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Dans le monde entier les jeunes doivent faire face à des problèmes similaires et différents : oppression, injustice économique, politique et sociale dans ses différentes manifestations. Mais ils se mobilisent avec d’autres forces progressistes pour transformer non seulement leur propre vie, mais aussi leur société et le monde. Dans ce article, Ama Biney passe en revue ce qui pourrait constituer l’agenda d’une jeunesse en résistance, avec des exemples en Afrique et dans le monde.

Mohamed Bouazizi et Bradley Manning sont de puissants symboles qui peuvent inspirer les forces progressistes dans le monde - particulièrement les jeunes - pour leur engagement en faveur de la vérité et de la justice sociale. Bouazizi est le Tunisien de 27 ans qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010, après avoir été harcelé par la police pendant des années. C’est peut-être la gifle d’une employée municipale, qui a confisqué son étalage de fruits et légumes, qui s’est ajoutée à des années d’humiliations du fait de l’inhumanité et de la corruption des autorités, qui, ce jour-là, a été le facteur déclanchant de son acte fatal. Il ne saura jamais qu’il a mis en route le soulèvement arabe et les mouvements "Occupy" dans de nombreuses capitales occidentales et qui ont été menés par des milliers de jeunes gens qui ont inspiré l’espoir d’un monde différent.

Manning était un soldat américain de 22 ans lorsqu’il a organisé la fuite d’une masse de secrets d’Etat américains en faveur de Wikileaks en 2010. Il est incarcéré depuis plus de 1 100 jours, une bonne partie de ce temps en isolement. C’est une des nombreuses exactions dont il est victime. Il a plaidé coupable pour 10 des 21 chefs d’accusations portées contre lui. L’accusation d’"aide à l’ennemi", c'est-à-dire assister Al Qaeda en rendant des renseignements accessibles sur Internet, peut lui valoir la perpétuité.

RESISTER EN FAVEUR DE LA VERITE

Comme l’a dit le journaliste britannique noir Gary Younge, dans son article dont le titre pertinent est "Hypocrisy lies at the heart of the trial of Bradley Manning" [1] (l’hypocrisie est au cœur du procès de Bradley Manning), les documents que Manning a révélé en 2009 montrent que les Américains étaient au courant de l’opulence du mode de vie et de la corruption de l’ancien président tunisien Ben Ali, pendant que le citoyen ordinaire devait faire face à un chômage en augmentation et à l’inflation. Pourtant les Américains ont continué à soutenir Ben Ali, "préférant une dictature fiable à une démocratie imprévisible". [2]

Comme le dit justement Younge, "Wikileaks n’a pas causé les soulèvements mais les a certainement informés". [3] Grâce à Wikileaks, les Tunisiens (et de nombreux autres Africains) ont eu connaissance de ce qu’ils soupçonnaient depuis longtemps : ce que les Américains faisait sous couvert de démocratie avec la collaboration de dirigeants kleptocrates. Tout cela grâce à Manning. Pourtant Manning est vilipendé pour avoir été un lanceur d’alerte. Alors que le procès se déroule, il est perturbant que le pays qui s’enorgueillit d’être un parangon de valeurs démocratiques croit qu’il est des vérités, prononcées au nom du gouvernement américain, qui ne doivent pas être connues de la population.

L’écrivain et journaliste américain Chris Hedges avance que "ce procès n’est pas simplement la mise en accusation d’un soldat de 25 ans qui a eu la témérité de rapporter au monde extérieur le carnage indiscriminé, les crimes de guerre, la torture et les abus perpétrés par notre gouvernement et nos forces d’occupation en Irak et en Afghanistan. C’est un effort concerté par la sécurité et la surveillance de l’Etat de mettre définitivement sous le boisseau ce qui reste de la presse libre, une presse qui a le droit constitutionnel d’exposer les crimes de ceux au pouvoir". [4]

De plus, "la lâcheté du New York Times, d’El Pais, de Der Spiegel et du Monde, qui tous ont fait largement usage du matériel que Manning a passé à Wikileaks, pour ensuite se détourner de lui, est une des plus grande honte du journalisme". [5] En mars de cette année, Manning a déclaré à un tribunal militaire qu’il ne pouvait réconcilier son expérience de la guerre en Irak, durant laquelle des innocents ont péri, avec la version officielle de la guerre. "Ils (les soldats américains) ont déshumanisé les individus contre lesquels ils se battaient et ne semblaient pas accorder de valeur à la vie humaine, faisant référence à ceux-ci comme étant "des rats morts" et se congratulant sur leur capacité à en tuer le plus grand nombre", a-t-il déclaré. [6]

