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La souveraineté alimentaire n’est pas seulement spécifique aux Pays du Sud. Dans les pays développés, les populations en font une préoccupation et s’investissent pour dénoncer les politiques en cours, éveiller les consciences et proposer des alternatives durables pour les communautés. Ainsi, pour la première fois au Canada, une politique alimentaire a été conçue par des tiers et des organisations de la société civile parties prenantes de mouvements pour l’alimentation. Leur proposition est la résultante de deux ans de concertation, de communication et de plaidoyer.

Nous sommes en face d’une crise environnementale planétaire dans laquelle la part du système alimentaire industriel, dépendant des énergies fossiles et de la monoculture, occupe/détient une importante responsabilité sur les changements climatiques, la baisse de fertilité des sols, la perte de biodiversité et les pénuries d’eau. En effet, cinq des plus grandes firmes de transformation d’aliments et de boisson utilisent environ 575 milliards de litres d’eau par an, ce qui est largement suffisant pour satisfaire les besoins quotidiens de chaque individu sur la planète. Le système d’alimentation et d’agriculture industrielle contribuerait pour 57% à l’émission des gaz à effet de serre et les projections indiquent que les rendements agricoles vont baisser de 16% à cause des changements climatiques. D’où la justification de l’accaparement des terres pour l’agrobusiness et les biocarburants.

Le crise des prix des produits alimentaires survenue en 2008 est la preuve que l’alimentation est considérée plus comme un prestige qu’une nécessité, un besoin vital. Alors que dans la majeure partie des pays du sud les populations consacrent jusqu’à 80% de leur revenus à l’alimentation, les prix de certaines céréales de forte consommation étaient passés du simple au triple. En effet, en l’absence de fortes politiques alimentaires et d’une régulation pour l’intérêt public, le système alimentaire mondial a été laissé entre les mains du marché. Au niveau mondial, la crise alimentaire a affecté plus de 325 millions de personnes (soit une personne sur 7) qui vivent une faim chronique, alors que près d’un milliard également font face à de sérieuses déficiences nutritionnelles.

CONTEXTE CANADIEN

En signant la déclaration universelle des Droits de l’homme, le Canada a accepté l’obligation de mettre en œuvre des mesures pour faire de l’alimentation un droit humain. Un Canada sans politique alimentaire est comme un Canada sans politique nationale de santé préventive. Les citoyens canadiens ne peuvent accepter cette situation et ont pensé qu’il est temps de changer. Des organisations de citadins, de paysans ruraux, de pêcheurs, d’entrepreneurs, de nutritionnistes, de professionnels de la santé publique, d’analyste juridique, d’académiciens, de jardiniers et autres acteurs préoccupés par l’alimentation sont montées au créneau pour sonner la révolte.

A l’issue de deux années de travail, plus de 3500 personnes ont ainsi contribué à définir une vision pour un système d’alimentation juste, écologique, sanitaire/hygiénique qui puisse procurer une alimentation acceptable, accessible et sûre pour tout le monde. Les raisons qui ont poussé ces différents acteurs à œuvrer ensemble tiennent à une compréhension partagée de l’alimentation comme étant une base de vies, de communautés, d’économies et d’écosystèmes sûrs et bien portants. Ils avaient aussi une vision qui voudrait que les aliments soient produits écologiquement et le plus proche possible de là où ils doivent être consommés et que les citoyens contribuent à décider de la manière dont les aliments doivent être produits. S’y ajoute le sentiment inacceptable d’appartenir à l’un des pays les plus riches au monde et que près de 2,5 millions de citoyens y vivent l’insécurité alimentaire de façon modérée voire sévère.

Dans cette conception, la souveraineté alimentaire inclut entre autres, la prise en compte du genre (enfant et peuple vulnérable) dans les décisions et dans les pratiques. En effet, malgré que beaucoup de Canadiens n’aient pas assez à manger, les exportations de produits agricoles ont quadruplé au cours de ces 20 dernières années. Le volume des exportations allant crescendo, les importations, y compris ceux des aliments productibles, transformables et conservables sur place, augmentent parallèlement. Ce qui a conduit à la perte de près de 17000 producteurs. Par ailleurs, les revenus des paysans et des pêcheurs sont en baisse continue, l’environnement irrationnellement exploité, ¼ des canadiens est obèse et le canada est le seul pays du G8 ne disposant pas de programme alimentaire scolaire financé par l’Etat.

Ces constats sont les principaux facteurs déclencheurs de l’idée de la politique alimentaire populaire. Tous les Canadiens sont conscients de la nécessité d’apporter des changements dans le système alimentaire. Ainsi, Agricultural and Agri-Food Canada est en train de développer une politique agricole pour 2013-2018, tout comme la Fédération Canadienne pour l’Agriculture travaille sur une stratégie alimentaire nationale menée par l’industrie, les partis politiques et beaucoup d’autres organisations d’envergure nationale sont en train de faire des propositions pour améliorer la donne actuelle.

La politique alimentaire populaire est enracinée dans le concept de souveraineté alimentaire : une approche où l’alimentation est reconnue au plan international comme étant un fondement primordial de vies, de communautés, d’économies et d’écosystèmes sains. Dans sa politique alimentaire populaire, la société civile canadienne a saisi l’essence de cette définition et les changements en cours pour bâtir son argumentaire et ses convictions.

LES CHANGEMENTS EN COURS

En 2008, la Banque mondiale et les Nations-unies ont déployé 900 experts pour mettre en œuvre une évaluation de 3 ans sur l’agriculture mondiale. Leurs recommandations convergent vers un changement du mode de production industrielle vers un mode agroécologique. Par ailleurs, de façon globale, une évaluation entière des programmes alimentaires et agricoles est en cours aux Nations Unies (concernant le PAM et la FAO).

Plus récemment, Olivier Deschutter, un des spécialistes en droit à l’alimentation au sein des Nations Unies, a démontré, dans un rapport, qu’une approche agro écologique de l’agriculture peut doubler la production en 10 ans ou moins dans certains pays où règne la famine. Il conclut que pour arriver à ce changement, le rôle des politiques et des investissements publics est primordial, car les privés n’investissent que sur des domaines qui ont un impact sur le marché.

CONCLUSION

La Politique alimentaire populaire est une démarche participative continue qui intègre les différentes sensibilités alimentaires pour un système alimentaire sain, juste et écologique. Elle est basée sur les principes de la souveraineté alimentaire et fait appel à un changement fondamental de la considération de l’alimentation : passer de la commodité au bien public. Dans ce contexte, la nourriture, l’eau, l’air et le sol ne sont plus considérés comme des « ressources », mais plutôt comme des « sources » de vie. Ainsi, l’alimentation a été sacralisée au Canada.

Des changements sont clairement en cours dans les politiques alimentaires. Il est alors temps que les mouvements sociaux élèvent la voix, pour ne pas, tardivement, dénoncer les politiques qui seront mises en place. Leur voix doit aller dans le sens de politiques alimentaires qui placent le bien être humain de la majorité et la santé planétaire au centre des décisions.

Comme enseignement, deux points sont à retenir : Les changements sociaux doivent être initiés par la société civile en s’appuyant suffisamment sur des données scientifiques ; pour l’agriculture, la voie de salut est l’agro écologie, pour une durabilité vis-à-vis des changements climatiques.

Sources:
1. Resetting the table: a people’s food policy for Canada, April 2011, p36.
2. www.viacampesina.org

* Famara Dédhiou est coordinateur de la Campagne «We are the solution – Promoting family farming in Africa», menée par les associations de femmes rurales en Afrique.

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