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Amy Niang, étudiante en Doctorat, a rencontré l'éminent Historien africain Joseph Ki-Zerbo dans sa maison, au Burkina Faso. Elle nous livre ici les points saillants de sa pensée et de son oeuvre intellectuelle en général.

L’abîme qui sépare la jeune génération d’africains de la vieille est incommensurable et semble se creuser chaque jour d’avantage. Nous -jeunes africains- avons grandi avec l’idée que tout ce qui est ‘traditionnel’ est nécessairement rétrograde et souvent d’authenticité douteuse.

Les Africains, en particulier ceux issus de la deuxième et troisième génération de la diaspora n’ont pas l’opportunité de communiquer avec leur passé, un handicap qui occulte toute tentative d’étude corrective de l’histoire du continent tout en approfondissant leur incapacité à prendre leur destinée en main. Le vieux dicton dirait : ‘est perdu celui qui ne sait pas d’où il vient’.

J’ai eu l’immense honneur de rencontrer le premier africain agrégé en histoire et premier professeur d’histoire du continent, en l’occurrence Joseph Ki-Zerbo, dans sa maison de Ouagadougou au Burkina Faso. Aujourd’hui à 84 ans, diminué par l’age et la maladie, il n’en puise pas moins une force et une vitalité étonnantes ancrées dans ses convictions profondes.

Son histoire est celle d’un sage mal compris à bien des égards et combattu pour ses idées. Il a peut être longtemps prêché dans le désert mais les hommes comme lui vivent de la sève de leur conviction. Ses appels trouvent résonance chez des intellectuels en Afrique et à travers le monde, qui n’ont que trop compris son message.

K-Zerbo déplore l’extinction grandissante de l’identité africaine. Selon lui, la malédiction de l’Afrique ne réside pas dans sa pauvreté économique chronique mais dans l’ignorance par ses enfants de l’histoire du continent. A moins que les africains ne se décident à retrouver la mémoire du continent, à comprendre son système de pensée, à aller à la rencontre d’eux-mêmes et à se poser les questions essentielles : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? », ils resteront enfermés dans le carcan de l’identité culturelle.

Selon lui, il est grand temps que les Africains se libèrent de l’asphyxie culturelle, grand temps qu’ils deviennent attentifs à leur mode de fonctionnement et fassent bon usage de leur héritage traditionnel et culturel afin d’appréhender le futur avec plus de sérénité et de confiance. L’approche consistera, pour le continent dans son entièreté, à reconquérir son identité confisquée pour la simple raison que ‘sans identité, dit-il, nous sommes un objet de l'histoire, un instrument utilisé par les autres. Un ustensile."

Les Africains ont découvert le monde, ils connaissent et maîtrisent la science de l’occident ; ils ont assimilé son histoire, sa philosophie et ses systèmes de pensée. Il est temps qu’ils s’intéressent à leur propre histoire pour qu’enfin leur présent soit celui d’un passé compris et maîtrisé.

Ki-Zerbo relate le passé du continent non pas à la manière d’un chroniqueur nostalgique d’un passé glorieux ou ressassant l’imaginaire d’un monde merveilleux de l’Afrique précoloniale. Il dit la vraie histoire de l’Afrique, celle que ses professeurs de la Sorbonne ne lui ont pas enseignée.

Il fait remarquer qu’à travers l’histoire du continent, la croyance en des valeurs saines, des principes simples tels que la centralité de l’unité familiale, la primauté du groupe sur l’individu, le respect des aînés, l’esprit de solidarité, d’entraide et de bon voisinage, la communion humaine dans la joie et dans la peine, etc., ont constitué les bases de l’existence des Africains.

Malheureusement, la dégradation de ces principes compromet les perspectives d’un panafricanisme réel. Mais Ki-Zerbo nous met en garde : ‘la libération sera panafricaine ou ne sera pas’.

Aujourd’hui malheureusement, le débat sur le panafricanisme est empêtré dans des chamailleries de légitimité de pseudo-démocraties et se repaît d’un caquetage aussi éloigné des questions vitales qu’il occulte la pertinence de l’unité dans la recherche de solution contre l’abattement. Ki-Zerbo affirme que ‘la conception et la gestion du pouvoir en Afrique moderne n’ont rien d’africain’.

