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Depuis les événements qui ont mené au génocide au Rwanda et une profonde déstabilisation de la région des Grands Lacs, la RD Congo a vu son territoire devenir le théâtre de toutes les grandes manœuvres et guerres qui déchirent la zone. Notamment dans sa partie orientale. Aujourd’hui, après quinze ans d’instabilité, avec des options militaires qui ont toutes échoué et une incapacité de la communauté internationale à proposer des solutions justes et adéquates, Vital Kamarhe redoute que la situation ne vire à une somalisation de l’Est du Congo.

A la suite du génocide de triste mémoire de 1994, près de 2 millions des réfugiés rwandais en majorité des hutus vont se déverser dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu à l’Est de la RDC. Ces réfugiés parmi lesquels les ex-Forces armées rwandaises (FAR), l’armée de l’ancien président Habyarimana, étaient venus sous l’encadrement des militaires français à travers l’Opération turquoise entérinée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Sous la barbe de la communauté internationale, ces militaires, parmi lesquels les responsables du génocide au Rwanda, ont traversé avec armes, munitions et argent. Alors que l’ONU avait toute la possibilité de les désarmer avant leur entrée sur le territoire congolais et de les séparer des autres civils n’ayant pas pris part au génocide. Bien plus encore, les Nations Unies, sous l’autorité desquelles étaient placés ces hommes en armes, les ont regardés s’adonner à des entraînements militaires dans les camps des réfugiés d’où ils partaient pour faire des incursions au Rwanda, leur pays d’origine. Première défaillance de la communauté internationale.

Pour éloigner cette menace que représentaient ces ex-FAR vis-à-vis de Kigali, il fut décidé, à l’issue d’une tripartite Zaïre-Rwanda et HCR, de leur déplacement à au moins 150 km des frontières à l’intérieur du Congo. Alors que les sites d’accueil avaient déjà étaient indiqués, l’ONU, prétexta le manque des moyens pour maintenir ces réfugiés, civils et militaires confondus, sur place à un jet de pierres de leur pays d’origine. Deuxième erreur de la communauté internationale ;

Aujourd’hui, cela n’est un secret pour personne, l’élément déclencheur du génocide, c’est l’attentat suivi de l’assassinat du président Habyarimana. A ce jour, plusieurs rapports contradictoires existent sur les responsabilités éventuelles de ces faits graves. De leurs côtés, les Nations Unies n’ont jusque-là diligenté aucune enquête sérieuse pour élucider cette question. Troisième erreur de la communauté internationale.

Avec certainement la conscience chargée de n’avoir pas empêché cette tragédie, la communauté internationale s’est montrée très laxiste vis-à-vis du pouvoir de Kigali, auquel elle n’ose pas imposer les mêmes exigences d’ouverture démocratique, comme cela a été fait au Congo et au Burundi où des dialogues internes ont été sollicités et obtenus. Quatrième erreur de la communauté internationale.

Pour sécuriser son territoire et prévenir un autre génocide, la communauté internationale avait donné à Kigali, de façon latente, le feu vert de venir régler militairement sur le territoire congolais le problème des ex-FAR avec des dégâts collatéraux énormes sur les pauvres populations civiles congolaises parmi lesquelles ont déplore des millions de morts. En 1997, sous le label de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) et avec la nomination de James Kabarebe (actuel chef d’état-major général de l’armée du Rwanda), une année durant, à la tête de l’armée congolaise, le Rwanda n’a pas su venir à bout du phénomène FDLR qui s’est plutôt amplifié. En 1998, après la guerre d’agression suivi de cinq ans d’occupation avec l’aide de la rébellion congolaise du RCD , le Rwanda n’a pas non plus résolu le problème des ex-Far bien au contraire.

Alors que les institutions issues du dialogue intercongolais étaient déjà installées en 2003, l’appui apporté au général Nkunda, six ans durant, qui s’était insurgé contre le commandement des Forces armées congolaises (FARDC) pour créer la rébellion du CNDP, par le Rwanda, n’a pas non plus résolu le problème des ex-FAR. Au contraire, les viols, les violences et autres exactions contre les populations civiles ont pris de l’ampleur, sans parler de l’accentuation des pillages et du commerce illicite des ressources naturelles. Cinquième erreur de la communauté internationale.

