Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

Au bout d’une année de présidence, Barak Obama poursuit essentiellement la même politique d’action militarisée que ses prédécesseurs au cours de la décennie écoulée, note Daniel Volman. Une conséquence de la foi du président américain en la nécessité de poursuivre la guerre contre la terreur globale et des considérations politiques pragmatiques concernant le ravitaillement des Etats Unis en pétrole. L’approche de l’Afrique par Obama se fonde ainsi entièrement sur l’affirmation de la puissance militaire de son pays, conclut Volman

Lorsque Barak Obama a été assermenté comme président des Etats-Unis en janvier 2009, il était généralement attendu qu’il procède à des changements radicaux, voire qu’il se détourne de la politique militaire unilatérale de sécurité à l’égard de l’Afrique (ainsi que d’autres parties du monde) poursuivie par l’administration Bush. Le discours prononcé par Obama au Ghana, en juillet 2009, et la tournée africaine de la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton en août 2009, ont encore contribué à accroître ces attentes. Mais après une année de présidence, il est clair que l’administration Obama poursuit essentiellement les mêmes politiques que celles qui ont guidé l’implication militaire américaine en Afrique pendant plus d’une décennie.

Ainsi, dans sa requête budgétaire pour le département d’Etat, pour l’année fiscale 2010, l’administration Obama a demandé une augmentation substantielle de vente d’armements américains et de programmes d’entraînement pour les pays africains ainsi que pour des programmes régionaux du continent. Ceci inclut :
- le Foreign Military Financing Programme (programme de financement militaire à l’étranger), qui paie les ventes d’armes aux pays africains,
- The International Military Education and Training Programme (le programme international de formation et d’entraînement militaire) pour instruire les officiers militaires africains aux Etats-Unis,
- le Trans-Saharan Counter Terrorism Partnership (le partenariat transsaharien de contre terrorisme) et l’East Africain Regional Strategic Initiative (pour fournir un entraînement et de l’équipement aux forces militaires dans les pays d’Afrique du Nord, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique de l’Est),
- l’International Narcotics Control and Law Enforcement Programme (le programme de contrôle des stupéfiants et de l’application de la loi), qui doit fournir de l’équipement, des infrastructures et de l’instruction à la police et à d’autres agents impliqués dans l’application de la loi en Afrique), ainsi que des programmes d’entraînement militaire afin de contribuer à la mise en œuvre des accords de paix (Soudan, Liberia et la République démocratique du Congo),
- l ‘African Contingency Operation and training Assistance Progamme (qui fournit l’entraînement et l’équipement aux forces armées d’un certain nombre de pays africains afin de renforcer leur capacité à mener des opérations de maintien de la paix et autres activités militaires) et
- plusieurs autres programmes anti-terroristes y compris l’Anti-Terrorism Assistance Programme, the Terrorist Interdiction Programme, le Counterterrorism Financing Programme et le Counterterrorism Engagement Programme pour fournir l’entraînement et l’équipement aux pays africains et créer des liens avec les personnalités politiques clé du continent.

Dans sa requête budgétaire pour le département de la défense, pour l’année fiscale 2010, l’administration Obama a demandé 278 millions de dollars afin de financer le nouveau Africa Command (AFRICOM) et le programme du Partenariat transsaharien de contre terrorisme au quartier général d’AFRICOM à Stuttgart, en Allemagne. De surcroît, l’administration a demandé 60 millions de dollars aux finances du département de la Défense, pour l’année fiscale 2010, afin de payer des opérations de la Combined task Force for the Horn of Africa (Forces combinées pour la Corne de l’Afrique - CJTF-HOA), ainsi que 249 millions de dollars pour le fonctionnement de la base de 250 hectares de la CJTF-HOA, au Camp Lemonnier, à Djibouti et 41.8 millions de dollars pour des projets pour d’importants travaux d’amélioration de la base.

Outre les requêtes budgétaires de l’administration Obama, la déclaration de la secrétaire d’Etat Clinton, lors de sa visite au Nigeria, en août 2009, donne une indication additionnelle que la nouvelle administration va continuer, en Afrique, la politique de sécurité nationale, unilatérale et militaire, de ses prédécesseurs. Suite à sa réunion au Nigeria avec Ojo Madukwe, le ministre des Affaires étrangères et Godwin Abbe, le nouveau ministre de la Défense, la question a été posée à Mme Clinton de savoir ce que le gouvernement américain avait l’intention de faire afin d’aider le gouvernement nigérian à rétablir la paix et la sécurité dans le delta du Niger.