En effet, les formations politiques de l’Afrique traditionnelle sont riches d’enseignements et offrent des exemples de gestion saine du pouvoir, ceci étant en contradiction avec l’image souvent véhiculée d’une Afrique précoloniale similaire à un champ de bataille où les Africains passaient leur temps à s’entretuer, ce qui justifierait l’argument selon lequel la colonisation a été un processus de pacification de l’Afrique.

“Les Africains, dit-il, pensent que le pouvoir doit être divisé entre ses tenants. Ils pensent aussi que partager le pouvoir, c’est aussi le multiplier’’. Il fustige les théories dominantes sur l’Afrique qui s’évertuent à confiner l’histoire du continent à l’esclavage et à l’expérience coloniale. Il ajoute que la connaissance de l’histoire est une condition à la libération collective.

En effet, Le lien entre la connaissance de l’histoire, le savoir, la production et la consommation du savoir et l’impact sur l’estime de soi est indéniable. En Afrique, l’absence de cette connaissance a largement contribué au misérabilisme, à la contre-performance et au sous-développement mental.

Selon lui, Il ne s’agit pas d’aller se vautrer sur la natte des autres (titre d’un de ses livres) encore moins d’aller la tisser en délaissant la sienne, ou encore d’aller ‘s’installer dans la place publique en tendant sa sébile dans la main en attendant d’être développé’.

Il ne s’agit pas non plus d’occulter les questions essentielles qui interpellent le continent, notamment la dégénérescence des valeurs africaines. Il s’agit de panser les blessures à venir en les évitant, de rêver et d’inventer l’Afrique, de se connaître pour mieux se prendre en charge.

Le professeur, comme on l’appelle souvent, est certainement un homme de vision et un prophète mais il est loin de vouloir lire le futur de l’Afrique dans le sable flou de ses terres asséchées, il use de la démarche dialectique de l’histoire comme méthode d’investigation pour fouiller le vrai passé du continent afin d’en mieux saisir les fondements et de comprendre la dynamique des interactions entre passé et présent.

Et de nous dire ce qu’il adviendra d’une société déstructurée : l’import et l’application de valeurs impropres à sa cosmologie et à son peuple, ce qui mènera inexorablement à la destruction de l’identité culturelle.

Son analyse incisive et impitoyable des relations du continent avec le reste du monde à travers les siècles, la pertinence de son regard ainsi que sa compréhension subtile et exhaustive de l’histoire et des systèmes de pensée africains font de lui un historien et un intellectuel hors pair, le héraut des voix de la connaissance préventive.

Son écriture prolifique a produit une importante liste de monographies et d’articles dont Histoire générale de l’Afrique Noire (1972) qui a jeté les fondements d’une vie d’engagement à doter le continent noir d’une histoire propre, écrite par des Africains. Il a aussi dirigé la publication de deux volumes de l’ambitieux projet de l’UNESCO de compiler une histoire générale de l’Afrique (Méthodologie et Préhistoire Africaine, 1981) en tant que membre de son Comité Scientifique.

Ki-Zerbo sillonne et interroge le passé du continent en s’inspirant de la tradition orale, source par essence de l’histoire du continent, utilisée par beaucoup d’écrivains à l’instar du Malien Amadou Hampaté Bâ, qui dira un jour : ‘‘un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle’’

Le combat de sa vie ainsi que son engagement politique et social n’est pas seulement ‘un message d’espoir dans un océan de malheur’. C’est la conviction profonde d’un homme qui sait que le développement, pour l’Afrique, ne peut continuer à être qu’une notion vague, une promesse chimérique ; il y aura développement et il sera africain de conception et d’application ou ne sera pas du tout.

Cette ultime connaissance est ce qu’il exhorte les jeunes africains à opposer au déterminisme et à l’immobilisme inacceptable, à l’ignorance institutionnalisée et à la rhétorique creuse.

*Amy Niang est une doctorante sénégalaise à l’Université Tsukuba au Japon. Vous pouvez lui écrire à l’adresse suivante : [email][email protected]

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* Cet article a d'abord paru dans l'édition anglaise de Pambazuka News numéro 256. Voir :