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Trois ans près le tremblement de terre à Haïti, une authentique reconstruction doit avoir pour prémisses que depuis 200 ans le peuple haïtien attend la justice. De même, les efforts pour une authentique reconstruction ne pourront aboutir aussi longtemps que Haïti sera gouvernée par un gouvernement que le peuple n’a pas choisi, aussi longtemps qu’elle sera sous occupation militaire.

Trois ans après le tremblement de terre sans précédent qui a fait au moins 300 000 morts et encore plus de sans abris à Haïti, le monde pose la même question que celle qu’il a posée il y a six mois, un an, deux ans après le 12 janvier 2010.

Pourquoi trois ans plus tard, y a-t-il si peu de signes de reconstruction ? Des centaines de milliers de foyers et plus de mille écoles ont été détruites le 12 janvier 2010. Alors que le monde a promis près de 10 milliards de dollars en assistance, pourquoi y a –t-il eu si peu de reconstruction de logements permanents ou de nouvelles écoles ? Pourquoi, est-ce que trois ans plus tard près de 350 000 Haïtiens demeurent sans abri, vivant dans des camps de tentes pendant que des compagnies étrangères ouvrent maintenant de nouveaux hôtels de luxe coûtant des millions ?

La réponse, simple, à ces questions, est double. Ceux qui détiennent le pouvoir et les ressources susceptibles d’amener le changement à Haïti, n’ont pas la volonté de reconstruire le pays sur des bases inclusives et démocratiques. D’autre part, les efforts pour une authentique reconstruction ne pourront aboutir aussi longtemps que Haïti sera gouvernée par un gouvernement que le peuple n’a pas choisi, aussi longtemps qu’elle sera sous occupation militaire.

Un rapport récent publié dans le New York Times fait état d’une contribution internationale pour assister les victimes du tremblement de terre et pour aider à la reconstruction et, ce faisant, critique légèrement les organisations non gouvernementales (ONG) [1]. Selon les estimations du Times, des 7,5 milliards de dollars qui ont été déboursés à ce jour à des fins d’aide, la moitié a été dévolue à l’aide d’urgence, y compris celle destinée à des abris (c'est-à-dire des tentes), des cliniques, des écoles et à l’assistance alimentaire d’urgence. De la moitié restante, une petite partie a été allouée à de la véritable reconstruction.

Toutefois, la majeure partie des survivants du tremblement de terre n’a toujours pas bénéficié de cette aide de façon significative. La plus grande partie de l’argent est partie vers les ONG étrangères et les contractants privés pour qui le tremblement s’est avéré immensément profitable. Lorsque ces groupes dépensent l’argent récolté, un pourcentage significatif est absorbé par des frais administratifs avant même qu’ils parviennent aux Haïtiens pour qui ces fonds étaient ostensiblement prévus. Oxfam, par exemple, a dépensé plus d’un tiers de son budget de 96 millions de dollars (sur une période de deux ans) pour des frais de gestion. De plus, les Haïtiens ont exprimé leur indignation sur la façon dont les ONG et les contractants privés ont généré une hausse du coût de la vie depuis le tremblement de terre. Pendant que leurs employés louent des appartements coûteux, circulent dans des voitures flambant neuf et font leurs achats dans des épiceries auxquelles la plupart des Haïtiens n’ont pas accès, une famille de Port au Prince s’estime chanceuse si elle peut avoir au moins un repas par jour.

Un rapport du Centre for Global Development confirme l’évaluation du New York Times qui dit que la reconstruction des infrastructures haïtiennes a été lente, en grande partie parce que les récipiendaires de l’argent pour l’assistance ont été le plus souvent des groupes étrangers qui n’ont pas mis la priorité sur la reconstruction. [2] Le rapport du Centre for Global Development est allé plus loin que le New York Times dans ses estimations et révèle que 9,4 milliards de dollars ont été déboursés depuis 2010 et que la majeure partie est revenue aux donateurs, aux ONG étrangères, aux contractants privés et aux Nations Unies.

