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Les massacres perpétrés par une armée au service de la dictature de Dadis Camara, le lundi 28 Septembre 2009 à Conakry, créent une situation politique nouvelle. Les forces vives, qui regroupent partis d’opposition et syndicats, refusent désormais toutes solutions qui intégreraient, de quelque manière que ce soit, la junte militaire. Mais cette dernière n’entend pas laisser le pouvoir. Cette situation ouvre une ère d’instabilité en Guinée. Selon les scénarios à envisager, il existe un vrai risque que Dadis Camara, avec une partie de l’armée renforcée de miliciens libérien du LURD, se réfugie dans la région de la Guinée forestière et mène une guerre civile.

A la mort de Lansana Conté, le 23 décembre 2008, la prise du pouvoir par Dadis Camara, a été appréciée de façon contradictoire à l’intérieur et à l’extérieur du pays. A l’extérieur, un jugement négatif prévaut. L’Union Africaine suspend la Guinée de son organisation le 29 décembre, la communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fait de même quelques jours après lors de son sommet extraordinaire à Abuja, le 10 janvier 2009. L’Europe voit cette prise de pouvoir avec méfiance, tout comme les Etats Unis qui menacent de suspendre leur aide.

Au niveau international, on considère qu’il y a une rupture constitutionnelle. En effet, la Loi prévoit que c’est au président de l’Assemblée Nationale de succéder au président de la République et organiser les élections dans les 60 jours qui suivent la vacance du pouvoir. Rapidement se mettra en place un Groupe de Contact International afin de pousser la junte militaire à rendre rapidement le pouvoir aux civils en organisant des élections libres et démocratiques.

En Guinée, l’arrivé de Dadis Camara au pouvoir avait représenté un espoir. Les populations brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Fini le règne du mensonge, bienvenue a Obama junior ! », « 15 ans, 15 000 francs (guinéens) le sac de riz ! » ( ). Cet état d’esprit se reflétait dans les premières déclarations des organisations guinéennes. Il n’y avait aucune condamnation des partis politiques d’opposition rassemblés dans la -coalition des forces vives pour le changement- et -l’Alliance Nationale pour l’Alternance Démocratique- qui déclaraient : « Les partis signataires invitent vivement le CNDD à mettre d'urgence en place une structure gouvernementale qui réponde aux aspirations profondes du peuple de Guinée » ( ).

Les organisations syndicales n’étaient pas en reste. Rabiatou Diallo, secrétaire général de la CNTG faisait une appréciation positive du coup d’état « Il faut se féliciter, car mieux vaut tard que jamais. L’intercentrale avait lutté pour le changement. Et tous les points évoqués par l’armée aujourd’hui, tout le peuple et le monde entier savent que ces points figurent dans les revendications de l’intercentrale. Nous avons prôné ce changement. Si l’armée prend aujourd’hui le pouvoir et essaye d’aller vers ce changement, on ne peut que s’en réjouir.. » ( ) Et la société civile jugeait : « Nous pensons qu'il y a là une vraie occasion d'ouvrir le dialogue national et de reconstruire notre pays » ( )

De toutes les organisations guinéennes, certaines positions étaient plus prudentes que d’autres, mais toutes rejetaient la solution constitutionnelle. D’abord le mandat de l’Assemblée Nationale était terminé depuis septembre 2007, et donc son président Aboubacar Somparé ne pouvait légalement assurer la transition. Mais surtout, confier le gouvernement de transition à Somparé revenait à donner le pouvoir à un proche de la dictature de Lansana Conté.

Les discours de Dadis Camara avaient entretenus pendant quelques mois l’état de grâce ; il parlait de lutte contre la corruption, contre le trafic de drogue et contre ceux qui pillaient le pays et affamaient les populations. Il apparaissait dans des émissions de télé faisant avouer aux anciens dignitaires du régime leurs forfaitures. Lors des premiers jours de son coup d’état, il s’était engagé, au nom de toute la junte, à rendre le pouvoir aux civils, à instaurer la démocratie et à faire en sorte qu’aucun des membres de la junte ne puisse se présenter aux élections présidentielles.