LES JEUNES POUR LA JUSTICE

D’autres exemples de jeunes qui ont agi par sens de l’injustice, sont ceux de Soweto. Cette année, cela fait trente-sept ans depuis que le soulèvement de Soweto a eu lieu, le 16 juin 1976, en Afrique du Sud. Cet évènement tragique, responsable de la mort de plus de 500 jeunes tués par les forces blanches de l’Etat apartheid, avait été organisé par la jeunesse noire d’Afrique du Sud dont beaucoup avaient été inspirés par l’exemple de Steve Biko et de son mouvement Conscience noire. Les milliers d’écoliers qui avaient manifesté contre le décret du département de l’éducation du gouvernement raciste d’Afrique du Sud, responsable de l’instruction bantoue et qui exigeait que l’afrikaans soit l’une des langues d’enseignement dans les écoles secondaires, ont fait savoir leur indignation morale à travers des banderoles audacieuses qui disaient : "Si nous devons apprendre l’afrikaans, Vorster (le Premier Ministre) doit apprendre le zoulou".

C’est aussi un sentiment d’injustice qui a conduit 15 à 20 000 Noirs à marcher dans les rues de Londres, suite au massacre de New Cross Fire qui eu lieu à Deptford, à Londres, le 2 mars 1981. Nombre d’entre eux étaient de jeunes adultes et des adolescents. Quatorze Noirs sont morts lors des célébrations d’un 16ème anniversaire, le 18 janvier de cette année. "Le Black People Day of Action March" avait été organisé par le Comité du massacre de New Cross présidé par feu John La Rose. A ce jour, nombreux sont les Noirs qui, au moment des faits et depuis lors, n’ont pas cru que c’était l’acte d’un pyromane, comme le disait la police britannique, mais une attaque raciste aux conséquences funestes. Les malfrats n’ont jamais été trouvés pour comparaître devant la justice.

Depuis cette attaque raciste, de jeunes Noirs au Royaume Uni comme Rolan Adams et Stephen Lawrence ont été victime d’attaques menées par des individus. D’autres jeunes Noirs comme Sean Grigg, Smiley Culture, Mark Dugan et de nombreux autres ont été assassinés par la police britannique raciste. Aux Etats-Unis, les agressions ne sont guère différentes avec des jeunes comme Ahmadou Diallo et Sean Bell, brutalement tués par le racisme institutionnel des forces de police américaines. L’Afro-américain de 17 ans, Trayvon Martin, sans arme, a été vicieusement assassiné en février 2012 à Sanford, en Floride.

Ce sont là certains des cas qui ont défrayé la chronique. Il y en a d’autres qui n’ont pas atteint les médias, mais n’en sont pas moins importants, tragiques et dignes du souvenir.

Que ce soit dans des quartiers défavorisés d’Afro-brésiliens au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, la guerre des gangs et la "violence Noirs contre Noirs" y sévit, dans laquelle des jeunes ayant des parents africains et une ascendance africaine sont engagés. Des jours après la prestation de serment par Obama en janvier de cette année, Hadiya Pendleton, âgée de 15 ans, qui marchait avec la fanfare de son école pour la cérémonie, a été tuée le 29 janvier dans le parc de Chicago. Elle avait été confondue avec quelqu’un d’autres. Fait choquant, elle était la 42ème victime pour le seul mois de janvier à Chicago Au cours de l’année précédente, 500 homicides ont eu lieu à Chicago. Le problème de ces gangs urbains est mis sur le compte de la prolifération des armes et des inégalités socioéconomiques qui se sont multipliées dans la société américaine en général [7]

Selon le projet "Black Star", un "génocide silencieux" est en cours, marquant "l’infortune de l’homme noir en Amérique" . Dans toutes les sphères - que ce soit la santé, l’instruction, l’emploi, le recours à la justice et l’équité - les chances et les opportunités offertes aux Noirs sont nulles comparées à d’autres groupes raciaux. [8] Selon le projet, "les Noirs ne représentent que 12% de la population des Etats-Unis, mais 44% de la population carcérale". [9]