LE MANQUE DE VOLONTE

Malgré tous les chiffres fournis par le New York Times et les rapports du Centre for Global Development, on passe à côté des raisons fondamentales du manque de progrès en Haïti depuis le tremblement de terre. Dans son article publié par le New York Times, Deborah Sontag attribue la quasi absence de reconstruction à l’immensité de la tâche, à l’ambition excessive des donateurs et des organisations, à la "faiblesse et à la volatilité" du gouvernement haïtien. Elle rapporte comment des millions de dollars ont été siphonnés par des réunions de planification qui n’ont jamais produit de résultats tangibles et comment une poignée de projets qui ont finalement été mis en œuvre- comme la construction de 750 maisons payée par les Américains à Caracol- ont été abandonné avant même qu’ils soient à moitié aboutis.

Qualifier les efforts de reconstruction des organisations étrangères et du gouvernement haïtien comme étant excessivement ambitieux et "idéalistes" doit sembler absurde aux sans-abri de Port au Prince, qui ont vu surgir des hôtels de luxe sur les collines de Petionville. En décembre dernier, après des obstacles majeurs rencontrés il y a trois ans, le Royal Oasis Hotel a ouvert ses portes avec128 chambres qui coûtent plus par nuit que ce que un Haïtien gagne en une année. Le Clinton Bush Fund a investi 2 millions de dollars et bien que la construction ait commencé avant le tremblement de terre de 2010, cet exemple démontre la vitesse à laquelle des progrès et des profits peuvent être réalisés en Haïti, si seulement il y a la volonté. Il est aussi prévu que Best Western Premier ouvre un nouvel hôtel à Pietonville et on annonce que la Croix Rouge Internationale envisage la construction d’un hôtel sur un terrain d’une valeur de 10,5 millions de dollars acheté avec l’argent de donations obtenues suite au tremblement de terre. La même Croix Rouge est assise sur plus de 550 millions de dollars de donations.

Ce que Sontag appelle "faiblesse et volatilité" du gouvernement haïtien, un grand nombre de Haïtiens le considèrent comme de l’illégitimité et de la tromperie pure et simple. En septembre, octobre et novembre 2012, les Haïtiens, dans tout le pays, sont descendus dans la rue pour protester contre l’administration répressive et corrompue du président Michel Martelly. Ce dernier est parvenu au pouvoir un an après le tremblement de terre, suite à des élections frauduleuses. Le journaliste dominicain Nuria Piera a dénoncé Martelly pour avoir accepté un pot de vin de 2,6 millions de dollars depuis le premier tour des élections présidentielles. Un sénateur haïtien Moïse Jean-Charles lui a récemment reproché ses per diem de 20 000 dollars - payés par le gouvernement haïtien- lors de ses fréquents voyages à l’étranger

Comme solution à l’impasse de la reconstruction, le Centre for Global Development recommande que les donateurs offrent davantage de soutien aux besoins et priorités du gouvernement haïtien. Mais à l’instar des donateurs et organisations étrangères, qui ont tenté de reconstruire Haïti sans l’avis des Haïtiens eux-mêmes, ces recommandations ignorent le fait que les priorités de Martelly et de ses acolytes n’ont jamais été celles de la majorité de la population haïtienne.

LE RENARD QUI GARDE LE POULAILLER

Lors de chaque anniversaire du tremblement de terre de 2010, les médias américains soulignent les lents progrès de la reconstruction. Ils ont généralement attribué l’échec américain et du monde à réaliser leurs promesses à deux causes liées : le dysfonctionnement du gouvernement haïtien et les obstacles rencontrés lors des tentatives de travailler avec le leadership haïtien. Mais ce point de vue suppose, à tort, que le gouvernement Martelly a une quelconque légitimité. Il ignore le fait que le gouvernement actuel n’a pas été démocratiquement élu, puisque le parti le plus populaire, Lavalas, a été banni des élections de façon répétée. Plus essentiel encore, il ignore la réalité qui est que Haïti se trouve sous la coupe d’une occupation militaire destructive qui est maintenue par quelques unes des mêmes parties qui proclament vouloir reconstruire Haiti.

