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La Cour constitutionnelle du Gabon a validé les résultats de l’élection présidentielle du 30 août, qui portent Ali Ben Bongo au pouvoir. Au-delà des incidents, des accusations de tripatouillages et des violences qui ont marqué le processus électoral, le malaise qui découle de l’installation d’un nouveau pouvoir à Libreville découle d’un vice de fond, avec cette gestion des affaires de l’Etat qui passe des mains du défunt père à celle du fils. Car, qu’importe l’habillage démocratique qui a servi à cautionner cette élection, la patrimonialisation du pouvoir qui commence à faire tâche d’huile en Afrique, avec la bénédiction de la France et pour les intérêts bien compris de la «Françafrique», inquiète. Et cela ressort dans les analyses de la presse africaine, passée en revue par Pambazuka.

Après Omar Bongo, Ali Ben Bongo. Après le père, le fils. Quarante ans de présidence paternelle, auxquels seule la mort a pu mettre fin en juin dernier, s’ouvrent ainsi sur une continuité filiale aux allures de dévolution dynastique du pouvoir. L’élection présidentielle gabonaise, du 30 août dernier, laisse ainsi un arrière-goût de cendres qui rend amer à la pensée de ce que pourraient devenir les perspectives de la démocratie en Afrique.

Les 41, 73% qui ont permis à Ali Bongo de succéder à son père ne pèsent rien par rapport au symbole pervers que son élection conforte. On se rend compte que comme une épidémie silencieuse qui se développe, une nouvelle maladie infantile commence à menacer les processus démocratiques en Afrique. Pendant longtemps, le pouvoir a été une affaire de clan ou de tribu. Les alternances voulues et imposées par les peuples à travers les urnes sont venues changer la donne au début des années 1990. Aujourd’hui, suprême ironie de l’histoire, la dévolution du pouvoir retourne à ses «origines» et se déroule dans une cellule plus nucléaire encore : la famille.

La presse africaine de cette semaine regarde les résultats de l’élection présidentielle gabonaise comme l’aboutissement d’un scénario dont les scènes se sont jouées autant au grand jour que dans les coulisses. Une histoire dont la fin se lisait dans le commencement. Surtout que les précédents ne manquent pas et qu’on redoute les répétitions futures. C’est ce que rappelle le journal sénégalais «Sud Quotidien». Dans un article intitulé «Dévolution du pouvoir en Afrique : les héritiers présomptifs arrivent», Madior Fall écrit :

«Après l’ère des pères de la Nation, celle des putschistes galonnés, les conférences nationales, le multipartisme intégral, voici venue l’heure des héritiers présomptifs ! Kabila fils au Congo démocratique, Faure Gnassingbé au Togo hier, Ali Bongo Odimba au Gabon aujourd’hui. Demain, lequel des autres fils de… roi prendra la place du père ? Après le discours de La Baule et ses conférences nationales suscitées, le multipartisme intégral et les alternances démocratiques, la dynastie est en marche en Afrique. C’est l’avènement des fils de chefs.»

Ainsi, tous les regards se tournent désormais vers la cour de ces chefs pour voir, parmi les enfants, qui seront les hommes de demain. «Sud Quotidien» évoque une galerie où on retrouve les images de Mohamed Kadhafi, Hannibal Kadhafi et/ou encore Seif el Islam Kadhafi, en Libye, mais aussi Gamal, le fils du président égyptien Hosni Moubarak, ainsi que Karim, l’aîné d’Abdoulaye Wade au Sénégal. Tous impliqués, à des niveaux importants, dans la gestion du pouvoir, par leur père et en bonne position pour leur succéder.

http://www.sudonline.sn/spip.php?article20274

Il se dessine ainsi, surtout dans le pré carré africain de la France, une formule sécurisée de perpétuation de la «Françafrique». Au Gabon, derrière le paravent de neutralité affiché par Paris, les contradictions et les fautes de langage ont été assez nombreuses et significatives pour forger des convictions. Le fait que les Gabonais s’en sont pris en masse à des intérêts français, dès l’annonce des résultats officieux, montre que leur religion est faite. Analysant ce sentiment «anti-français», Noël Kodia, critique littéraire et essayiste gabonais, écrit dans «Afrik.com» :

« Pour les Gabonais, dont 70% de la population vivent avec moins d’un dollar par jour dans un pays paradoxalement riche, la France apparait ainsi comme complice de la politique antisociale et antiéconomique pérennisée par le père Bongo et que voudrait poursuivre le fils en autorisant les quelques multinationales françaises à travailler dans l’opacité et le monopole (…)

