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Quarante ans après, les première et deuxième génération d’Igbos enlevés à leurs parents et grand parents, ceux qui ont libéré en 1960 le Nigeria occupé par la Grande Bretagne et ont survécu au génocide qui a suivi, ont une fois de plus la tâche et la volonté de restaurer leur ’’souveraineté perdue’’. Pour Hubert Ekwe-Ekwe, «la survie des Igbos représente le triomphe éclatant de l’esprit humain sur les forces sauvages qui pendant 4 ans s’étaient efforcés de les détruire».

Effacer la mémoire d’une nation et d’une terre subjuguées est une préoccupation primordiale pour l’agresseur ou le conquérant. C’est l’occasion de construire un récit fallacieux de possession et de contrôle de la société en question, qui sert à accréditer la fiction de son rôle premier dans le cours de l’histoire.

Le succès durable du livre de Chinua Achebe ‘Things fall apart’ (Ndlr : Le monde s’effondre, dans sa traduction française) réside dans le fait que ce classique non seulement anticipe la prédilection du conquérant, mais pervertit sa victoire à la Pyrrhus. A la fin du roman, les écrits pompeusement désignés sous le nom de ‘traité anthropologique’ du Commissaire de district parlent d’une autre région africaine occupée par l’Europe, la dernière possession de celle-ci. Cette fois, il s’agit de l’Igboland. Ici la direction future de l’histoire ne réside ni avec l’administrateur ni avec le régime d’occupation, ni dans les capitales conquérantes en Europe.

Afin d’identifier la source de la transformation et du changement qui a suivi dans l’Igboland, nous devons examiner la contribution de l’historien Oberika lorsqu’il s’adresse à l’administrateur de l’époque de la vie de son ami et héros du peuple, Okonkwo, qui s’était récemment suicidé. On se souvient que lorsqu’il articule deux phrases qui se fondent en une troisième, Oberika ‘tremble et les mots le suffoquent’, pour se terminer le souffle coupé et dans le silence d’une profonde contemplation. C’est précisément dans le cadre kaléidoscopique des souvenirs et de l’introspection d’Oberika que nous pouvons entrevoir la semence des graines de la régénérescence de la résistance et de la quête de la restauration de la souveraineté perdue. Il n’est donc pas surprenant que les petits enfants d’Okonkwo soient le fer de lance de la libération du Nigeria, auquel l’Igboland a depuis lors été arbitrairement incorporé par la conquête et l’occupation britannique.

BANNISSEZ LE SOLEIL

Pour l’Etat agresseur, qui a un clair objectif de génocide, l’élimination de la mémoire de la scène du crime, de la nation ciblée, est encore plus activement poursuivie. Le lendemain de la fin de la deuxième phase du génocide des Igbos, en janvier 1970, le Nigeria a produit des cartographes prétentieux afin qu’ils effacent le Biafra de toutes les cartes et de tous les dossiers sur lesquels ils pouvaient mettre la main. Au cours de leurs réunions, les génocidaires de la junte au pouvoir ont banni des mots comme ‘soleil’, ‘lumière solaire’, ‘rayonnement solaire’,’ coucher du soleil’, ‘tournesol’, ‘lever du soleil’ et d’autres mots dérivés du mot ‘soleil’ qui faisaient immanquablement référence au pays du Soleil Levant. Cette tâche de bannir et de déprécier le soleil était évidemment bizarre, pour ne pas dire stupide, comme la junte a tôt fait de le découvrir à partir d’une source inattendue.

A l’époque, un conseiller militaire britannique de la junte, qui dînait avec un membre important du Conseil de Lagos, a, par inadvertance, comparé la conscience nationale des Igbos et leur ténacité à celles des Polonais. Le conseiller, qui avait étudié l’histoire contemporaine à l’université et qui était un grand admirateur de l’endurance exceptionnelle du peuple polonais au cours de l’histoire, a déclaré que les Igbos avaient montré un courage similaire lors de leur défense du Biafra et ‘que la renaissance du Biafra était clairement possible de son vivant’, à la différence de la Pologne qui a eu besoin de 123 ans pour réapparaître dans l’histoire après sa disparition de la carte du monde.