Il semble absurde que ceux-là mêmes qui sont responsables du sabotage de la démocratie haïtienne et qui soutiennent les régimes répressifs - les Duvaliers, Martelly- rallient aujourd’hui la cause de Haïti. Il est de notoriété publique en Haïti que les Etats-Unis, la France, et le Canada ont soutenu le coup d’Etat de février 2004, lors duquel le président Jean-Bertrand Aristide a été contraint à l’exil. Sans le soutien financier et militaire de ces nations, l’enlèvement, le coup d’Etat et l’occupation subséquente, n’auraient pas été possibles

Les priorités de Michel Martelly sont totalement opposées à celles de la majorité des Haïtiens. Depuis son installation en mars 2011, la population a constamment demandé sa démission. En accordant son soutien à Martelly, il semble que l’administration Obama appuie implicitement les politiques répressives qui prennent la forme d’arrestations arbitraires et de persécutions politiques, ses activés paramilitaires, le pillage des ressources nationales, son dessein de changer la constitution haïtienne et les évictions forcées qu’il a autorisés après le tremblement de terre

QUI POSSEDE QUI ?

En février 2010, les ministres des Finances des nations du G7 se sont réunis et ont annulé la dette bilatérale de Haïti. Le montant exact effacé n’a pas été divulgué, mais à ce moment la dette de Haïti était évaluée à 1,9 milliards de dollars dont il est supposé que 1,2 milliards ont été annulés lors de la précédente réunion du G7, au mois de juin précédent. Compte tenu du fait que les dommages résultant du tremblement de terre étaient estimés à près de 6 milliards de dollars - ce qui dépassait le produit brut intérieur de Haïti- l’annulation de la dette a été saluée par certains, qui notaient ce qui était évident : la population pourrait maintenant libérer davantage de ses ressources pour reconstruire le pays. Mais pour ceux qui connaissent l’histoire de l’exploitation de la part de certaines de ces mêmes nations, c'est-à-dire la France, les Etats-Unis et le Canada, il est clair que ce "pardon" de la dette était trop peu, trop tard. Ce genre de pardon ressemble au voleur qui jette quelques pièces à la victime déjà dépouillée.

Vingt et un an après la fin de la guerre de la révolution, la France a exigé que son ancienne colonie paie 150 millions de francs or pour compenser ses pertes qui incluaient de la "propriété humaine". Afin de procéder à ses paiements, Haïti a dû faire un certain nombre d’emprunts auprès des banques françaises et américaines avec des conséquences néfastes pour son économie, ses infrastructures et l’instruction publique. Pourquoi les nations du G7 n’ont-elles pas pris en considération cette dette lors de leur réunion en février 2010 ? La seule alternative est soit la condamnation soit l’approbation du crime de la France à l’égard de Haïti.

Pourquoi les nations du G7 n’ont-elles pas considéré que la majeure partie de la dette récente de Haïti a été contractée avant la première élection démocratique de 1990 ? Les prêts qui ont été faits à Haïti au cours de cette période ont alimenté et engraissé la dictature répressive de Duvalier, y compris les escadrons de la mort qui ont assassiné des dizaines de milliers de personnes. Maintenant donc la question devrait être, non pas de combien la dette de Haïti peut être exonérée, ni le nombre de millions promis pour l’assistance suite au tremblement de terre. Une authentique reconstruction doit avoir pour prémisses que depuis 200 ans le peuple haïtien attend la justice. Ses exigences de justice sont légitimes aussi bien sur le plan moral que légal et ont été ignorées depuis beaucoup trop longtemps.

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** Nia Imara est membre de Haïti Action Committee. www.haitisolidarity.net

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