Michelle Alexander note dans son livre "The new Jim Crow"[10] que "moins de deux décennies après le début de la guerre contre la drogue (en 1971 environ), un homme noir sur sept a perdu, au niveau national, le droit de vote et jusqu’à un sur quatre dans les Etats où vivent le plus grand nombre d’Afro-américains est laissé pour compte…". [11] L’auteur avance que la guerre contre la drogue aux Etats Unis a permis l’émergence d’un système de prisons de masse complexe qui asservit la communauté des gens de couleur, c'est-à-dire les Afro-américains et les Latino vivant aux Etats-Unis. Ce sont surtout eux - particulièrement les jeunes – qu’on retrouve de façon disproportionnée derrière les barreaux ainsi que dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis.

Alexander souligne, par exemple, qu’"environ 90% de ceux qui sont condamnés pour des forfaits liés à la drogue en Illinois sont des Afro-américains. Les Blancs impliqués dans ces mêmes forfaits sont rarement arrêtés. Lorsqu’ils le sont, ils sont mieux traités à chaque étape du processus de justice pénale, y compris dans la négociation des peines. Les Blancs sont constamment plus susceptibles d’éviter la prison et les accusations de crimes, même lorsqu’il s’agit des récidivistes. Les délinquants noirs sont systématiquement étiquetés criminels." [12]

Lorsqu’en juin 2008 Barack Obama a fait un discours à l’occasion de la Fête des pères, devant une congrégation religieuse noire, dans sa ville de Chicago, sur le thème des pères absents, il n’a pas eu l’honnêteté de reconnaître que nombre de garçons noirs sont privés de père parce qu’"ils sont dans des prisons, enfermés dans des cages". [13]

Il y a des parallèles entre les conditions lamentables que vivent de nombreux jeunes noirs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Si en Grande-Bretagne ils ne quittent pas la prison pour entrer dans la marginalisation et la stigmatisation du fait d’un casier judiciaire ou dans des institutions pour jeunes délinquants, ils sont dans des institutions pour malades mentaux et traités pour des problèmes de santé mentale. Au mieux ils ont compromis leur chance au niveau de l’instruction, pour avoir été éjectés d’une école ou d’un collège pendant que leurs homologues blancs sont traités avec plus d’indulgence pour les mêmes méfaits.

JEUNESSE DESILLUSIONNEE ET MONTEE DE L’ISLAMISME

Le continent africain héberge la population la plus jeune au monde. Quelque 60% des gens au chômage ont entre 15 et 24 ans. Un taux élevé de chômage parmi les jeunes Africains a une énorme implication sur la stabilité sociale et politique du continent. En Somalie et au Nigeria (et ailleurs dans le monde), les marécages de la pauvreté et du chômage font le lit du fondamentalisme islamique qui a émergé à travers, respectivement, Al-Shabab et de Boko Haram. Par exemple, le taux de chômage chez les jeunes Somaliens atteint un taux consternant de 67% parmi les jeunes de 17 à 29 ans. [14] Pour aborder le problème du fondamentalisme islamique, les conditions qui favorisent la progression d’idéologies si extrêmes doivent être abordées.

Comme le souligne le militant politique noir Lee Jasper dans son article " Black youth, terrorism and the moral blindness", ignoré par la presse britannique lors de l’horrible meurtre d’un soldat britannique à Londres, en mai dernier, "la véritable expérience vécue par la communauté noir britannique, qui souffre des effets ravageurs du racisme sociétal, est un discours largement absent des médias britanniques dominants et totalement absent de l’agenda du gouvernement". [15]

Jasper ne cherche pas à justifier l’acte meurtrier mais soutient qu’"une minorité de jeunes Noirs, qu’ils soient d’origine africaine ou caribéenne, dont beaucoup souffrent d’une profonde exclusion économique, une profonde marginalisation politique et une diabolisation aiguë de la part de la société en général, peut être particulièrement susceptible de sombrer dans la grande criminalité et, parfois, de faire une conversion radicale sous l’influence de fanatiques religieux". [16] Il est aussi intéressant de noter que les médias se sont concentrés sur la définition du meurtre comme un acte de terrorisme, mais que le silence règne sur des motifs possibles de la part des suspects. Pourtant, dans une des vidéos, on entend l’un des jeunes gens dire : "Nous jurons devant Dieu que nous n’arrêterons jamais de vous combattre. La seule raison de notre acte est que des Musulmans meurent tous les jours. Le soldat britannique, c’est œil pour œil et dent pour dent"

