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La façon dont seront traités les Pma sera révélatrice de la capacité ou non d’élaborer une gouvernance inclusive et équitable. Si tel n’était pas le cas, l’effet boomerang de la pauvreté globale ferait que les problèmes de ces pays se retourneraient à terme contre l’ensemble de la communauté

Du 3 au 6 décembre 2013 se tiendra à Bali la 9e conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du comAmerce (Omc) et la 6e de l’ère du programme de Doha pour le développement. Douze années après son lancement, l’ambitieux projet de refonder le compromis productif, normatif et commercial des rapports Nord-Sud n’aura pas survécu aux jeux des intérêts conflictuels des Etats, à la grande récession débutée en 2007 et aux nouveaux déséquilibres de l’économie politique mondiale.

Le plus significatif demeure le recul de la thématique du développement et son effacement face aux enjeux de l’émergence. Cela pose avec acuité la question du traitement des Pays en développement (Ped) non émergents et surtout les pays les moins avancés (Pma) auxquels était dédié ce cycle de négociation. Face aux prometteurs marchés des Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) et tous les autres pays émergents dans leur sillage, faut-il s’attarder sur ces 48 pays, dont 33 africains, qui ne représentent que 0,9 % du Pib mondial, 1 % du commerce mondial, 0,53 % si on exclut les combustibles, 2,5 % des entrées totales d’Ide mais 12 % de la population mondiale ?

La réponse est doublement positive. La façon dont seront traités les Pma sera révélatrice de la capacité ou non d’élaborer une gouvernance inclusive et équitable. Si tel n’était pas le cas, l’effet boomerang de la pauvreté globale ferait que les problèmes de ces pays se retourneraient à terme contre l’ensemble de la communauté internationale, pays du Nord en premier lieu.

La Déclaration de Doha comportait de nombreux engagements généreux en faveur des Pma. Mais du fait de leur caractère non contraignant, leur mise en œuvre débouche toujours sur des résultats peu substantiels qui n’offrent pas à ces pays de réelles perspectives de progrès. En dehors de la dérogation adoptée à la Conférence ministérielle de Genève de 2011, donnant droit aux membres d’accorder un accès préférentiel aux services et fournisseurs de services des Pma et de l’extension de la période de transition pour la mise en œuvre de l’accord sur la propriété intellectuelle par les Pma au titre de l’Article 66.1, les Pma n’ont quasiment rien obtenu de ce cycle.

Autre illustration de cette logique de donnant-prenant, à l’issue de la Conférence ministérielle de Hong Kong (2005), les pays développés et les pays en développement en mesure de le faire se sont engagés à accorder à tous les produits de tous les Pma un accès au marché sans droits ni contingents. Une disposition dérogatoire a cependant tempéré cette offre puisqu’il est admis que les membres qui ont des difficultés à fournir un tel accès à leur marché accorderont une ouverture à 97 % des produits originaires des Pma.

L’offre est ainsi vidée de sa substance par la possibilité de soumettre certains produits à des restrictions d’exportation et d’exclure 3 % des lignes tarifaires des Pma. Compte tenu de la concentration des exportations des Pma sur une gamme limitée de produits, l’exclusion de quelques lignes tarifaires seulement peut effacer tous les bienfaits attendus, ce qui montre les limites de l’accès aux marchés pour la transformation productive et le développement, surtout dans un contexte d’érosion des préférences commerciales.

Le coton, élément emblématique du cycle de Doha, est pris au piège des divergences sur l’agriculture et des jeux d’intérêts qui jalonnent le chemin vers Bali. Son traitement n’est ni « spécifique » ni « rapide », encore moins « ambitieux », termes figurant dans la déclaration ministérielle de Hong Kong (2005). Et Bali n’offre pas de perspectives pour une issue heureuse. Les vrais débats sur les 28 mesures du traitement spécial et différencié sont renvoyés aux calendes « multilatérales » et devraient s’ajouter à la liste déjà très longue des sujets qui s’amoncèlent sur ciel de l’après Bali.

