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Au pouvoir depuis l’année dernière, les militaires putschistes guinéens qui avaient promis d’organiser des élections législatives et présidentielles dans un délai de douze mois, ne semblent guère pressés de partir. L’échéance de décembre prochain semble de plus en plus illusoire. Incapable de faire face à la crise économique et sociale, enfermée dans une logique d’insécurité et de peur du coup d’Etat, la junte n’hésite pas à recourir à une stratégie longtemps connue en Guinée, celle du complot permanent. Histoire de brandir la menace de «l’ennemi extérieur» pour créer l’union sacrée nationale. Mais les Guinéens ne se laissent pas divertir.

Le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) souffle le chaud et le froid. Il y a deux semaines, le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte, s’en est pris à la presse de son pays, qu’il menace de représailles si elle ne cesse pas ses critiques contre le CNDD. Ce chantage n’est qu’un pas de plus dans le recul de la démocratie et la négation des libertés fondamentales garanties par la Constitution au peuple guinéen.

Dans ce pays où les populations avaient applaudi la prise du pouvoir par la junte, le 23 décembre dernier, à la mort du général président Lansana Conté, on s’interroge de plus en plus sur les intentions des militaires à quitter le pouvoir en décembre 2009, comme ils s’y sont engagés, ou bien si on est parti pour une transition éternelle. Une chose est cependant certaine : plus personne ne doute de l’incapacité de la junte à améliorer le quotidien des populations. Pas plus que les promesses de clarification sur les pages sombres de la répression vécue par les Guinéens au cours de ces dernières années.

Aujourd’hui, il n’est plus question de la mise en place d’une commission nationale chargée d’enquêter sur la répression sanglante des manifestations populaires de janvier-février 2007. Officiellement, ils ont fait plus de 183 morts. Officieusement, on parle du double. Ces mêmes militaires ont déjà oublié avoir promis la création d’une Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) ou la révision du ficher électoral, tout comme la lutte contre la corruption, le trafic de drogue et l’assainissement des finances publiques se mène plus avec des effets de manche, sous forme de procès public mené par le président Camara à la télévision, que dans les formes d’une justice véritable.

Incapable de justifier les espoirs qu’avaient fait naître le putsch de décembre dernier dans la classe politique, la société civile et les syndicats, Moussa Dadis Camara s’est lancé il y a deux semaines dans ce qui ressemble à une manœuvre de diversion. Pointant du doigt un ennemi extérieur, il a fait état de la présence des troupes massées le long des frontières sénégalaise, libérienne et bissau-guinéenne, prêtes à attaquer son pays. Des mercenaires «à la solde des cartels de la drogue», avait-il déclaré sur les ondes de la Radiotélévision Guinéenne (RTG). Le ministre de la Défense, Sékouba Konaté, a réitéré les mêmes accusations quelques jours plus tard, annonçant le déploiement de l’armée guinéenne le long des frontières avec ces trois pays.

Dans les capitales voisines visées, les démentis n’ont pas tardé. En Conseil des ministres, le gouvernement sénégalais annonçait : « Après vérification sur le terrain et des recoupements faits par les services de sécurité, nous avons constaté que ces déclarations sont erronées et dénuées de tout fondement. Le chef de l’Etat sénégalais semblait d’ailleurs d’autant plus surpris par ces accusations de la part de la junte guinéenne, qu’il a été le premier, sinon l’unique soutien des putschistes, quand ils faisaient face à une condamnation générale. Mais sans doute conscient des réactions imprévues qui peuvent de sa frontière sud, le président sénégalais n’a pas hésité à faire un bref déplacement dans la capitale guinéenne, où il a été accueilli en «père» par son vis-à-vis, pour arrondir les angles.

Il n’empêche : l’isolement de la Guinée par rapport à la communauté internationale, depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, n’a fait que renforcer une situation que ce pays a presque vécu durant toute son histoire. De Sékou Touré à Lansana Conté, pour se perpétuer encore aujourd’hui, la Guinée a vécu en vase clos. La nouvelle tension politique instaurée avec les voisins n’a fait que renforcer cette méfiance par rapport à un régime instable. On a ainsi noté les absences du Libéria et de la Côte d’Ivoire au 20e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Union du fleuve Mano qui devait se tenir à la mi-juillet à Conakry. Seul le chef de l’Etat sierra léonais (…) avait fait le déplacement de Conakry, tandis que Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire et Hélène Johnson Sirleaf du Libéria avaient préféré s’abstenir d’honorer de leur présence ce rendez-vous.

Cette thèse de la «menace extérieure» n’a nullement convaincu les Guinéens. Le péril, pour la junte, est plutôt à l’intérieur. Les putschistes n’ont jamais su faire l’unanimité autour d’eux au sein de l’armée guinéenne. Querelle de générations, mais querelles d’intérêts autour d’une junte prise au piège de l’affairisme et de la courtisanerie qui se développe autour de sa base, le camp Alpha Yaya, devenu le centre névralgique du pouvoir. Ainsi, avec la peur du putsch, la supposée « menace extérieure » a été l’occasion idéale pour éloigner les soldats récalcitrants de la capitale Conakry , en les dispersant sur différents fronts. Qui plus est, l’armée a été mobilisée dans une alerte maximale qui l’occupe assez.

Les Guinéens, eux, ne sont guère surpris par une pareille mise en scène. Dans ce pays, on connaît le concept de « complot permanent ». Depuis l’époque du président Sékou Touré, ces alertes ont servi à créer une sorte d’union sacrée autour de la cause nationale, sorte de dérivatif pour faire oublier les difficultés économique, sociale ou politique. On en profitait aussi pour liquider les opposants. Selon des statistiques des organisations de défense des Droits de l’Homme, plus de 50.000 Guinéens ont ainsi péri au Camp Boiro, entre 1960 et sa femeture après la mort de Sékou Touré, en 1984. Le général Lansana Conté non plus n’a pas fléchi dans ce régime de terreur, y ajoutant le laxisme, la corruption et les détournements des deniers publics.

Dans la politique de fuite en avant adoptée par la junte, les mêmes travers dictatoriaux ont vite rattrapé le régime de Moussa Dadis Camara. Sauf que cela ne saurait occulter les conséquences d’une crise économique, financière et sociale sans précédent. Les bailleurs de fonds qui avaient en partie suspendu l’aide non humanitaire après le putsch du mois de décembre dernier, conditionnent la reprise de la coopération au retour à une vie Constitutionnelle normale. A ce propos, nul ne sait de quoi demain sera fait. La seule certitude qui vaille, c’est qu’un pays qui dort sur les deux tiers des réserves mondiales de bauxite, qui abrite d’importantes quantités de fer, de diamants, de manganèse, de cobalt, de pétrole, des métaux rares qui lui valent le surnom de « scandale géologique », sans compter les ressources agricoles et fruitières, ainsi qu’un réseau hydrographique qui le fait désigner comme le « château d’eau » de l’Afrique, un pays avec un potentiel de développement énorme s’enferme dans la misère et la crise.
Pour peu on évoquerait un autre Congo.

* Apha BALDE – ce nom est un pseudonyme utilisé par un Guinéen d’origine, vivant à l’étranger.

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