Comme le souligne correctement la journaliste afro-américaine Margaret Kimberley, "le meurtre (du soldat britannique) n’est pas pire que ceux perpétrés par les militaires américains et d’autres nations de l’Otan. Lee Rigby a été décapité à Woolwich, mais les bombes et les balles décapitent aussi. A Fallujah, en Irak, les bébés naissent sans tête en raison des effets rémanents de l’uranium appauvri. A Gaza, les Israéliens terrorisent la population civile en toute impunité, tuant hommes, femmes, enfants parfois des familles entières sans défense". [17]

La réalité est que les jeunes musulmans dans les pays occidentaux établissent une relation politique entre leur foi et la politique de duplicité qui déshumanise et dégrade leur religion, pendant que les gouvernements occidentaux continuent de soutenir des régimes dictatoriaux dans des pays musulmans. Pourquoi les jeunes musulmans ne verraient-ils pas l’hypocrisie de telles positions ? N’est-il pas vrai que des drones, made in USA, autorisés par le gouvernement du lauréat du prix Nobel de la Paix- Obama- tuent des Yéménites, des Afghans et des Pakistanais innocents, encourageant, ce faisant, un climat de fanatisme religieux parmi la jeunesse de ces pays ? Comment un lauréat du Nobel de Paix peut-il justifier l’usage de drones pour faire la paix ?

Le 19 mai, Obama s’est délivré à un discours devant 500 jeunes Afro-américains au célèbre et historique Morehouse College, traditionnellement le collège des jeunes Noirs à Atlanta. Comme le formule Ajamu Nangwaya, " alors que le commandant en chef américain s’efforce de passer le message de la responsabilité personnelle à son groupe démographique le plus loyal", Obama passe sous silence les entraves socioéconomiques structurelles que doivent surmonter les hommes et les femmes noirs qui parviennent à s’en sortir.[18] Certains s’illusionnent, avec l’élection d’un président afro-américain, d’une Amérique post raciale ; la réalité est que la pensée blanche suprématiste, le sexisme, le racisme continuent d’être des obstacles dans la vie des gens de couleurs.

L’instruction pour la libération devrait donner aux étudiants les instruments intellectuels pour critiquer la société et pour trouver de nouvelles voies pour transformer ces conditions opprimantes. Au lieu de quoi, dans une bonne partie du monde, l’instruction formelle sert à endoctriner les jeunes pour qu’ils se conforment à un ordre mondial néolibéral, raciste, patriarcal, capitaliste et impérialiste. L’école les nourrit de valeurs négatives comme la compétition, la croyance en la supériorité du marché, ou que la puissance impériale a le droit de renverser des dictateurs (appelé aussi changement de régime, intervention humanitaire ou responsabilité de protéger), droit à la consommation et à l’individualisme ainsi que de déconnecter les problèmes de leurs sources. Les jeunes doivent être encouragés à se mobiliser avec d’autres jeunes dans le monde ainsi qu’avec les forces progressistes globales pour transformer non seulement leur propre vie, mais encore leur société et le monde. La technologie, sous forme d’Internet et des médias sociaux, facilite cette possibilité à une échelle sans précédent.

LES JEUNES CERVEAUX EN QUETE DE LENDEMAIN MEILLEUR ET LA MORT

Poussés par la pauvreté et le chômage, des milliers de jeunes Africains ont traversé le Sahara brûlant et la Méditerranée traîtresse pour atteindre Lampedusa, proche de la côte italienne. Depuis le soulèvement en Tunisie, par exemple, il y a eu une augmentation dramatique du nombre de jeunes tunisiens qui ont fui leur pays. En octobre 2012, un bateau de pêche transportant 100 à 140 jeunes Tunisiens, a sombré à 12 miles nautiques (22 km) de Lampedusa. Seul 56 d’entre eux ont survécu. [19] Les mesures drastiques prises par les autorités italiennes n’ont pas découragé ces jeunes désespérés et désillusionnés par l’échec du nouveau gouvernement de fournir de l’emploi et un niveau de vie décent aux Tunisiens ordinaires.