Ce qu’elle a répondu tient à ceci : «Le ministre de la Défense était présent lors de la deuxième réunion, plus importante que celle mise sur pied par le ministre des Affaires étrangères. Et il avait des suggestions très spécifiques quant à la façon dont les Etats-Unis pourraient assister le gouvernement du Nigeria dans ses efforts pour ramener la paix et la stabilité dans le delta du Niger, lesquelles nous paraissent prometteuses. Nous allons examiner ces propositions. Rien n’a été décidé. Mais nous avons une bonne relation de travail entre nos militaires. Donc je vais parler avec mon homologue ministre de la Défense, et par nos efforts conjoints, au travers des mécanismes de la commission binationale, nous déterminerons ce que le Nigeria nous demande en matière d’aide, parce que nous savons que ceci est un problème interne qu’il appartient au peuple nigérian et à son gouvernement de résoudre et ensuite nous verrons quelle assistance nous pouvons offrir».

Ainsi, en plus du programme d’assistance en matière de sécurité, tel qu’il figure dans la requête budgétaire pour l’année fiscale de 2010, l’administration Obama considère maintenant qu’il lui est loisible de renforcer le soutien militaire au gouvernement du Nigeria pour des opérations dans le delta du Niger, lorsque celui-ci reprendra ses opérations militaires contre les insurgés dans cette région productrice de pétrole (une ressource vitale dont 10% de la production est importée par les Etats-Unis), quand le présent programme d’amnistie aux rebelles du MEND aura échoué ; ce à quoi s’attendent de nombreux analystes.

D’autres indications concernant la politique nationale de sécurité de l’administration Obama à l’égard de l’Afrique se trouvent dans sa décision d’étendre l’implication militaire américaine en Somalie et sa décision de poursuivre la politique de l’administration Bush qui consiste en des attaques unilatérales contre des agents présumés d’Al Qaeda dans ce pays.

En juin 2009, un fonctionnaire supérieur du Département d’Etat (il est supposé qu’il s’agissait de l’Assistant Secretary of State, Johnnie Carson) révélait que l’administration Obama avait initié un programme de soutien militaire indirect pour le Gouvernement Fédéral de Transition de la Somalie, gouvernement internationalement reconnu, quand bien même il ne contrôle qu’une petite partie de la capitale, Mogadiscio et quelques autres villes dans le sud du pays. Selon ce fonctionnaire, le gouvernement américain fournissait une aide financière au GFT à des fins d’achats d’armements. Il a aussi sollicité les gouvernements de l’Ouganda et du Burundi (qui ont envoyé des troupes dans le cadre du mandat de protection du GFT de l’Union africaine) afin qu’ils transfèrent de l’armement provenant de leur propre réserve en échange de promesses américaines de remboursement. En outre, le gouvernement américain a mis à la disposition d’autres gouvernements sa base de Djibouti afin de donner instruction et entraînement aux forces armées de la GFT.

Au cours de sa visite au Kenya , en août 2009, Hillary Clinton annonçait que le gouvernement américain ‘’ continuerait de fournir équipement et entraînement au GFT’’. Elle déclarait alors : ‘’ Tout au début de cette administration j’ai pris la décision, approuvée par le président, de fournir une aide accélérée au GFT’’. Et d’ajouter que Al Shabaab, le groupe des insurgés islamistes qui combat pour renverser le GFT, est ‘’ un groupe terroriste ayant des liens avec Al Qaeda et d’autres réseaux militaires étrangers qui considèrent la Somalie comme un havre futur pour le terrorisme global’’. ‘’ Il n’y pas de doute, a continué la secrétaire d’Etat, qu’’’Al Shabaab veut obtenir le contrôle de la Somalie afin d’en faire sa base à partir de laquelle il influencera et même infiltrera les pays voisins et lancera des attaques contre des pays proches et lointains.’’ Ainsi ’’si Al Shabaab parvenait à obtenir l’asile en Somalie, ce qui attirerait Al Qaeda et d’autres acteurs terroristes, ceci représenterait une menace pour les Etats-Unis’’, affirmait-elle.

