Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

Alors que les revers de l’économie globale arrêtent le flux des investissements chinois et occidentaux, l’intérêt des Africains pour l’Inde comme source alternative d’investissements croît. Renu Modi rapporte à Pambazuka la teneur de la récente conférence dont le but est d’encourager les partenariats entre l’Inde et l’Afrique. Les délégués africains à la conférence ont insisté sur la nécessité de soutiens directs aux budgets pour les investissements dans le secteur du développement comme la santé, le développement des capacités et la lutte contre la pauvreté, plutôt que de se focaliser sur des projets d’opportunités financière de grande envergure.

Introduction

La crise économique actuelle a un impact sévère sur le monde développé et les pays en voie de développement et a des conséquences dévastatrices sur le continent africain. Les revers économiques des pays en voie de développement sont doublement frappés : par le commerce et par les finances. Il y a un déclin sévère de la demande, des prix et des revenus d’exportation des matières premières, qui a affecté négativement les pays africains dépendants de l’exportation de matières premières. De même, dans cette phase critique du crédit global, il y a eu une diminution dans le secteur du crédit et des emprunts des banques nationales. Ce qui a pour corollaire, la diminution des investissements étrangers directs dans les pays en voie de développement comme l’Afrique «en raison de la difficulté d’obtenir des crédits et les contractions de l’économie». Selon l’Institute of International Financ» le flux net des capitaux a chuté de 929 milliards de dollars en 2007 à 466 milliards en 2008 et à 165 milliards en 2009» (1)

Dans le sillage de l’effondrement des prix des matières premières et dans la phase de récession économique, les compagnies chinoises, qui semblaient offrir aux pays africains une alternative économique aux investissements occidentaux, avec leur approche inconditionnelle, se retirent maintenant de «la nouvelle ruée sur l’Afrique» à laquelle elles ont participé si agressivement. Par exemple, en Guinée, pays riche en minerais, les Chinois se sont retirés d’un projet hydroélectrique d’un milliard et de plusieurs autres investissements à haut risques dans tout le continent. (2) Ceci devrait convaincre du fait qu’il ne faut pas se laisser éblouir par les Chinois et leurs stratégies d’investissements inconditionnels, et se souvenir que ces derniers ne s’engagent que dès lors que ces investissements servent leurs objectifs politiques, économiques et stratégiques.

Par ailleurs dans le contexte critique des ressources globales, l’Afrique doit diversifier ses sources commerciales et ses sources d’investissements. C’est dans ce contexte qu’un conclave de trois jours a eu lieu en mars 2009, dont le but était « de créer des synergies entre les compétences indiennes et les besoins de l’Afrique». Un conclave qui lui donne toute sa signification. (3)

La rencontre avait pour but d’établir une feuille de route qui permette à l’Inde et à l’Afrique de cheminer ensemble. Les délégués africains donnent des signes aux investisseurs indiens, dans une période difficile de récession économique où les «big boys» se sont retirés et où il y a un besoin accru pour des sources de financement alternatives que l’Inde pourrait offrir. (4) Les autorités indiennes, comme dans tous les autres pays, ont aussi ressenti négativement la récession, mais les moyens d’investir en Afrique existent encore pour eux, parce que leur développement national n’est pas dépendant de l’exportation. Par ailleurs, l’Inde est un partenaire particulièrement approprié pour des modèles nouveaux de développement en Afrique, étant donné ses avantages et son expérience dans les authentiques «triple A technologies», c'est-à-dire des technologies appropriée (Apropriate), adaptable (Adaptable) et peu cher (Afordable).

D’autre part, l’Afrique a tout ce qui est nécessaire à la construction du continent. Le besoin, pour l’heure, est de galvaniser ses ressources humaines et physiques. Les investissements indiens peuvent constituer une contribution significative dans ces années de déclin économique. Car, « face à la crise financière globale actuelle, nos destinées et notre futur sont étroitement liés» (5)

Le commerce indien avec l’Afrique a cru de 967 millions de dollars en 1991 à 35 milliards de dollars en 2008 et New Delhi s’attend à voir tripler les transactions commerciales avec l’Afrique pour atteindre les 100 milliards. L’Inde prévoit, par ailleurs, de doubler la ligne de crédit jusqu’à 5,4 milliards dans les cinq ans à venir et a déjà fourni 500 millions de dollars, sortis de son budget «Aide à l’Afrique» . Il est également question d’investir dans des secteurs comme l’agriculture, les mines, les technologies de l’information et de la communication (ICT), les oléoducs, la chimie, la production d’électricité et son acheminement et dans les infrastructures (6).