De même, de nombreux migrants éthiopiens et somaliens au Yémen doivent faire face à des discriminations dans le pays hôte. "Les migrants éthiopiens sont au bas de la hiérarchie des domestiques et, avec d’autres Africains, sont l’objet de discrimination dans les pays de la région du Golfe où la xénophobie et le racisme s’enracinent dans la politique régionale et gouvernementale. La majorité des migrants abandonnent la sécurité de leur foyer, l’affection et le confort de leur famille, non par choix délibéré, mais parce qu’ils y sont obligés faute, pensent-ils, d’alternative. Surtout des jeunes de 18 à 30 ans, provenant de zones rurales ou semi rurales, peu instruits et, pour la plupart d’entre eux, incapables de lire et écrire. Poussés par la pauvreté, la majorité part à la recherche de travail, pendant qu’environ 25%, selon les estimations, quittent pour des motifs politiques". [20]

Les circonstances accablantes qui poussent les Africains à fuir leur pays en quête de meilleures opportunités ont été captées dans un film, La Pirogue, par le réalisateur sénégalais Moussa Touré. Les belles images fixent la détresse et le message de douzaines de Sénégalais, tous préparés à risquer leur vie dans leur quête d’une vie meilleure. Parmi eux une femme, une passagère clandestine qui n’est pas découragée par la mort de son mari lors d’un tel périple et un jeune homme qui rêve de devenir un musicien célèbre. Ce drame épique est dédié aux plus de 5000 Africains morts en mer au cours de la dernière décennie, pour avoir entrepris ce voyage afin de renverser l’ordre économique de leur famille paupérisée.

En Afrique du Sud, le Congress of South African Trade Unions (Cosatu) estime que le taux de chômage est d’environ 40% plutôt que de 26% comme l’indiquent les chiffres officiels. [21] Parmi les jeunes des township, le taux est de 57%. [22] Comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le chômage exacerbe, voire alimente la guerre des gangs et la criminalité, de la même façon qu’en Afrique du Sud.

Depuis la crise capitaliste de 2007 et les dures mesures d’austérité économique du Fmi mises en œuvre par plusieurs gouvernements occidentaux comme solution ostensible, beaucoup de jeunes en Occident ont été frappés de la même manière que l’ont été de jeunes Africains qui ont souffert pendant des décennies des prescriptions économiques pourries du Fmi et de la Banque Mondiale.

A la fin mai, de jeunes immigrants, parmi lesquels des Somaliens, des Afghans et des Syriens, ont manifesté violemment dans le sud et le centre de Stockholm après qu’un homme de 68 ans a été abattu par la police dans son appartement. L’évènement a été décrit comme la pire émeute que la Suède a connue depuis des années et il ternit la réputation du pays comme endroit de tolérance et d’ouverture. L’avis des résidents est que le harcèlement policier, les quolibets et le manque d’emploi correspondent à la ségrégation, à la négligence et à la pauvreté qui étaient aussi à l’origine des soulèvements à Londres en 2011 et à Paris en 2005.

A la fin mai, le secrétaire général de la Fédération des croix et croissants rouges, Bekele Geleta, a mis en garde les gouvernements européens, leur disant qu’à moins d’adopter des mesures pour réduire le chômage et la pauvreté dans certaines parties de l’Europe, d’autres perturbations sociales sont à craindre. [23] Suite à cette déclaration, il a été révélé que le chômage dans la zone Euro a atteint son taux le plus élevé depuis des décennies. "Presque un jeune sur quatre âgé entre 16 et 24 ans, dans toutes les 17 nations de la monnaie unique, est sans emploi, selon les chiffres mensuels publiés par l’office des statistiques de l’Ue, Eurostat". [24] De toutes les 27 nations qui constituent l’Union européenne, la Grèce est le pays où le taux de chômage est le plus élevé, avec les jeunes et les plus âgés sans emploi. Le nombre de sans-abri s’est aussi envolé. [25] Toutefois, en Grèce, les liens familiaux sont restés forts, ce qui permis de freiner le nombre de sans-abri.

QUE FAIRE DES ENFANTS-SOLDATS ?