En mai et août 2009, le gouvernement américain a organisé la fourniture initiale de quelque 40 tonnes de petites armes et de munitions, d’une valeur d’environ 10 millions de dollars à l’intention du GFT, matériel provenant des stocks des troupes de maintien de la paix de l’Union africaine, avec entre 1 à 2 millions de dollars en liquidités, afin que le GFT puisse procéder à ses propres achats d’armement et de munition au cours des mois suivants. Quelques autres gouvernement, comme le Kenya, l’Ouganda, le Burundi et la France, sont réputés avoir envoyé du personnel militaire à la base américaine de Djibouti afin d’entraîner les troupes du GFT.

Selon une dépêche de l’Associated Press (AP), des fonctionnaires américains ont déclaré que ’’les militaires américains ne participent pas à l’entraînement et n’enverront pas de troupes en Somalie’’. AP ajoute que d’autres pays s’occupent de l’entraînement parce que ‘’ l’administration d’Obama fait un effort concerté afin d’éviter d’apposer une marque américaine qui contrarierait leurs alliés et alimenterait les accusations de mainmise occidentale, de la part des extrémistes islamistes’’. Néanmoins, il est clairement apparu, dans l’intervalle, que la majeure partie des armes et de l’entraînement a été transféré à Al Shabaab, soit par le biais de militants islamiques qui ont infiltrés les forces militaires du GFT soit parce les armes et les munitions ont été vendues au marché noir.

Puis, en août, les Forces Spéciales américaines ont attaqué et tué Saleh Ali Saleh Nabhan, agent présumé d’Al Qaeda qui était accusé d’être impliqué dans l’attaque à la bombe de l’ambassade américaine au Kenya et en Tanzanie, en août 1998, ainsi que dans d’autres opérations d’Al Qaeda en Afrique de l’Est. Les Forces Spéciales américaines ont attaqué Nabhan et de sa suite alors qu’ils voyageaient dans un convoi composé de quatre véhicules 4X4, à partir de plusieurs hélicoptères qui provenaient d’un navire de guerre américain posté sur la côte somalienne, usant de mitrailleuses et de fusils d’assaut automatiques. Suite à l’assaut initial, les hélicoptères ont atterri afin que les troupes puissent se saisir du corps de Nabhan et l’identifier. Il est probable que l’administration d’Obama mènera d’autres opérations militaires en Somalie, compte tenu de ce que le vice-amiral Robert Moeller, le numéro de l’AFRICOM disait, à savoir que ‘’ la menace posée par Al Shabaab est quelque chose que nous suivons de très, très près’’

Et en octobre 2009, l’administration Obama annonçait un nouvel ensemble de mesures majeures d’assistance pour la sécurité du Mali qui ont été fournies le 20 octobre 2009. L’ensemble de ces mesures, évaluées à 4.5 à 5 millions de dollars (2,3 milliards de CFA), porte sur la remise de 37 camion Land Cruiser, du matériel de communication, des pièces de rechange, des habits et d’autres équipements individuels. Il a pour but de renforcer la capacité du Mali à transporter et à communiquer avec les unités de la sécurité intérieure (la contre insurrection) dans tout le pays et de contrôler ses frontières. Ces mesures d‘assistance à la sécurité sont officiellement connues sous le nom de Counter Terrorism Train and Equip Programme (Programme de formation et d’équipement anti-terroriste - CTTE). Bien que ce programme doive ostensiblement aider le Mali à faire face aux menaces potentielles de la part d’Al Qaeda au Maghreb, il est plus probable que cet équipement sera utilisé contre les forces touareg insurgées.

De plus, entre avril et juin 2009, 300 soldats des Forces Spéciales étaient engagés au Mali afin d’instruire les forces maliennes dans trois bases. Et selon le lieutenant colonel Louis Sombora, vice commandant du 33ème régiment malien de parachutistes du Mali (qui était le récipiendaire de cette nouvelle aide américaine), plus de 95% de ses soldats ont reçu l’entraînement militaire américain. Au début novembre 2009, le brigadier de l’US Air Force, Michael W. Callan, vice commandant de l’US Air Force (le contingent des forces aériennes basées en Europe et dédié à l’AFRICOM) a visité le Mali avec d’autres personnels militaires, dans le but d’inspecter les forces militaires locales (y compris le 33ème régiment de parachutistes) et de faire le tour des installations militaires. Selon l’attaché militaire à l’ambassade américaine à Bamako, le lieutenant colonel Marshall Mantiply, le travail se fait “avec le ministère de la défense du Mali, avec un plan sur dix ans, afin de renforcer les capacités militaires du pays.’’