Le conclave de mars 2009

La réunion de trois jours, en mars 2009, a été un évènement significatif et a mis en relation 438 délégués africains et 318 délégués indiens, afin de faire le bilan des progrès réalisés et considérer leurs besoins futurs. Elle a permis de consolider les liens rendant le partenariat plus durable. Le besoin d’augmenter les efforts gouvernementaux en ce qui concerne les initiatives privées et de forger de solides partenariats public/privé et des plans d’investissements conjoints entre les deux parties a été exprimé par plusieurs délégués. La réunion a été très bien suivie par des représentants indiens du secteur bancaire, du gouvernement et des entreprises privées, dont EXIM Bank, CII, le ministère des Affaires étrangères, et des capitaines d’industries comme Inter-Alia, Angelique International, Tata Group, Kirloskar Brothers Limited (KBL), Fortis Escorts Hospitals, Mohan Energy Co-operation Pvt. Limited, RITES, Overseas Infrastructure Alliance (OIA), Mahindra and Mahindra Limited, Larsen and Toubro Limited, Shapoorji Pallonji and Company Limited, Mohan Exports et d’autres.

Les secteurs cibles où l’Inde et l’Afrique ont des intérêts en commun sont l’agriculture, les produits agricoles transformés, la construction, les infrastructures ferroviaires, les minéraux, les infrastructures routières, les voies fluviales, les ports et aéroports, l’électricité et les ressources énergétiques non conventionnelles, les soins de santé, les produits pharmaceutiques, l’amélioration des capacités, les technologies de l’information et de la communication, l’acier et le fer, l’éducation, l’eau et l’assainissement, les logements bon marché et le renforcement des communautés, le pétrole et le gaz, des projets de manufacture clé en mains, le tourisme, les petites et moyennes entreprises (PME), la biotechnologie et des biens de consommation.

Les autres domaines avec un potentiel de coopération sont l’économie d’énergie dans les foyers et les bureaux, par le biais de foyers, de résidences et de bureau «verts» et par le transfert de technologie à travers la génération d’énergie renouvelable.

La réunion de 2009 est une étape logique pour resserrer les liens de coopération mutuelle et de réciprocité entre l’Inde et l’Afrique, qui ont été établis au cours des quatre derniers conclaves indo-africains. Il y régnait une atmosphère de confiance qui a permis des échanges d’information et de vues qui ont renforcé les structures qui propagent et construisent des relations économiques durables entre des compagnies indiennes et africaines. Le conclave a renforcé les liens institutionnels forgés lors du sommet indo-africain d’avril 2008 et a promu un partenariat entre les gouvernements, à un niveau institutionnel et industriel.

Il avait pour objet de renforcer les capacités - surtout les ressources humaines - et d’explorer les possibilités pour des investissements indiens dans des projets de longue haleine, de ceux dont l’Afrique a désespèrÉMent besoin (8)

C’est dans le contexte des finances pour investissements que la banque indienne EXIM a favorisé le programme de développement en Afrique, au travers de Lines of Credit (LOC), en rendant disponible des crédits à des taux préférentiels pour soutenir l’exportation de projets, de biens et de services de l’Inde, avec une clause pour des paiements différés. La banque a signé plus de 13 LOC, dont la valeur est de plus de US$ 4 milliards, qui ont facilité l’acquisition, à des prix accessibles, de machines industrielles pour la production, ainsi que des transferts de technologie et ont contribué à la valeur ajoutée de produits primaires de même qu’à la création d’emplois. Pour la banque EXIM, l’Afrique a toujours été un centre d’intérêt et dans les années à venir les Indiens peuvent être une source cruciale de finances en particulier dans le secteur des infrastructures. (9)