Dans des pays comme le Burundi, le Rwanda, la Sierra Leone, le Libéria, la République centrale africaine (Rca) et la République démocratique du Congo (Rdc), la guerre a déstabilisé les familles, tué ses membres et stigmatisé et couvert de honte les jeunes membres des familles qui y ont pris part comme enfant-soldat.

Comme le relate Agnès Fallah Kamara-Umunna, dans son très intéressant récit "And still peace did not come" sur les histoires vraies d’enfants-soldats au Libéria, nombreux sont ceux qui étaient comme Varlee, âgé de 9 ans, qui vivait avec sa grand’mère lorsque les rebelles ont menacé de violer et tuer son aïeule. "Pour sauver sa grand-mère Varlee a pris l’Ak-47. Il a combattu pendant 14 ans, c'est-à-dire toute la durée de la guerre. Varlee est passé de l’enfance à l’âge adulte dans le sein d’une armée rebelle". [26]

De nombreux enfants-soldats ont commis des atrocités indescriptibles, parce qu’ils étaient des adolescents crédules, drogués, endoctrinés et traumatisés. A l’initiative de Kamara Umunna, journaliste radio, les "garçons" (comme elle les appelait) ont participé à la Commission libérienne de Vérité et réconciliation, dans un programme nommé "Straight from the heart" (venant droit du coeur) au cours de laquelle les garçons ont révélé les circonstances qui les ont amenés à commettre leurs actions haineuses.

Le programme a été condamné par certains citoyens libériens opposés à ce projet, mais il a permis la guérison et la compréhension pour d’autres et pour nombre de ces garçons. Kamara-Umunna reste convaincue que la réconciliation et le pardon doit inclure ceux qui ont commis des actes vils. C’est par l’acceptation que ces jeunes hommes et ces femmes pourront trouver des voies pour être des citoyens productifs et utiles à la société. Le thème des enfants-soldats et des solutions à trouver pour eux reste pertinent dans la situation post conflit en Afrique, si la paix doit devenir une réalité permanente.

LA JEUNESSE AFRICAINE SE MOBILISE POUR LE CHANGEMENT POSITIF

Sur tout le continent africain, la jeunesse africaine s’est mobilisée pour contrer les dures programmes d’ajustement structurel des années 1980’ et 90, dans les mouvements pour la démocratie dans les années 90, et encore actuellement dans les soulèvements en Afrique du Nord.

Prenez, par exemple, le cas tragique du ressortissant du Malawi, Robert Chasowa qui était un étudiant ingénieur de 25 ans et militant politique à l’université du Malawi. Il était président d’un groupe estudiantin militant, la Youth for Democratcy (YFD), qui imprimait un hebdomadaire pour la démocratie et une newsletter nommée "The weekly political update", opposé au gouvernement présidé par Bingu wa Mutharika. La cause de la mort de Chasowa a été annoncée comme un suicide par la police, selon qui Chasowa avait sauté par la fenêtre d’un bâtiment de cinq étages le 24 septembre 2011. Toutefois, les résultats d’autopsie montre qu’il a subi des blessures à la tête compatibles avec des coups mais pas de fracture des membres.

Après son entrée en fonction en 2012, la présidente Joyce Banda, qui a succédé à Mutharika, a ordonné une enquête sur la mort de Chasowa qui a montré qu’il avait été assassiné. [27]

Chasowa représente une génération de jeunes Africains politisés qui diront des vérités désagréables aux puissants et qui tragiquement ont perdu leur vie dans l’action : que ce soit les jeunes kényans et zimbabwéens, des hommes et des femmes morts au cours de élections de 2008, les jeunes Ethiopiens morts en 2005 et les Ivoiriens morts en 2010. Il y aussi ceux décédées au cours de soulèvements en Afrique du Nord ainsi qu’à Bahreïn et au Yémen.

Pourtant, l’espoir ne peut être tué. Le 2 juin, des milliers d’Ethiopiens, y compris des jeunes, ont eu le courage de descendre dans la rue d’Addis Ababa pour exiger la libération des journalistes et les militants emprisonnés. La manifestation a été la première depuis 2005 lorsqu’il y a eu un massacre dont de nombreuses victimes étaient des jeunes gens contestant la réélection de Meles Zenawi au pouvoir.