Les mesures d’aide au Mali sont juste la dernière manifestation de l’implication militaire croissante des Américains dans la région du Sahel. Dans sa déposition du 17 novembre 2009, lors d’une audition du sous-comité du Sénat sur l’Afrique, portant sur la question de ‘’ contre- terrorisme dans le Sahel’’, le secrétaire d’Etat pour l’Afrique, Johnnie Carson, a identifié le Mali - avec l’Algérie et la Mauritanie - comme étant un des pays clés de la région pour la stratégie américaine anti-terroriste.’ Nous croyons que notre travail avec le Mali, qui consiste à soutenir plus d’unités capables de créer un environnement plus sûr dans le pays, portera ses fruits s’il est poursuivi’’, avait-il déclaré.

Il apparaît donc que le président Obama a décidé de poursuivre la politique africaine des administrations Bush et Clinton. Une politique basée sur l’usage de la force militaire, afin d’assurer à l’Amérique ses besoins en pétrole et confronter les menaces posées par Al Qaeda et d’autres groupes islamistes extrémistes, plutôt que de rechercher de nouveaux chemins qui consisteraient à établir des partenariats avec les pays d’Afrique et d’autres pays qui ont des intérêts sur le continent (y compris la Chine), afin de promouvoir un développement économique durable, la démocratie et les Droits de l’Homme en Afrique et un nouvel ordre énergétique basé sur l’utilisation de ressources propres, sûres et renouvelables.

Ceci est la conséquence de deux facteurs. D’abord, le président Obama croit vraiment en la stratégie de guerre globale contre le terrorisme et pense que l’Afrique doit être le champ de bataille central pour les campagnes militaires américaines contre Al Qaeda et d’autres groupes islamistes extrémistes. Nombreux sont les analystes qui ne croient pas que le terrorisme constitue une véritable menace pour la sécurité nationale américaine et qu’il serait nettement plus efficace de considérer le terrorisme comme un crime et de réduire la menace terroriste en s’appuyant sur les techniques habituelles d’application de la loi. Mais, comme l’a démontré la décision du président d’accroître les opérations militaires américaines en Afghanistan, en Somalie et au Mali, l’administration Obama est déterminée à user de la force militaire, bien que la preuve soit faite - comme le répètent les analystes militaires américains- que ceci ne fait que renforcer les groupes terroristes et met en péril d’autres intérêts de sécurité américains.

En ce qui concerne la dépendance croissante des Etats-Unis du pétrole africain, le président Obama comprend le danger qu’il y a à dépendre, pour l’importation d’une ressource vitale, de pays instables, aux gouvernements répressifs et non démocratiques et donc la nécessité qu’il y a, pour les Etats Unis, à diminuer la dépendance du pétrole et d’autres sources d’énergie non renouvelable. Mais pour des raisons compréhensibles, il est parvenu à la conclusion qu’il y a peu de choses qui lui est possible de faire pour réaliser cet objectif durant la brève période de son mandat présidentiel. Il sait qu’il faudra plusieurs décennies afin d’amener ce changement radical et que cela nécessitera le développement de sources alternatives d’énergie, en particulier pour les voitures et autres moyens de transport (même si ceci est techniquement faisable). Et il sait que dans l’intervalle le soutien du public et de son parti à sa présidence dépend, plus que de n’importe quel autre élément, du ravitaillement du peuple américain, ininterrompu et à relativement bas coût, en pétrole et autres énergies basées sur le pétrole.

Si le ravitaillement en pétrole en provenance du Nigeria, ou d’un autre fournisseur majeur africain, venait à être interrompu, Obama sait qu’il sera soumis à une pression politique irrésistible pour faire usage du seul instrument qu’il a à sa disposition- la puissance militaire américaine- pour tenter de maintenir le flux du pétrole africain.

* Daniel Volman est le directeur de l’African Security Research Project à Washington DC. Il est un spécialiste de la politique militaire américaine en Afrique et des questions de sécurité africaine et a mené des recherches et a écrit sur ce sujet depuis plus de trente ans

* Ce texte a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org