Néanmoins, les délégués africains ont exprimé leurs préoccupations concernant l’inflexibilité des LOC qui rend difficile l’approvisionnement et des taux d’intérêt qui ne sont pas viables. Il y a un besoin urgent de parvenir à un accord qui simplifie les procédures et les conditions d’accès aux LOC, comme il est nécessaire de se mettre d’accord sur des taux d’intérêt flexible en raison des fluctuations du marché global aux prises avec la récession. Il serait également judicieux de passer d’un financement de projets au financement de programmes et d’utiliser l’argent pour un soutien direct aux budgets du secteur du développement incluant les infrastructures, la santé, l’éducation, le développement des capacités, l’environnement des affaires, et de la réduction de la pauvreté, ce qui bénéficierait à l’Afrique. (10)

L’Inde est considérée comme le partenaire idéal pour l’Afrique pour différentes autres raisons. D’abord les deux ont en commun une histoire coloniale et d’exploitation. Deuxièmement, ils ont des problèmes de développement similaires : la pauvreté, le chômage, le manque de ressources financières adéquates, pour ne mentionner que ceux-là. Troisièmement, l’Inde est un investisseur potentiel et offre un excellent marché avec de bonnes institutions, un secteur privé solide et comme deuxième pays le plus peuplé au monde, elle est un immense marché. Quatrièmement, elle a les capacités financières pour s’engager dans le commerce, les investissements et le transfert de technologie vers l’Afrique (11)

Le transfert de technologies et de compétences est un domaine potentiel de partenariat entre l’Afrique et l’Inde, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises (PME). Ainsi, le cœur du programme pour les investisseurs indiens serait de développer les capacités et les gens afin de les rendre employables ; ce qui contribuerait à réduire la pauvreté sur le continent africain. Ceci est essentiel afin d’augmenter le pouvoir d’achat des 965 millions d’habitants. (12)

Des organisations comme le CII et les compagnies associées peuvent contribuer à améliorer les ressources humaines au moyen de transferts de technologies et de compétences, de même qu’à travers la micro finance pour les populations de la base, selon le modèle en vigueur en Inde «Build India-Build People» (Construisez l’Inde, construisez les gens) (13)

L’Inde offre des produits et services bon marché. Le consommateur au budget limité est vu comme un marché pour des produits et services fait à la mesure de ses moyens. Il en ainsi dans le cas des services de santé que l’Inde offre actuellement, qui sont accrédités de haute qualité et relativement peu coûteux. Cela aide ainsi à partager le fardeau de la maladie avec l’Afrique. De surcroît, l’Inde offre des consultations aux patients africains au travers son nouveau Pan African E-network, projet du gouvernement indien lancé le 26 février 2009 et faisant partie du programme «Aid to Africa»(14)

En plus du secteur médical les engagements indo-africains ont crû dans différents autres secteurs

Les engagements économiques de l’Inde en Afrique : l’histoire des réussites

Dans le Sud Soudan dévasté par la guerre, la présence de compagnies indiennes comme Angelique International, Water and Power Consultancy Services (WAPCOS) et Spice Telecom et leur rôle dans la reconstruction du pays a été significative et a été très appréciée par les populations locales soudanaises. Lors du conclave, les délégués de ce pays ont invité les Indiens à investir dans les infrastructures, à construire des autoroutes, un réseau de routes qui permettent le développement du tourisme et l’accès aux marchés pour des produits comme la gomme, la canne à sucre, des arbres fruitiers, des citrons et des ananas. Un délégué de ce pays a ainsi confié : «Nous ne retournerons pas à la guerre et nous avons besoin des investisseurs indiens pour canaliser nos revenus pétroliers vers l’agriculture et le développement du tourisme le long du Nil» (15)

Des compagnies comme Kirloskar Brothers Limited (KBL), le groupe Tata, Mahindra et Mahindra et plusieurs autres compagnies sont implantées sur le continent africain en de nombreux endroits et depuis longtemps. Les délégués africains ont déclaré que les véhicules de Tata, les tracteurs de Mahindra, les pompes à eau de Kirloskar utilisées pour l’irrigation des terres agricoles, sont des noms connus dans toute l’Afrique pour leur bon rapport qualité/prix. (16) La présence d’une importante diaspora d’Indiens sur le continent africain a aussi été un facteur non négligeable dans la promotion des produits indiens.