Ces annonces semblaient ouvrir la voie à une démocratisation du pays où Camara aurait joué un rôle de juge et d’arbitre dans les élections garantissant ainsi la sincérité du scrutin.
Mais hélas, un autre scénario s’est produit qui entre dans la logique du rôle que l’armée joue dans ce pays.

L’héritage de Sékou Touré

La Guinée, conduite par Sékou Touré, était le seul pays qui avait obtenu son indépendance en 1958 contre la volonté de la France. Celle-ci cessa ses relations diplomatiques en 1965 et n’eut de cesse, du moins au début, que de déstabiliser le régime, comme l’illustre la tentative de débarquement d’exilés guinéens, appuyés par les portugais, ou par des tentatives de meurtre. Cela poussa Sékou Touré à soutenir une armée, comme socle de son pouvoir, à organiser des purges qui feront des dizaines de milliers de morts ceci dans le but de prévenir des vrais et des faux complots et à se rapprocher du bloc soviétique qui ne sera pas un exemple en matière de respect des droits humains.

Le successeur de Sékou Touré, Lansana Conté, lui-même colonel, arriva au pouvoir en 1984 par un coup d’état en installant un conseil militaire et proclama la rupture avec le régime précédent.
Lansana Conté s’appuyait sur l’armée mais fut confronté à des tentatives de coup d’Etat ou de mutineries. Conscient qu’en perdant l’appui de l’armée, il perdait le pouvoir, il accepta les exigences des militaires. L’état subventionnait 90 % du prix du riz pour les soldats, les promotions d’officiers étaient largement octroyées au point de se retrouver à un ratio d’un officier pour trois soldats (alors qu’en moyenne, dans les autres armées, le ratio est de un pour dix ( ) et surtout il assurait l’impunité aux soldats.

En 2006, puis en janvier/février 2007, les différents corps de l’armée menèrent une répression sanglante des manifestations qui avaient lieu dans tout le pays ; on déplora plus d’une centaine de morts ainsi que 1500 blessés. Beaucoup de témoignages firent état de soldats débusquant des gamins cachés pour les exécuter de sang froid. Ils n’hésitèrent pas à saccager la bourse du travail et molester les dirigeants syndicaux.

En 2008 ce furent les militaires qui descendirent dans les rues de la capitale avec leurs armes tirant sur la foule et occasionnant une centaine de blessés. Une fois leurs revendications acceptées, notamment celle pour un rappel de salaire de 1140 dollars, ils matèrent avec férocité des policiers qui tentaient de les imiter. Sous la direction de Pivi Coplan, ils tuèrent deux policiers et pillèrent le camp de police du quartier Cameroun de Conakry, volant mobiliers et appareils ménagers. ( ) Pivi Coplan que l’on retrouvera au côté de Dadis Camara dans la junte.

Ce fut une armée déliquescente, corrompue avec des comportements de milice qui vivait sur le dos des populations, mais qui bénéficiait de la coopération avec l’armée française jusqu’au massacre du 28 novembre.

Une situation délétère

Il est difficilement compréhensible que Dadis Camara, avec sa junte militaire, puisse être acclamés alors qu’un an auparavant cette même armée faisait plus d’une centaine de mort lors de la grève générale de 2007, sauf À accepter le désarroi d’un peuple qui n’a aucune autre alternative. Car la force de Dadis Camara était de se présenter comme l’homme qui allait tout changer et sauver le pays. Certes, il aurait été plus crédible si le coup d’Etat avait eu lieu au moment de la répression contre les masses par un régime finissant aux abois. Dadis Camara aura été jusqu’au bout un fidèle de la dictature de Lansana Conté et a joué les négociateurs lors des dernières mutineries. D’ailleurs, à aucun moment il n’a critiqué le dictateur, estimant qu’il était seulement mal entouré et mal conseillé.