Récemment, en Turquie et au Brésil les jeunes ont été impliqués dans des protestations contre leurs gouvernements. La Turquie a subi trois semaines de protestations qui ont commencé en mai, initiées par des militants écologistes - parmi lesquels des jeunes hommes et femmes- en colère contre des projets de construction dans un parc jouxtant la place Taksim. La protestation s’est transformée en un mouvement contre le Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan, donnant ainsi lieu au plus important défi de sa décennie de leadership.

Le Premier ministre a voulu suivre une ligne dure contre les milliers de manifestants qui ont affrontés les gaz lacrymogènes de la police turque. Cela n’a pas épuisé la détermination des protestataires. Par exemple, un acteur est resté debout dans la rue pendant huit heures, en silence, à Istanbul, devant le portrait de Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne et laïque, après que la rue ait été vidée. Il est devenu célèbre sous le nom de "l’homme debout". Il a déclaré qu’il prenait ainsi position contre la police qui veut empêcher les manifestants de faire usage de leur droit de protester près de la place. Sa prise position a inspiré de nombreux autres dans le pays. [28]

Début juin de cette année, des milliers de Brésiliens ont manifesté à São Paulo contre l’augmentation du prix des transports publics. Des jeunes se sont impliqués dès le début dans cette agitation qui s’est transformée pour intégrer des griefs profonds, dont celles contre la brutalité policière, l’inégalité, la corruption, la détérioration des services publics et les dépenses extravagantes pour préparer la Coupe du monde l’an prochain.

Selon l’une des organisatrices des manifestations, Paula Paiva Paulo," plus que l’augmentation du prix du bus, c’était surtout une manifestation pacifique contre un système de transport défaillant, l’insécurité et les lourds investissements consentis en préparation d’un évènement sportif gigantesque qui ne se reflètent pas dans l’amélioration de nos infrastructures précaires"[29]

Ces manifestations ont été les plus importantes depuis celles contre le président Fernando Collor de Mello en 1992, lorsque 100 000 personnes à Rio, 50 000 à
São Paulo et Belo Horizonte, etc. se sont mobilisés. [30] De nombreux participants ont été encouragés à participer aux manifestations après avoir vu les images de la violence policière contre les protestataires à São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia.

Selon le journaliste Jonathan Watts, les hauts fonctionnaires étaient sous le choc devant la magnitude des manifestations. Comme quoi "les officiels peinent à comprendre ce qui se passe" [31] le secrétaire général de la Worker’s Party, le parti au pouvoir, Gilberto Carvalho, a déclaré lors d’une audience au congrès qu’"il serait prétentieux de dire que nous comprenons ce qu’il se passe… Si nous ne sommes pas attentifs nous allons nous retrouver du mauvais côté de l’histoire". [32]

Il semble que la présidente Dilma Rousseff, la successeur de Lutz Inacio Lula da Silva ait salué les protestataires, déclarant dans un entretien télévisé, le 18 juin 2013 : "Le Brésil s’est réveillé plus fort aujourd’hui. La taille de la manifestation d’hier montre la vitalité de notre démocratie, la puissance des voix de la rue et le sens citoyen de notre population". [33] Il serait intéressant de voir la direction que prennent les manifestations : le momentum sera-t-il maintenu par les jeunes militants ? Et comment le gouvernement va-t-il répondre alors que la Coupe du Monde se rapproche.

DES JEUNES QUI INSPIRENT ET QUI SONT DES PIONNIERS

Deux jeunes inventeurs africains, Moctar Dembélé du Burkina Faso et Gérard Niyondiko du Burundi, ont gagné le Global Science Venture Compétition en avril de cette année. Ils ont créé un savon anti-moustique à partir de diverses herbes. Pour Dembélé, leur motivation vient du désir d’une solution simple, à laquelle les pauvres peuvent accéder pour pas cher, contre une maladie souvent mortelle. [34]

Compte tenu du fait que 85% des cas de malaria surviennent en Afrique et que le 90% des morts de la malaria sont aussi en Afrique, ces jeunes inventeurs doivent être chaleureusement félicités. Inutile de dire qu’ils sont aussi un modèle puissant pour les jeunes Africains lorsque l’énergie est canalisée à des fins positives, dans un environnement protecteur.

