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« Depuis 20 ans, des gourous qui sont à la science ce que les sorciers sont à la médecine nous assènent des « vérités » dont les fondements empiriques sont quasi inexistants … » Christian Gomez, directeur de banque à Zurich, le Temps (31/10/2008).

« La crise actuelle … sonne le glas de l’ultralibéralisme, cette école de pensée criminelle fondée par Milton Friedman. » Michel Rocard, ancien premier ministre français, Le Monde (3/11/2008).

Chaque jour la crise financière nous apporte son lot de mauvaises nouvelles et aussi de bonnes analyses. Depuis quelques semaines, nous avons le privilège d’avoir accès à des commentaires et des réflexions d’une lucidité surprenante et rare sur les vraies raisons de la débâcle économique et sociale que vivent les pays développés actuellement.

La crise financière a commencé aux Etats-Unis dans les secteurs immobiliers et bancaires et ses conséquences économiques et sociales sont en train de métastaser de l’Amérique et l’Europe vers les autres pays de la planète. Mondialisation oblige.

Même l’ultralibéral américain le Professeur Francis Fukayama (qui jadis a su voir dans la chute du mur de Berlin « la fin même de l’Histoire ») aujourd’hui nous offre un diagnostic d’une brutale franchise. Dans un article paru dans le Newsweek (13/10/2008) intitulé « La Chute de l’Amérique S.A. », il explique : « Le moteur de la croissance mondiale, l’économie américaine, a déraillé et menace d’entraîner le reste du monde avec lui. Pire, le coupable est le modèle américain lui-même : sous le mantra de moins d’Etat, Washington a failli réguler de manière adéquate le secteur financier et par conséquent a causé des dégâts énormes à la société entière ».

Ayant vu ces mêmes mantras « made in Washington » produire les mêmes conséquences néfastes dans les pays d’Afrique dans les années 80, on est envahi par un sentiment du « déjà vu ». Il y a 25 ans, le mantra en vigueur à Washington s'appelait le « reaganisme » dont le symbole était le président Ronald Reagan, les gourous, les Friedman, Laffer et autres monétaristes et le contenu, le « laisser-fairisme » pur et dur. Les experts en développement de la Banque Mondiale et du FMI en tant que fidèles pratiquants du reaganisme se comportaient dès lors comme des missionnaires dévoués en Afrique et ailleurs.

Ainsi, ils concoctèrent sous prétexte de programme d’ajustement structurel, un mélange idéologique de monétarisme, de dérégulation du marché, de conditionnalités et du service de la dette pour l’administrer aux pays africains demandeurs de prêts bancaires. Des réductions massives dans les budgets de l’éducation et de la santé et la suppression de subventions alimentaires et agricoles (complètement dérisoires en comparaison avec les subventions accordées par l’Etat américain à ses agriculteurs), ont été exigées de façon non négociable. Ces mesures ont vite conduit à l’appauvrissement généralisé de l’ensemble des pays africains. ?

Ces réductions budgétaires ont provoqué les émeutes de la faim, les grèves et l’instabilité politique et sociale dans certains pays, à tel point qu’une nouvelle expression était née : « les émeutes FMI » pour décrire la réaction des citoyens de pays comme le Soudan, l’Egypte et le Nigéria qui protestaient contre l’augmentation des prix des denrées alimentaires et la dévaluation dramatique de leurs monnaies.
De multiples missions de soi-disant experts arrivaient de Washington avec des demandes impératives et invariables : la dévaluation immédiate de la monnaie locale, l’augmentation des prix des récoltes, la libéralisation des importations, la privatisation des marchés…etc. Cette même litanie dogmatique et impérative a été imposée à tous les pays africains sans exception et sans tenir compte des contextes spécifiques. Partout, les conséquences de cette pression ont été dramatiques, à savoir des enfants déscolarisés, des systèmes de santé fragilisés, une industrie locale naissante pratiquement paralysée et finalement, des populations encore plus appauvries.

Partout où elles ont eu lieu, ces «émeutes FMI » ont connu la même réaction de la part des autorités locales : la répression. Certains chefs d’Etat des pays en voie de développement qui osaient résister aux exigences de Washington ont en subit des conséquences. Dans le cas par exemple de Michael Manley, Premier ministre de la Jamaïque à l’époque, il fut chassé du pouvoir. Le président Julius Nyéréré de la Tanzanie quant à lui, a été traité d’ignorant qui « ne connaissait rien en économie».

Il serait intéressant ici de rappeler l’exemple de la Tanzanie et de ses relations avec le FMI. En effet, dès août 1980, le FMI avait donné son accord pour une ligne de crédit de 200 millions de dollars. Cependant, les tractations ont continué pour plus de cinq ans et n’ont finalement pas abouti au respect de cet accord par le FMI. Pourtant, pendant toute cette période qui a coïncidé avec le dernier mandat présidentiel de Julius Nyéréré (1980-1985), le gouvernement tanzanien avait strictement respecté les exigences du FMI, à savoir deux dévaluations successives, le licenciement de 18 000 fonctionnaires, les réductions des subventions alimentaires, etc.

Il faut ajouter que pendant cette même période, les autres institutions et pays donateurs exigeaient l’imprimatur du FMI comme préalable pour libérer leurs propres allocations.

Par contre, un exemple de « deux poids deux mesures » montre comment le Zaïre a bénéficié de prêts importants de la Banque Mondiale pendant la même période. Le Président Mobutu, étant considéré comme un grand ami de Washington, était exonéré des conditions qu’on a imposées à la Tanzanie. En outre, la politique néfaste suivie par les pays donateurs et les institutions de Bretton Woods au sujet du service de la dette contraignait les pays africains à rembourser leurs dettes avant de s’occuper de leurs populations. ?

Les pays africains, au milieu des années 90, ont fini par exporter des centaines de millions de dollar aux pays riches, à la Banque Mondiale et au FMI; ce qui fut une véritable opération hémorragique, ou comme on dit à Washington, «un transfert négatif ». Ainsi, l’absurde lié au tragique faisait qu’en 1997, un pays comme le Mozambique (ruiné par 30 ans de guerre) consacrait 33% de ses revenus total pour le remboursement de la dette et seulement 3% pour l’éducation et la santé des mozambicains.

Aujourd’hui, en 2008, les mêmes mantras ultralibéraux sont venus hanter les travailleurs et les salariés des économies dites réelles. Ces populations se sentent spoliées par les mêmes théories « criminelles » et dépourvues de « fondement empirique » dont ont souffert les africains au cours de ces dernières années. Dans la crise actuelle, les leaders des pays riches ne peuvent pas ignorer que ce « transfert négatif » des ressources vers les riches de la part des pauvres résulte inéluctablement dans la souffrance de ces derniers et dans le rejet des idées fixes.

Devant l’ampleur de la catastrophe, les dirigeants politiques ne semblent pas savoir contrôler la décomposition d’un système de pensée jugé irremplaçable. La seule solution qu’ils offrent est de donner aux banques (par lesquelles le malheur est arrivé) des milliards de dollar provenant des contribuables.

En Tanzanie, nous avons un dicton qui dit : « Quand votre maison brûle et vous faites appel aux secours, faites attention à ne pas prendre les sorciers pour des pompiers ».

* Annar Cassam est ancienne collaboratrice du Président Nyéréré ?ancienne directrice, Bureau de l'UNESCO ?auprès de l'ONU, Genève.)

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