Après la mort de Lansana Conté, une course de vitesse s’est engagée entre, d’un coté, le clan de l’ancien dictateur représenté par le Général Diarra Camara (chef d’Etat Major), le vice-amiral Ali Daffé (ancien chef d’état-major de la marine nationale) et son adjoint, le contre-amiral Fassiriman Traoré et, de l’autre côté, le capitaine Dadis Camara, Pivi Coplan et Sekouba Konaté. La victoire de Dadis Camara tient au rôle qu’il avait joué comme porte parole des soldats lors des mutineries. Cette popularité lui avait permis de regrouper une armée qui connaissait en son sein de multiples divisions s’ordonnant autour des grades, des corps d’affectation ainsi que sur des questions d’appartenance communautaire. Camara s’est affronté à la plupart des généraux, dont une vingtaine fut mise à la retraite. Ce qui lui avait permis de bénéficier du soutien des officiers qui voyaient là une occasion de passer officiers supérieurs et du soutien de la troupe qui a toujours suspecté les généraux de détourner une partie des leurs soldes.

La faiblesse des partis politiques est patente en Guinée ; la plupart de ces organisations représentent plus une communauté qu’une idéologie avec un programme clairement établi. L’absence de crédibilité s’est révélée lorsqu’il a fallu opposer un front commun à la junte. Ils ont été incapables de s’unir pour présenter une alternative crédible de transition démocratique.
Les seules organisations qui sont audibles et combatives et qui représentent l’ensemble des populations, dans leur diversité d’origine, sont les organisations syndicales. Elles ont réussi à mener, dans des conditions difficiles, des grèves générales unifiant l’ensemble de la population sur des revendications visant à améliorer des conditions de vie précaires, mais aussi des revendications politique contre la corruption et pour la défense des libertés. La Guinée, qui est pourtant un pays riche en minerai, notamment bauxite, fer et or et qui possède un accès à la mer, est classé 160e sur 174 pour l’indice de développement humain et l’espérance de vie est de 56 ans ! ( )

Le 28 septembre le tournant

Après quelques mois, les militaires de la junte s’étaient confortablement installés au pouvoir, détournant les fonds publics à leur profit, plaçant leurs hommes de confiance dans les principaux postes. Dadis Camara, de manière de plus en plus explicite, préparait sa candidature pour l’élection présidentielle en interdisant tous les rassemblements de l’opposition, autorisant seulement les activités politiques de ses seuls partisans autour du mouvement DDR (Dadis doit rester).

C’est contre cette dérive que l’opposition a appelé à un meeting au plus grand stade de Conakry. L’armée est intervenue, conduite par le ministre de la Sécurité et l’aide de camp de Camara, le lieutenant Toumba, en tirant, à bout portant, sur les manifestants, en violant les femmes et en tabassant les dirigeants de l’opposition. Beaucoup de témoins font mention de la présence de miliciens du Liberia. A ce jour, il est fait état de 157 morts et de milliers de blessés.

Ce massacre perpétré sera un tournant pour le pays. Il décrédibilise, pour longtemps, les militaires qui se prétendaient sauveurs du pays. L’attitude de Camara a démontré qu’il n’y avait rien à attendre de cette armée et que son comportement brutal vis-à-vis de la population n’était pas seulement une question de dirigeants ou bien de circonstances. Dans sa pitoyable tentative pour se dédouaner, Camara pointe une vérité : l’armée devient incontrôlable, mais seulement il oublie de dire qu’il en a été largement responsable en ayant favorisé une politique d’impunité. En effet, l’association Human Right Watch avait déjà averti le chef de l’Etat, en avril dernier, des nombreuses exactions de soldats allant de l’extorsion de fond à des crimes bien plus graves comme le viol. Dans tous les cas aucune action judiciaire n’a été menée à l’encontre des soldats fautifs. ( ) Dadis Camara a aussi intégré des centaines d’hommes de la région dite des forêts, à la frontière du Libéria dont il est issu, accentuant ainsi encore plus la déliquescence de l’armée.