Il y aussi l’histoire d’Esther Mbabazi qui est la première femme pilote au Rwanda . Lors d’une interview, elle a dit que parfois elle n’annonce pas qu’elle est le pilote, craignant d’affoler des passagers déjà nerveux lorsqu’ils prennent l’avion et que le fait de savoir qu’une femme pilote exacerberait la situation. [35] La jeune Rwandaise a aussi confié que certains de ses passagers sont parfois très fiers de savoir que le pilote est une femme lorsque, occasionnellement, elle l’annonce.

Une autre histoire extraordinaire est celle du Kényan Richard Turere, âgé de 13 ans, qui gardait les vaches de son père dans la savane en étant confronté au problème de savoir comment empêcher les lions de tuer son troupeau. Il a découvert que les lions avaient peur de lumières mouvantes et a eu l’idée d’une invention simple : une vieille batterie, une petite torche, un transformateur et un clignotant pour créer une lumière qui flashe. Ainsi il a dissuadé les lions de s’en prendre au troupeau de son père. Ce jeune ingénieur est parti installer ce simple appareil chez ses voisins et d’autres communautés au Kenya. [36]

Si les ressources financières, qui sont détournées pour payer les dettes de l’Afrique, sauver les banques, imposer des programmes d’austérité en Occident, acheter des drones qui tuent des innocents, pouvaient être investies dans les jeunes en particulier, il pourrait y avoir des millions d’autres Dembele, Nyondikos, Mbaabazi et Turere dans le monde entier.

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** BAma Biney est rédactrice en chef intérimaire à Pambazuka News – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News

NOTES
1. Gary Younge, http://tinyurl.com/mmsxsl7

2. Ibid.

3. Ibid.

4. Chris Hedges, http://www.truthdig.com/report/item/we_are_bradley_manning_20130303/

5. Ibid.

6. Ibid.

7. Guardian on Hadiya Pendleton, http://tinyurl.com/ngpkuom, accessed 2 June 2013 

8. http://tinyurl.com/pgogjj9

9. Ibid. 

10. See Michelle Alexander, ‘The New Jim Crow Mass Incarceration in the Age of Colorblindness’, 2010, p. 188.

11. Ibid.

12.Ibid, p. 184. 

13.Ibid, p. 175. 

14. http://tinyurl.com/qf53bme, accessed 1 June 2013 

15. Lee Jasper, ‘Black Youth, terrorism and the moral blindness’ in http://tinyurl.com/o5oww65, accessed 1 June 2013
16. Ibid. 

17. Margaret Kimberley, http://tinyurl.com/pr5prsn, accessed 30 May 2013

18. Ajamu Nangwaya http://www.pambazuka.org/en/category/comment/87602
19. Tunisian story from BBC http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-19848935 accessed 23 May 2013
20. G. Peebles, http://www.counterpunch.org/2012/12/28/desperately-seeking-a-future/ accessed 28 May 2013

21. http://www.guardian.co.uk/world/2005/jun/27/southafrica?INTCMP=SRCH accessed 2 June 2013

22. Ibid. 

23. ‘Unrest may spread across European, warns Red Cross chief’ in The Independent, UK, 25 May 2013, p. 38. 

24. ‘Eurozone crisis: one in four youths is jobless’ in The Independent, UK, 1 June 2013, front page. 

25. Ibid. 

26. See ‘And Still Peace Did Not Come’ by Agnes Fallah Kamara-Umunna, 2011, p. 158.

27. See http://tinyurl.com/q2vbmw4, accessed 3 June 2012

28. http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-22949632 accessed 20 June 2013

29. See http://tinyurl.com/nvcdcra, accessed 20 June 2013

30. Ibid.

31. See http://tinyurl.com/nrg6z8u, accessed 20 June 2013

32. See http://tinyurl.com/nrg6z8u, accessed 20 June 2013

33. See http://www.guardian.co.uk/world/2013/jun/18/brazil-protests-authorities-back-foot accessed 20 June 2013

34. See http://newsone.com/2407143/moctar-dembele-gerard-niyondiko-faso-soap/ accessed 2 June 2013 

35. See http://www.bbc.co.uk/programmes/p01611ws accessed 2 June 2013
37. See http://tinyurl.com/czeqm5m, accessed 2 June 2013