L’Inde et l’Afrique, tous deux pourvus d’économie à prédominance agricole, sont considérées comme des partenaires idéaux. Surtout que New Delhi a réussi à construire un système de sécurité alimentaire pour elle-même. «Il fût une époque où l’Inde était dépendante de l’aide alimentaire importée et le pays ne produisait pas suffisamment pour nourrir sa population. Mais nous savions qu’aucun pays ne pourrait produire assez pour nourrir l’Inde et donc nous nous sommes efforcés à atteindre l’autosuffisance dans le secteur agricole. Aujourd’hui, nous sommes autosuffisant grâce à la Révolution Verte et l’Inde peut partager son expérience avec l’Afrique. Le secteur agricole africain peut donner plus aux fermiers par le biais de la valeur ajoutée des produits traités. La sécurité alimentaire est liée à la santé et a donc une importance cruciale» (17)

Certaines maisons commerciales engagées dans le secteur agricole africain - les Kirloskar au Sénégal, Angelique International au Mali et au Soudan - ont fourni des équipements agricoles adaptés comme de petits tracteurs et des équipements de forage qui sont appropriés et à des prix abordables pour les petits fermiers. Les pompes à eau de Kirloskar et autres équipements d’irrigation ont rendu les fermiers moins tributaires de la pluie et ont ainsi contribué à une augmentation de la production et de la sécurité alimentaire. (18)

Ceci est une contribution aux pays africains qu’il convient de souligner, ceux-ci ayant toujours été des importateurs net de produits alimentaires. Par exemple, le Sénégal, en 2007, a importé pour 700 millions de dollars de denrées alimentaires. Dans des pays comme la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine et l’Ouganda, seul 0,1% des terres arables sont irriguées, avec une moyenne de 4,7% de terres arables irriguées dans toute l’Afrique ! (19) Il s’en suit que le secteur agricole africain pourrait grandement bénéficier de l’engagement des Indiens dans l’agriculture et les secteurs afférents. Avec un partage des réussites.

Il est évident que les Africains étaient pressés d’engager des firmes indiennes, d’apprendre de l’expérience indienne et de reproduire les réussites de l’Inde dans le domaine de l’agriculture et des petites et moyennes entreprises (PME), secteurs qui demandent beaucoup de main d’œuvre et peuvent générer des emplois et réduire la pauvreté.

Célébrer un partenariat

L’Inde et l’Afrique ne sont pas des étrangers l’un pour l’autre et l’engagement de l’Inde envers l’Afrique est différent. L’actuel programme de l’Indian Technical and Economic Cooperation (ITEC) ainsi que les bourses pour les citoyens africains allouées par l’Indian Council for Social Science Research (ICSSR) les nouveaux LOC de plus de 5 milliards, sont des indicateurs de l’engagement accru de l’Inde en Afrique. Les bonds de la télémédecine, de la formation à distance, des programmes du Pan African E-Network sont de lumineux exemples de la coopération Sud-Sud et de la détermination de l’Inde à aider à combler le fossé digital. (20).

Au cours des trois jours du conclave, plusieurs délégués ont déclaré que le partenariat avec l’Inde c’est « comme rentrer à la maison», nombre d’entre eux ayant été soit éduqué en Inde soit ont eu des enseignants indiens dans leur propre pays. Les dirigeants africains ont aussi demandé à l’Inde d’ouvrir ses marchés afin d’accélérer l’équilibrage du commerce bilatérale entre les deux partenaires, ce qui est une demande juste et essentielle si le partenariat entre les deux pays doit être viable. Le partenariat entre l’Inde et l’Afrique bénéficie aux deux parties. D’où cette image : «Le tambour africain et la sitar indienne pourrait créer de la très belle musique» (21)

La clôture du conclave s’est faite dans l’optimisme : ensemble nous pouvons faire la différence

* Renu Modi est directrice du Centre for African Studies à l’université de Mumbai. Elle était déléguée au 5e Conclave de la CII-EXIM Bank sur le projet de partenariat Inde-Afrique du 22-24 mars 2009 à New Delhi. Les vues ici exprimées sont personnelles et sont basées sur les interactions avec différents délégués africains et sa participation dans les sessions du Conclave.

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur