est un journaliste béninois

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