Tous les pays voisins du Congo à l’Est sont devenus des exportateurs des minerais dont ils ne disposent pas de gisements significatifs sur leurs territoires. Et même les multinationales et pas des moindres sont citées dans tous les rapports des experts comme étant les relais intéressés par ce commerce du sang. Une économie du chaos s’est donc installée sous l’impuissance des Nations Unies qui ont bien identifié les acteurs étatiques et privés concernés, et aussi sous l’œil complaisant des certaines puissances occidentales qui ont pourtant les moyens d’appliquer des sanctions pour mettre fin à ce cycle de violences lié à ce commerce qui entretient la guerre et les groupes armés. Sixième erreur de la communauté internationale.

Pour les experts de la communauté internationale, l’administration Bush en tête, il fallait des opérations conjointes RDC-Rwanda dans le Nord-Kivu et pour plier Kinshasa, qui était réticent au départ quant au succès d’une telle aventure, il fallait pousser Nkunda jusqu’à la porte de Goma. Le bilan, après ces opérations, est plus que mitigé. Que des populations déplacées, que des victimes innocentes des viols, des violences sexuelles, des tueries, et des pillages... Septième erreur de la communauté internationale;

Alors que l’on n’a pas tiré les conséquences des opérations conjointes au nord Kivu, le gouvernement congolais avec l’appui de la MONUC, a initié une opération analogue dénommée Kimia 2. Aujourd’hui, il est établi que c’est un mauvais jugement de plus au regard du bilan partiel, jusque-là macabre (accentuation des viols, des violences sexuelles, des déplacements massifs des populations et des massacres à grande échelles). Huitième erreur de la communauté internationale.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’au moment où la RDC et le Rwanda concluaient l’accord de Goma, ce dernier pays était déjà l’objet des sanctions de la part de la Suède et des Pays Bas à cause de son implication avérée dans le conflit à l’Est de la RDC.

Alors qu’à l’issue de l’accord de Goma, soutenu par la communauté internationale, il avait été prévu l’intégration du CNDP au sein des Forces armées de la RDC, il est établi, aujourd’hui, que les effectifs de CNDP communiqués au début de la conférence de Goma ont miraculeusement été multipliés par deux, ce qui fait dire à certaines ONG internationales que ce sont les FARDC qui ont été intégrées dans les CNDP dans les provinces du Nord et du Sud Kivu. La MONUC, qui avait déjà établi un plan à cet effet, a préféré fermer les yeux. Neuvième erreur de la communauté internationale.

Alors que le bilan de l’intervention de la MONUC dans les opérations précédentes n’a pas encore été totalement établi, on annonce encore une autre opération sans donner la preuve d’avoir tiré les leçons des erreurs du passé. Dixième erreur de la Communauté internationale.

Au regard de ce qui précède, et après quinze ans d’instabilité, on peut affirmer, sans peur d’être contredit, que toutes les options militaires envisagées ont échoué. Il y a risque, si on n’y prend garde, d’assister à la somalisation de l’Est du Congo, où les ex-FAR lnterahamwe, aujourd’hui FDLR, risquent de se transformer en une véritable guérilla du genre des FARC en Colombie ou encore en un véritable mouvement terroriste comme I’ETA en Espagne, les Talibans en Afghanistan ou comme Al Qaeda.

Il y a lieu aussi d’épingler les erreurs du Rwanda et de l’Ouganda qui, malgré les limites avérées de leurs stratégies, continuent à croire qu’ils peuvent résoudre militairement les questions de sécurité au sein de leurs pays respectifs sur le territoire de la RDC. On note l’existence d’agendas cachés en procédant par la manipulation des quelques Congolais qui, par opportunisme politique, s’allient à leur cause visant à maintenir la RDC dans un état d’instabilité permanente. Cette stratégie risque de ne pas être payante à long terme lorsqu’on se souvient du cas du FPR qui, quarante ans après l’exil forcé en Ouganda, avaient fini par s’organiser pour déstabiliser le régime d’Habyarimana et reconquérir le pouvoir d’Etat au Rwanda.

* Vital Kamerhe est président honoraire de la chambre basse du Parlement de la RD Congo. Ce texte est extrait d’un discours prononcé au Canada

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