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Le temps est venu pour des politiques responsables et inclusives. Les principaux dirigeants doivent s’éloigner de leur enclave ethnique, promouvoir la réconciliation et panser les plaies du Kenya alors que celui-ci se prépare à de nouvelles élections.

Il semble que le dernier mot n’a pas été dit sur les implications de la récente confirmation par le TPI de La Haye des accusations contre trois politiciens proéminents et un journaliste. Deux d’entre eux ont démissionné de leur fonction dans le gouvernement de grande coalition. Le dirigeant du Kenya African national Union (KANU) et vice Premier ministre, Uhuru Kenyatta, a démissionné de son poste de ministre des Finances et Francis Mathaura a quitté son poste de chef des services publics et de secrétaire du cabinet. Toutefois, M. Kenyatta a conservé son rôle de vice Premier ministre et est peut-être entrain de lorgner du côté de la présidence du Party of National Unity Alliance Party (PNU). La pression publique a été massive pour contraindre les deux dirigeants à la démission lorsque les accusations à leur encontre ont été confirmées.

La manière dont le procès présumé va affecter les ambitions politiques de M. Kenyatta et celle de l’ancien ministre de l’Education M. William Ruto, également accusé, n’est pas claire. Au cours de ces derniers jours, il y a eu beaucoup de mutations et d’arrangements dont les résultats demeurent incertains. Les experts ont constamment mis en garde les politiciens et les citoyens afin qu’ils fassent tout leur possible pour éviter que la situation ne dégénère en conflit.

Certains observateurs pensent que la confirmation des accusations à l’encontre de Uhuru et Ruto les rend inéligibles, en particulier si l’on se réfère aux limitations telles que définies dans le Chapitre VI de la nouvelle Constitution qui concerne le leadership et l’intégrité. Le ministre de la Justice et des Affaires constitutionnelles, M Mutula Kilonzo, y a fait référence lors d’une récente déclaration. Toutefois, aussi bien Uhuru que Ruto continuent de clamer leur innocence et ont fait appel contre la confirmation des accusations. Ils ont même juré de poursuivre leur campagne électorale.

Le procureur général du Kenya, Prof. Githu Muigai, affirme que rien ne peut être entrepris à leur encontre tant qu’il n’aura pas été statué sur leur appel. Point de vue partagé par le président de la Commission d’application de la Constitution, Charles Nyachae, qui, se référant à l’article 99 de la Constitution qui détermine ce qui disqualifie un candidat, n’interdit pas à Uhuru et à Ruto de faire campagne pour la présidence du Kenya.

Les politiques qui divisent ont été des éléments récurrents au Kenya. Les Kikuyus et les Kalenjins, par exemple, ont une longue histoire d’antagonisme tribal. En 2007, elles ont été les deux principales tribus impliquées dans la violence post-électorales, particulièrement dans la province de la Vallée du Rift. Toutefois, l’opportunisme politique pourrait les contraindre cette fois à vite se pardonner mutuellement et à se mettre d’accord sur un objectif commun. M. Kenyatta est le dirigeant des Kikuyus et M. Ruto est considéré comme étant celui des Kalenjins. Dans l’état actuel des choses, les deux hommes peuvent décider d’oublier le passé et de s’allier contre le Premier Ministre Raila Odinga, généralement considéré comme étant le principal bénéficiaire du procès au TPI.

Un autre élément pertinent reste M. Mathaura, qui a démissionné de son poste de secrétaire du Cabinet et de chef des services publics et se trouve être un haut fonctionnaire d’origine Meru. Son groupe ethnique est considéré comme un cousin ancestral des Kikuyus. Sur cette base ils pourraient être vu comme des alliés possibles lors de la prochaine saison politique.

Un autre scénario intéressant pourrait être l’émergence d’un inconnu du nom de Stephen Kalonzo Musyoka, l’actuel vice-président. Bien qu’en théorie il ne soit encombré d’aucun bagage politique inopportun, beaucoup de Kényans le considèrent comme un opportuniste politique que ses opposants avaient surnommé " Watermelon" (pastèque) au cours de la campagne pour la Constitution. M. Kalonzo, qui appartient à la tribu des Kambas (11,42% de la population), a été candidat à la présidence en 2007 en même temps que Raila Odinga et Mwai Kibaki. Il est estimé que sa persistance à vouloir participer aux élections et les 879 899 voix qu’il a obtenues ont grandement contribué au fait qu’aucun des deux autres candidats ne l’a clairement remporté.

Les partisans du Premier ministre Raila Odinga, qui appartient au groupe ethnique des Luo, le considèrent comme un traître politique, un point de vue partagé par beaucoup de Kényans et qui représente le plus grand obstacle possible à son accession à la présidence. Malgré tout, il serait périlleux d’ignorer un homme de sa stature et de son expérience politique.

Une fraction conservatrice de la classe dirigeante kényane doute du TPI et le perçoit comme un instrument dont les puissances occidentales useraient afin de favoriser leur candidat préféré. Certains considèrent que le Premier Ministre Raila Odinga est une marionnette de l’Occident et même soulignent que les ancêtres de Barack Obama appartenaient au groupe ethnique des Luo, ce expliquerait le fait que l’administration Obama ait donné un soutien implicite à la candidature d’Odinga. Les mêmes pensent que les quatre accusés kényans auraient eu droit à un procès plus équitable au Kenya où les réformes récentes semblent avoir produit un système judiciaire amélioré et impartial.

S’abstenir de promouvoir des politiques qui divisent et de tenir des propos haineux qui pourraient menacer la paix fragile du pays est le plus grand défi auquel doivent faire face tous les candidats. Le Premier ministre Raila Odinga devrait montrer l’exemple en menant des campagnes pour le pardon, la réconciliation, l’harmonie interethnique, l’unité et les bonnes relations. M. Uhuru Kenyatta et William Ruto doivent apprendre la modération verbale au cours de leur défense à La Haye et au Kenya. Il faut être attentif aux signes avant-coureurs parmi les communautés majoritaires des Luo dans le bidonville de Kibera ou dans les réseaux de Kalenjin, Massaï et Kikuyu dans la province de Rift Valley.

Le temps est venu pour aller de l’avant avec des politiques responsables et inclusives. Une politique moins acerbe, éloignée des jugements ethniques et de l’impunité. L’émergence d’une telle classe politique au Kenya galvaniserait la confiance de l’homme de la rue en sa classe dirigeante, réanimerait le patriotisme et accélèrerait le cheminement du pays vers une véritable guérison qui à son tour permettrait de se défaire des dysfonctionnements politiques du passé. Le monde regarde.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS

* Uche Igwe est expert en Gouvernance - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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