Les implications de l’analyse polono/igbo par ce conseiller, qui avait une trentaine d’années, n’ont pas échappé à son hôte. Les autres convives, membres de la junte, étaient outrés par le manque crasse de tact du jeune conseiller qui dispensait librement ses commentaires sur ce sujet. La conséquence immédiate et sans surprise a été son retour rapide à Londres.

Il y a eu d’autres manifestations comiques au Nigeria à cette époque, qui visaient l’éradication de la mémoire du génocide des Igbos. Les publications de la junte et de membres sympathisant écrivaient le mot Biafra avec un ‘b’ minuscule ou mettait un ‘p’ à la place du ‘b’, ce qui témoigne d’une schizophrénie intense qui obnubilait l’esprit des membres du Conseil au point qu’ils perdaient de vue l’importance historique de la résistance et de la survie des Igbos.

Les Awologistes ou Awoloïdes (supporter de Obafmi Awolowo, vice-président de la junte et chef du ministère des fiances) ont même envisagé d’abolir la monnaie dans la région bientôt occupée par les Igbos entreprenants et pleins de ressources. Ils pensaient que ceci pourrait représenter la solution finale qui leur avait échappé au cours de l’encerclement, du siège et des bombardements, stratégie utilisée au cours des 44 mois précédents. Finalement ils ont décidé d’octroyer une pitance de 20 £ par chef de famille survivant, une somme dérisoire qui, croyaient-ils, n’éviterait aucunement la catastrophe d’une implosion sociale qu’ils imaginaient suivre inévitablement.

Il faut se souvenir que l’octroi des 20£ par chef de famille mâle survivant excluait les centaines de milliers de familles dont le chef de famille mâle avait été tué au cours du génocide. L’étranglement économique de 9 millions de survivants igbos, qui a débuté le 13 janvier 1970, a été la troisième phase du génocide perpétré par le Nigeria contre les Igbos. Quelque 3,1 millions d’Igbos ont été tués au cours du génocide, entre le 29 mai 1966 et le 12 janvier 1970

SURVIVRE

La survie au génocide des Igbos est certainement un des faits remarquables à célébrer , à une époque par ailleurs déprimante de pestilence dans toute l’Afrique, au cours des 50 dernières années. Rares sont ceux qui ont cru que les Igbos allaient survivre à leurs épreuves, en particulier si l’on considère qu’en septembre 1968 entre 8 et 10 000 Igbos, pour la plus part des enfants et des vieillards, mourraient chaque jour des conditions brutales qui se dégradaient de jour en jour, suite au siège imposé par les génocidaires.

Les Igbos sont probablement le seul peuple au monde qui était convaincu qu’il allait survivre. Et leur survie a été galvanisante. Dans une célébration spontanée et pendant longtemps, les Igbo ont préfacé leurs échanges en se souhaitant ‘heureuse survie’. La survie des Igbos représente le triomphe éclatant de l’esprit humain sur les forces sauvages qui pendant 4 ans s’étaient efforcés de les détruire. La description de ‘Half a yellow sun’ (la moitié d’un soleil jaune) de Chimamanda Ngozi Adichie (de nouveau le soleil), son volume majestueux sur le sujet écrit comme une histoire d’amour, ne pourrait être plus à propos.

Quarante ans plus tard, les première et la deuxième génération enlevées à leurs parents et grands parents qui ont libéré le Nigeria de l’occupation britannique dans les années 1960, et qui ont survécu au génocide qui a suivi, la progéniture de Okonkwo donc, est une nouvelle fois déterminée à restaurer la souveraineté perdue des Igbos. Chacun connaît leur ferme résolution et leur capacité à atteindre leur but. Les Igbos le ressentent. A n’en pas douter, la nouvelle de l’aboutissement de cet effort est actuellement attendue avec impatience dans toute l’Afrique

* Herbert Ekwe-Ekwe a publié un nouveau livre intitulé ‘Readings from Reading: Essays on African Politics, Genocide, Literature’ (Dakar & Reading: African Renaissance, 2011), ISBN 9780955205019, paperback, 236pp. £19.95/US$29.95. – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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