Aujourd’hui, l’opposition est unie pour refuser toute union nationale avec la junte et exiger son départ ; elle appelle également à une intervention extérieure armée qui protégerait la population de son armée. Cette exigence est largement partagée, cependant elle pose plus de problèmes qu’elle n’en règle.

Il est peu probable que les pays occidentaux l’acceptent. De plus leurs interventions n’ont jamais réussi à régler quoi que ce soit, comme l’attestent les récents exemples du Darfour ou même de la République Démocratique du Congo où les libertés et les respects des droits humains sont gravement remis en cause. Une participation de la France, à cette force, aurait quelque chose d’inconvenant, elle qui a maintenu pendant des décennies une relation étroite avec l’armée guinéenne

L’autre solution, qui serait une intervention d’une force africaine, peut aboutir dans un face à face qui risquerait de dégénérer et dont la population ferait une fois de plus les frais. Les expériences de l’ECOMOG (force armée de paix de la CEDEAO), dans les années 2000 au Libéria et en Sierra Leone, montrent de graves violations des droits humains, y compris sur les populations civiles, dont se sont rendus coupables ces soldats de l’ECOMOG. ( ) Et en Guinée-Bissau cette dernière n’a pas empêché le coup d’état militaire. L’exemple des Comores, où des troupes de l’Union Africaine sont intervenues contre le coup d’Etat de Mohamed Bacar n’est pas probant car l’armée, à Anjouan était, en nombre et en armement, infiniment inférieure à celle de Guinée.

Une intervention armée des forces africaines créerait une situation de guerre. Il existe un vrai risque que Dadis Camara, avec une partie de l’armée renforcée de miliciens libérien du LURD, se réfugie dans la région de la Guinée forestière et mène une guerre civile. Cette situation serait peu propice aux luttes et au contrôle des populations sur la structure de pouvoir de transition qui serait mis en place.

Reste que la construction d’une mobilisation populaire, en profondeur, demeure la solution la plus crédible qui permettrait aux populations de conforter leur unité au-delà des communautés et de préparer une alternative politique et sociale qui tiendrait compte de ses besoins immédiats. Les Guinéens, notamment avec leurs organisations syndicales, mais aussi avec les structures locales rassemblant les jeunes, les femmes, les paysans, etc., seraient des points d’appui dans cette lutte. Plus qu’une intervention militaire, la lutte de tout un peuple peut, par le rapport de force créé ainsi que par des pressions internationales, enrayer les actions de l’armée.

Déjà en 2007, lors de la grève générale, certaines villes n’avaient encouru aucune répression des manifestions. Non que les forces armées soient plus démocrates ou plus humanistes, mais simplement parce que les soldats avaient reçu des menaces de représailles suffisamment explicites pour que les soldats s’abstiennent de toutes violences. ( ) Notre solidarité participe au rapport de force en faveur des populations. La lutte doit être menée pour parvenir à l’isolement international de la junte, jusqu'à son départ. L’exigence de la libération des prisonniers lors des manifestions du 28 septembre. La création d’une commission d’enquête.
La structuration syndicale, importante en Guinée, doit permettre des parrainages, des jumelages avec les syndicats des autres pays. Il faut œuvrer dans ce sens.

NOTES

1) Afrik.com 25/12/2008
2) Déclaration CFC ANAD du 24/12/2008
3) Propos recueillis par Mamadou Siré Diallo et Dian Baldé L’Indépendant, partenaire de www.guineeactu.com
4) IRIN décembre 2008 Bakary Fofana, vice-président du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG)
5) Le grand malade de l'Afrique de l'Ouest par Olivier Rogez RFI 01/10/2009
6) IRIN juin 2008
7) Indicateur sur le genre, la pauvreté et l’environnement sur les pays africains in Banque africaine de développement
8) HRW communique du 27 avril 2009
9) HRW lettre au Président Kufuor du 18 juillet 2003
10 ) HRW mourir pour le changement notament p. 37

* Paul Martial contribue au Blog du groupe de travail "Afriques" de la Ligue communiste révolutionnaire

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