Face à ce bilan, quelles devraient être les perspectives post-Bali ? Il y en trois.

Tout d’abord, la rénovation du traitement spécial et différencié pour que les dispositions prises ne relèvent plus uniquement de la diplomatie déclamatoire. Il faudrait en produire une conception centrée sur les besoins spécifiques des Pma. Une conception qui autoriserait des régulations par produit, centrée sur la compétitivité sectorielle et l’amélioration des marges commerciales extensives. Et qui, au nom de la stabilité et de la sécurité socio-économique interne, permettrait à ces pays vulnérables de se protéger d’une exposition parfois trop excessive à la concurrence mondialisée.

Ensuite, les futures règles du commerce international ne devraient pas contraindre ou empêcher, d’une part, le développement de capacités productives dans ces pays et, d’autre part, la concrétisation des processus d’intégration régionale. Le système commercial multilatéral devrait être un facteur de cohérence et de stabilité pour ces pays qui tentent tant bien que mal de construire une politique commerciale et productive au niveau régional. Cela impliquerait pour l’Omc de mettre en œuvre une négociation de lignes directrices sur les meilleures pratiques volontaires pour les nouveaux accords commerciaux régionaux, particulièrement Pma-Pma, et la modification des accords existants en vue de les rendre plus pro-développement.

Enfin, la consolidation et la pérennisation des deux dispositifs que sont l’aide pour le commerce et le cadre intégré renforcé. Bien entendu une révision et un recentrage de leurs axes d’action sont nécessaires. Les Pma n’y voient aucun inconvénient à condition que cela ne soit pas l’occasion d’en réduire la portée ou d’y introduire une forme quelconque de conditionnalité.

A force de minimiser les exigences des pays les plus pauvres, le paquet développement pour les Pma annoncé en grande pompe risque bien d’arriver vide à Bali. Ces exigences sont pourtant soutenues par tous ceux qui œuvrent pour faire du commerce un véritable instrument au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. Il en va de la crédibilité et de la légitimé de la gouvernance Omc et plus largement de la soutenabilité de la globalisation économique.

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous apprenons que les négociations qui se mènent à l’Omc, à Genève, pour ficeler le « paquet de Bali », c'est-à-dire une série de propositions pouvant faire l’objet d’un accord à Bali, ont échoué. Le Directeur général de l’Omc, le Brésilien Azevêdo, a annoncé en effet que les Membres n’ont pu s’entendre sur des questions cruciales dont l’accord sur la facilitation des échanges. Les Pma ne se plaindront certainement pas de ne pas avoir trouvé un accord sur la facilitation des échanges. Celui-ci obligerait les pays en développement à mettre en place des réformes et des procédures administratives et douanières ainsi que des équipements et technologies pour, dit-on, accroître la célérité des opérations des dédouanements au niveau des ports et aéroports. Ces réformes, les pays développés ont mis des années à les mettre en place. Nul ne conteste l’importance de la facilitation des échanges qui, sous certaines conditions, peut être un puissant instrument pour le développement. Mais il faut savoir pour quoi et pour qui le fait-on ?

Les pays en développement ont avancé des arguments que l’on ne saurait rejeter : l’accord doit aussi obliger les pays développés à fournir les ressources nécessaires à la mise en œuvre des mesures de facilitation des échanges. Ainsi les Ped pourront consacrer leurs maigres ressources à la modernisation de leurs écoles et hôpitaux et au développement de leurs capacités producteurs pour pouvoir profiter, plus tard, de l’ouverture et de la rapidité du commerce.

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** * Cheikh Tidiane Dieye est Directeur exécutif du Centre Africain pour le Commerce, l’Intégration et le Développement (Cacid), affilié au réseau Enda Tiers Monde ; Mehdi Abbas est maître de conférences Grenoble-Alpes Université, Pacte-Edden et chercheur associé au Cacid.

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