«En se félicitant, quelques jours après le 30 août 2009, du bon déroulement du scrutin au Gabon et en déclarant faire confiance aux institutions gabonaises pour que le processus se poursuive dans le calme, la France n’avait-elle pas dirigé son regard vers Ali Bongo ? Ce dernier n’avait-il d’ailleurs pas été reçu à l’Elysée par le Président Sarkozy en décembre dernier ? (…) Bernard Kouchner (le ministre des Affaires étrangères), en déclarant que la France n’avait pas de candidat au Gabon parce que ce pays est souverain, n’a-t-il pas été en contradiction avec Alain Joyandet (le secrétaire d'État chargé de la Coopération) qui affirmait que son pays n’attendait que la victoire d’Ali Bongo soit confirmée par la Cour constitutionnelle pour reconnaître le nouveau président gabonais ?»

http://gabaodreams.over-blog.com/article-35882924.html

Ainsi, les affirmations du président Sarkozy, au moment des obsèques de Omar Bongo à Libreville, le 16 juin 2009, selon lesquelles la France ne soutenait aucun candidat, ne pouvaient nullement convaincre. Surtout par rapport à un pays dont le défunt président était le parrain de la «mafia françafricaine». Un pays où, pour une population de 1,2 millions d’habitants, on recense 10.000 ressortissants français. Un pays où, également, la Français entretient une de ses plus importantes bases militaires. Un pays où, enfin, Total est roi dans le pétrole, où Eramet investit dans le manganèse et où Areva gère l’uranium.

Tout cela pousse «L’Intelligent d’Abidjan» à penser que « la France a bel et bien pesé, comme partout en Afrique francophone, dans les résultats électoraux au Gabon. Parce que tout simplement, la France a besoin d’Ali Ben Bongo, qu’elle transformera en ‘’outil’’ dynamique pour assurer la promotion de ses intérêts ».

http://news.abidjan.net/article/index.asp?n=341970

Longtemps préparé par son père dont il fut le ministre de la Défense, le 4e président de l’histoir du Gabon a été investi dans des conditions particulières qui pourraient marquer son exercice du pouvoir. Ses 41,73 % de voix lui valent bien une majorité électorale, mais il lui manque cette légitimité que vont lui contester les 51% de votant qui se sont regroupés derrière Pierre Mamboundou (25,88%) et André Mba Obame (25,23%).

Cette majorité sociologique figée dans la contestation fait écrire Dieudonné Zougrana, dans «L’Observateur» du Burkina : «L'opposition gagne la présidentielle, mais perd la présidence». Pour lui, «les deux challengers du nouvel élu forment une majorité. Ils auraient donc pu balancer les suffrages du vainqueur s'ils se mettaient ensemble. Une union capitale d'autant plus qu'ils savaient tous les deux qu'avec ce mode de scrutin (un seul tour) «c'est un coup Ko» (…) Obnubilés par un «anti bongoisme» primaire, le duo « Manboundou-Mba Obame », et d'une manière générale le camp « TSA » (tout sauf Ali) n'a pas su anticiper le danger que représentait ce scrutin où Ali Bongo partait hyper favori, car ayant un nom, la machine électorale et l'argent».

http://www.lobservateur.bf/spip.php?article12334

La dynastie Bongo continue, mais le contexte a changé. L’exercice du pouvoir ne peut continuer à se faire de manière solitaire. Dans le quotidien de Kinshasa «Le Potentiel», Bienvenu Marie Bakumanya note ainsi que «le Gabon s'installe dans une période d'incertitude». D’une part parce que «les Bateke (ethnie des Bongo) ne sont pas majoritaires au Gabon» et que le clan peut souffrir de la fragilité née des contestations post-électorales et des conflits politiques qui ne vont pas manquer de s’installer. Dés lors, poursuit Bienvenu Marie Bakumanya, «la solution passe par la formation d'un gouvernement d'union nationale impliquant même les perdants». Ali Bongo a lancé un appel dans ce sens, en le conditionnant à un adhésion autour du programme qui l’a élu. «Mais, une flexibilité de cette position dans l'intérêt du Gabon n'est pas à exclure», note Bienvenu Marie Bakumanya.
http://fr.allafrica.com/stories/200909040092.html

* Tidiane Kassé est le rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News.

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